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Culture

Timitar : de l’étoffe, encore plus d’étoffe !

Pas moins de 800 000 spectateurs, au bas mot, ont fréquenté la cinquième édition de Timitar. Preuve par le chiffre de la réussite exceptionnelle de cette dernière, où se conjugaient l’art accompli d’artistes éprouvés, la spontanéité des jeunes talents et la créativité des femmes.

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Dimanche 6 juillet, minuit. Timitar, cinquième du nom, s’éteint dans un luxe d’ovations, après avoir jeté ses ultimes feux, de la plus éclatante des manières. L’ensemble Oudaden, auquel a été dévolu la redoutable tâche de finir le festival en beauté, a été sensationnel. Et pas seulement aux yeux des Soussis, qui lui vouent, depuis près de vingt ans, un culte émerveillé.

Dans les rangs de l’organisation, le soulagement est ostensible. Un sourire illumine le visage longtemps fermé de Brahim El Mazned, directeur artistique de Timitar. «On ne se refait pas. Après quatre années passées au service de Timitar, je devais être blindé. Pensez-vous ! Le trac et l’angoisse ne m’ont pas quitté un seul instant tout au long de cette cinquième édition.

Encore plus intensément que pendant les précédentes. Sans doute parce que nous tenions absolument à nous transcender», confesse-t-il.

Des artistes à la discographie impressionnante
Tout autre que le maître de cérémonie de Timitar, réputé pour son perfectionnisme maladif, ne se serait pas fait du mouron, compte tenu de la distribution exceptionnelle de ce cinquième acte. On n’enrôle pas des gros calibres tels Youssou N’Dour, Alpha Blondy, Rokia Traoré, Salif Keita, Idir, Marcel Khalifé, Cheb Khaled ou Najat Atabou pour boire la tasse, mais plutôt afin de s’assurer un triomphe.

«Ce n’est pas tant leur vedettariat qui m’importait que leur apport à la scène musicale pendant les trois dernières décennies, précise le directeur artistique. Le groupe Lemchaheb, à titre d’exemple, a bouleversé les canons de la chanson marocaine. Les Izenzaren ont inventé le protest song amazigh. Khaled a renouvelé le raï, et en le mâtinant de jazz et de pop lui a frayé le chemin vers l’universalité. On peut en dire autant de Youssou N’Dour qui, grâce à son alliage du mbalax sénégalais avec le jazz, la soul et le latino est devenu un ténor de la world music».

Rokia Traoré et Salif Keita ont été adoptés rapidement par le public
On serait tenté d’imputer cet appel à une escouade d’emblèmes générationnels au désir de Timitar d’en remontrer à ses rivaux Mawazine, Gnaoua et Casa Music. Souci du dépassement qui s’inscrit dans cette guerre sans merci que se livrent entre eux ces mastondontes à coup de têtes d’affiche. Brahim El Mazned récuse cette opinion.

«Si nous avions voulu nous mêler au jeu de la concurrence, nous aurions convié des vedettes égyptiennes ou libanaises, dont le public est si friand, mais, d’une part, ce n’est pas la tasse de thé de Timitar; d’autre part, ces stars exigent des cachets mirobolants, qui ne sont pas à la portée de notre modeste budget; enfin, nous menons notre barque sans jamais regarder comment rame le voisin, souligne-t-il. Sans faire de folies, nous avons programmé quelques valeurs sûres de la chanson, d’abord, pour sacrifier au goût et aux préférences du public, ensuite, dans le dessein de satisfaire aux exigences des sponsors, sans l’écot desquels Timitar n’aurait pas eu lieu.

Cela étant, nous ne sommes nullement mus par le souci d’épater. Nous nous faisons plutôt un devoir de surprendre le public, en le mettant en présence de figures inconnues ou peu connues de lui. Rokia Traoré, Salif Keita et tant et tant d’artistes, invités cette année, en font partie».

Audace récompensée grâce au public de Timitar, curieux de tous les rivages musicaux, résolument polyphonique, merveilleusement attentif. Sa majeure partie n’avait jamais entendu parler auparavant de Rokia Traoré. Celle-ci fut pourtant accueillie par des ovations. Ses premières chansons étaient ponctuées par des applaudissements timides.

Normal, les spectateurs ne parvenaient pas à entrer dans sa musique tout en métissage des genres. Mais, peu à peu, le son frais, spontané, énorme, développé par la Malienne s’insinuait dans leurs sens, au point qu’ils en devinrent réceptifs, puis captifs. Et c’est sous des acclamations nourries et des youyous que Rokia Traoré prit congé de la foule.

Le même bonheur advint à Salif Keita. Contrairement à Alpha Blondy, Najat Atabou ou Khaled qui durent user d’artifices pour se frayer, sans encombre, un chemin vers leur loge, le céleste albinos la gagna en toute quiétude. Il en ressortit avec la même aisance. C’est dire combien l’auteur de Papa était méconnu à la fois des journalistes et du public.

Ce dernier, sans se montrer froid, ne paraissait pas emballé, au début du concert. Mais le chantre du métissage possédait plus d’un tour de magie dans son sac. En un tournemain, il réussit à emporter la conviction des spectateurs, qui ne demandaient qu’à être éblouis pour exprimer leur admiration.

Il ne fait pas l’ombre d’un doute que c’est le savant dosage d’artistes familiers du grand nombre et d’autres qu’il découvrait qui a été la clé du succès de la Ve édition de Timitar. Edition qui nous a agrémentés d’une suite non interrompue de moments tantôt poétiques tantôt trépidants et parfois littéralement festifs. Au soir du mercredi 2 juillet, rendez-vous était pris avec l’immense Idir. Dès les premières notes, on s’aperçut que son air de Pierrot lunaire contrastait avec sa musique rebelle.

