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Culture

Une histoire toujours présente

«Al-Andalus, ombres et lumière», un roman historique à  la frontière des genres.
Une Å“uvre polyphonique à  plusieurs voix.

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Que ceux qui veulent plonger dans l’univers des légendes et de l’histoire marquent une halte. Qu’ils feuillettent ce livre qui dort dans les librairies depuis quelques mois déjà. Bien souvent, les romans historiques se contentent de mettre en fiction des personnages et des situations déjà balisés par l’histoire conventionnelle. Al-Andalus, ombres et lumière dépoussière le genre, sort des sentiers battus et propose un récit romancé et touchant en nous livrant de nouvelles facettes de l’histoire.  
Ce livre est une œuvre commune, celle de Abdellah  El Ghazouani (professeur de littérature) et de Kenza Homman Loudiyi. Les écrivains puisent leur aspiration dans le passé dans une écriture aisée et des mots simples. Lire cette œuvre revient à faire le choix d’un voyage en compagnie de prestigieux personnages historiques : Tarik Ibnou Ziad, Ziryab, Ibn Hazm, Youssef Ibn Tachfin.. Un album touchant et humain s’offre aux lecteurs. Les traits des personnages se dessinent au fur et à mesure que l’on tourne les pages.
L’œuvre est à la frontière des genres. Elle est formulée comme une composition musicale. Polyphonique, plusieurs voix s’y confondent. D’abord, c’est Abderahmane (le fondateur de l’Emirat d’Al-Andalous, le Faucon de Quraïch) qui prend la parole et raconte lui-même son histoire et celle de sa famille. Nous sommes au VIIIe siècle, des luttes intestines éclatent dans l’Etat musulman, font sombrer la dynastie des Ommeyades et installent une nouvelle, celle des Abassides.
Abderrahmane Addakhil, l’un des derniers descendants de Oumayya, fuit la mort et proclame l’Emirat de la péninsule conquise par ses aïeux. Abderrahmane prendra le pouvoir, fera revivre sa dynastie et sera à la tête d’un des plus prestigieux règnes de l’histoire.  «Qui peut se targuer de comprendre le sens des choses ?, dit-il. «Nous ne sommes rien. Je me résignais tout à fait. Les enfants d’Oumaya d’Orient avaient vécu. Telle était la sentence. Le destin de celui qui seul avait survécu se trouvait ici, dans cette terre d’Islam d’Occident. Je tourne mes yeux vers la mer. La prédiction du juif me revient : le conquérant d’El-Andalus s’appellerait Abderrahmane».
Démêler la légende de l’histoire, le déshonneur de la gloire, voici un travail fastidieux auquel se sont astreints les écrivains. Mais il ne s’agit pas que de lutte pour le pouvoir dans cette œuvre. Il est aussi question de raffinement. Des pages de ce livre, des musiques surgissent comme d’une boîte à musique. Lorsqu’on entend parler Ishaq El Mossouli, on est non seulement à une autre époque mais on l’accompagnerait presque dans ses compositions, lui qui déclarait «ne rien vouloir devoir à la science musicale des Grecs».
Et lorsqu’on rencontre Ziryab, on s’interroge avec lui : «La musique n’est-elle pas liée à la création du premier homme Adam ? N’est-ce pas grâce au chant que l’âme se fixa dans le moule de glaise dont Dieu avait façonné Adam ? Ses descendants ne sont-ils pas à la l’origine de la création des premiers instruments de musique ?».
Au fil des récits, certains monarques deviennent sympathiques comme Ibrahim, fils d’El Mahdi. Un homme à l’âme sensible. Les princes n’étaient pas que des tyrans. «Je suis roi fils de roi, je ravive les couleurs, je polis les chansons et les améliore. Je fais cela pour mon plaisir, pour distraire ceux qui m’écoutent et pour faire passer agréablement le temps».
L’histoire, reconstruite à travers plusieurs récits, prend corps dans le présent. La colonne vertébrale de ce roman historique, c’est le changement de narration. Un entrelacs judicieux qui apporte  fraîcheur au récit. Ce que ce livre a de particulier ? Il jongle avec les époques, interroge la nôtre. Les deux auteurs ont un réel talent pour plonger le lecteur au cœur de l’histoire sans l’ennuyer. Ce livre se lit d’une traite, il reste réel, si proche de nous malgré les siècles.