Culture
Touraya Bouabid : «L’à‰tat nous fait confiance plus que les sponsors ou les entreprises privées»
Questions à : Touraya Bouabid, Présidente de l’Association d’aide aux enfants en situation précaire, fondatrice de l’école Shems’y.

La Vie éco : Vos accomplissements, treize ans après la création de l’école Shems’y ?
Les jeunes qui étaient livrés à eux-mêmes ne savaient pas quoi faire de leur temps, qui étaient déboussolés, qui ne trouvaient pas leur voie, ont repris leur sérénité, leur créativité, leur courage. Ils ont repris une dignité, ils existent. Et ils ont envie de partager cette créativité retrouvée avec le plus grand nombre, de sortir dans leur quartier, dans leur ville, pour montrer qu’ils ont changé. À chaque édition de Karacena, à chaque atelier artistique à Salé, ils donnent de l’espoir aux habitants, s’approprient la Médina, jouent avec la Médina. Il y a un patrimoine exceptionnel dans cette ville, mais les gens ne le remarquent plus. Avec leurs spectacles, nos élèves redonnent de la magie à cet endroit, veulent montrer ce qu’il recèle, et par là-même, exigent qu’on s’intéresse à Salé, qu’on y investisse plus, qu’il y ait du tourisme culturel, de l’économie solidaire, qu’elle ne soit plus une cité-dortoir.
Sentez-vous un engouement pour les arts du cirque, dans la ville ?
Oui. A chaque édition de Karacena, ils sont quelque 250 000 à venir. En 2006, déjà, lors de nos premières représentations, les gens en redemandaient. Après, ils ont commencé, en nous croisant, à nous demander : «Mais pourquoi vous ne faites pas ça chaque année ?» On leur a expliqué qu’il fallait du temps pour préparer ce genre d’événements. Fait marquant, l’engouement des artisans, car tous les objets de la scénographie, même les plus gros, ceux qui font 15 mètres de hauteur et de largeur, sont fabriqués ici à Shems’y par des artisans de Salé, qui attendent donc impatiemment de voir leurs créations sublimées par les acrobates.
Des difficultés à signaler ?
Oui. De grosses difficultés de financement de nos événements. Le sponsoring ne suit pas. On ne fait pas assez confiance à la jeunesse du Maroc. Vous allez être très étonnée, car 90% de nos aides financières émanent de
l’État, des collectivités locales, de l’INDH, de l’OCP, de l’ONE, des ambassades, pour ne citer que ces partenaires-là. L’État nous fait confiance plus que les entreprises privées. Je vais vous donner un exemple : un des trois opérateurs téléphoniques porte le Cirque du Soleil. Or, nous l’avons sollicité aussi, sans succès. Hélas, personne n’est prophète en son pays, il faut toujours aller chercher le rayonnement à l’étranger, à l’extérieur. Heureusement que nos jeunes sont pour l’instant occupés à créer, à apprendre. Mais, quand ils voudront lancer leur propre cirque, leur fera-t-on confiance ? Les soutiendra-t-on ?