Une chanson où il était question de fleurs fauchées par des mains assassines, puis transformées en étoiles, et tout s’enchaîna en recueil de poèmes. Avec ces intervalles qui n’appartiennent qu’au chanteur-phare de l’amazighité, ces sanglots étouffés, ces mots d’esprit dont on ne se repaît jamais, ces cris de révolte élégamment poussés. La place Al Amal était suspendue à la voix douce du sublime kabyle.

Avec Idir et Marcel Khalifé, des moments poétiques
Au moment où Idir entonnait sa tendre berceuse, Avava Inouva, reprise en chœur par la foule conquise, Marcel Khalifé faisait son apparition au Théâtre de verdure. Le barde à la barbe chenue avait dérogé à sa règle de la ponctualité.

Non seulement les spectateurs ne lui en voulurent pas, mais ils meublèrent leur attente interminable par l’interprétation, dans une joyeuse cacophonie, de ses chansons les plus célèbres. C’est sans doute pour se faire pardonner que Marcel Khalifé offrit au public, en guise de mise en bouche, son dernier opus, Tar Lhamam, tissé par le poète palestinien Mahmoud Darwich.

Le thème en est le devoir d’amour. Une ode d’une belle eau qui ravit le public, au point qu’il ne pouvait se retenir d’applaudir à chaque vers. Ce dont le chanteur s’agaça. «Je constate que la culture du clip vidéo a étouffé votre sensibilité musicale. Vous n’êtes pas obligés d’applaudir constamment», lança-t-il aux spectateurs, qui le tinrent pour dit.

Et c’est dans une sorte de recueillement qu’ils écoutèrent les chansons suivantes : Jawaz Assaffar, dédiée au peuple palestinien, Rita, Ya Âli, Al Janoub, Oummi, Hila Hila… Avant de se retirer, Marcel Khalifé accompagna au luth le public chantant Mountasaf Lqama Amchi. Et cela à quatre reprises. Quel bonheur !

Au rayon des concerts trépidants, il convient de ranger celui donné par Alpha Blondy jeudi 3 juillet. Farceur impénitent, cette fine lame du reggae africain avait feinté les nombreux fans qui s’impatientaient devant sa loge en se camouflant dans une djellaba.

Sur scène, il fit merveille par ses gesticulations débridées, ses harangues, ses sauts de cabri, son humour corrosif et ses paroles qui font mouche. Ses chansons, sous forme de chroniques des maux de la société africaine, impressionnèrent la foule innombrable venue l’acclamer. Entre revendication politique, défaite quotidienne et rêve d’harmonie, le lucide Ivoirien la mettait de plain-pied avec la réalité amère de l’Afrique.

Un continent, denonce-t-il, mis en coupe réglée par les puissances voraces, déchiré par les conflits fratricides et dirigé par des tyrans aussi incapables que vénaux. Autant de messages enrobés dans des rythmes si entraînant que la place Al Amal fut vite convertie en une gigantesque piste de danse sur laquelle on se piétinait allègrement.

Khaled au mieux de sa forme a fait sensation
Khaled, lui, était attendu par 120000 spectateurs. Sans compter les personnes entassées aux abords de la place Al Amal et les clients des cafés qui la bordent. Tous savaient qu’ils allaient avoir leur content de mélodies suaves, de rythmes électrisants et de sons délectables, par les soins à l’amoureux transi de Aïcha.

Ils ne furent pas déçus, loin s’en fallait. Au meilleur de sa forme, Khaled sortit ses tripes. A l’immense joie d’une foule pour qui Ouahran, Didi, Aïcha et d’autres tubes du souriant interprète et compositeur n’avaient aucun secret. Aussi, les répétait-elle à tue-tête. Et la place Al Amal tanguait sous les pas de danse de spectateurs franchement déchaînés. Le concert de Khaled, offert samedi 5, mérite une place de choix dans les annales de Timitar.

Garantir le spectacle est une des vertus de Najat Atabou. Sur ce point, elle est incomparable. Elle l’a prouvé encore une fois vendredi 4 devant 100 000 spectateurs allumés. Moins par la qualité de ses chansons, servies par une voix aussi puissante que câline, mais desservies par des bredouillis qui tiennent lieu de paroles, que par l’atmosphère festive qu’elle sait créer. La recette concoctée par Najat Atabou est infaillible : choix exclusif de chansons familières au public, en l’occurrence Sabbarra ya mi sabbarra, mali ana ma andi zhar, moula dari darha, ândak bou wdina…, piques adressées particulièrement aux hommes; pas de danse affriolante; incitations à chanter avec elle…

A Timitar, elle se surpassa. Toute la place était couverte par les youyous et les sla wa slam âlik ya rassoul Ilah. On se serait cru au cœur d’une fête de mariage.

Une des particularités fécondes de Timitar est son goût du risque. Cette année, il a ouvert ses portes à l’électro. Une occasion pour s’apercevoir que ce genre souvent décrié, par ignorance, renferme des talents certains, à l’image de Présidents d’Afrique ou Nortec Collective. Autre audace de Timitar, faire confiance à la jeunesse.

Avec bonheur, le public s’est extasié devant la prestation d’un groupe d’Ahwash, composé de jeunes de vingt ans. Quant à Outajat, héritier de Haj Belaïd, il a fait mieux que briller, il conquit, du haut de ses vingt-cinq ans.