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Culture

Timitar conforte sa vocation de carrefour musical

Programmation à  la hauteur des attentes et organisation impeccable pour un festival
qui a attiré près de 800 000 spectateurs et offert 46 concerts.
Mêlant des musiciens de renom
et des graines de stars, Timitar II (du 2 au 9 juillet) a cassé la baraque.
Et le meilleur est à  venir. Reportage.

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Samedi 9 juillet. A quelques heures de la clôture du festival Timitar, la ville d’Agadir, toute de brouillard enveloppée, a l’estomac barbouillé. Et pour cause ! Pendant une semaine, elle a ingurgité une pléthore de sons, de rythmes et de chants, accommodés à  diverses sauces, parfumés à  multiples arômes, composés de différents ingrédients. Soumise à  un tel régime forcené (46 concerts, huit programmes quasiment chaque soir), la capitale du Souss finit par atteindre une overdose bienfaisante. Une belle plante, qui répond au chaste nom de Safaa, confesse n’avoir manqué aucun spectacle donné sur la place Al Amal: «Je suis serveuse dans le restaurant d’un grand hôtel. A 18 heures tapantes, je quitte mon travail. Le temps de me changer vite fait et me voilà  sur la place Al Amal avant l’heure pour être bien placée. Il faut dire que ce festival est la providence de ceux qui, comme moi, sont des passionnés de la musique. Cela leur permet de faire une cure de musique. Surtout qu’à  Agadir, ces occasions-là  sont rares. Autant en profiter. Quand même ! Voir Alpha Blondy en chair et en os, gratos, c’est pas tous les jours qu’on peut avoir cette chance.» Alpha Blondy, le nom est dit.
Alpha Blondy met le feu, le public s’y consume avec délice
Jeudi 7 juillet, place Al Amal. Il est 21 heures. Sur scène, Jbara, Gadiri pur jus, met du cÅ“ur à  l’ouvrage afin d’enflammer l’innombrable foule. Avec son hymne à  la paix Alcantara Salam Fi Al Alam, il y parvient sans peine. Soudain, on sent une drôle d’agitation du côté des loges des artistes. Renseignements pris, Alpha Blondy tente de regagner la sienne. Vainement. Le chemin lui en sera barré par une poignée d’admirateurs qui, trompant la vigilance du service d’ordre, font son siège. Les uns sollicitant un autographe, les autres se faisant immortaliser aux côtés de leur idole. Et lui se prêtant de bonne grâce au jeu de la Blondymania. Le personnage est méconnaissable. Aucune ressemblance avec celui, irascible, grandiloquent, ondoyant, dont le palais Badià® résonne encore des frasques, des sautes d’humeur et des caprices. C’était en 1986, lors de sa première venue au Maroc. Avec l’âge – il a 52 ans -, Alpha Bondy s’est manifestement assagi. Mais pas sur scène, heureusement.
A 22 h 15, le prodige du reggae entre en scène. Vêtu d’une djellaba blanche rayée, il provoque un tonnerre d’applaudissements. Quatre vingt mille spectateurs lui font face. En première ligne, une légion d’Ivoiriens brandissant le drapeau de leur pays comme un trophée. Ceux-là  ne vont pas cesser de swinguer tout au long du concert, avec une ardeur impressionnante, entraà®nant toute la foule dans leur sillage débridé. Le chanteur entonne son tour par la profession de foi musulmane. Le public apprécie et le fait entendre. Puis, les chansons défilent, quinze en tout. Félin bondissant, Alpha Blondy court d’un bout de la scène à  l’autre, s’en va galvaniser ses musiciens portant beau dans leurs djellabas, chauffe ses deux choristes, harangue la foule à  coups de : «à‡a va Agadir ?», «Je veux entendre chanter», «Encore plus fort !». Vitesse, électricité, soudain pacifiées par un appel à  la paix. Mais quand Alpha Blondy évoque l’Afrique, à  laquelle il voue un culte, il passe par tous les états. De la colère rageuse : «Tout change, tout évolue, seuls les imbéciles ne changent pas. Quand vous regardez à  la télé les journaux télévisés, qu’est-ce que vous entendez ? Les Algériens qui tuent les Algériens, les Somaliens qui fusillent les Somaliens, les Rwandais qui génocident les Rwandais, les Burundais qui découpent les Burundais, les Congolais qui massacrent les Congolais et les Ivoiriens qui brûlent la Côte d’Ivoire. Je suis obligé de constater que les ennemis de l’Afrique, c’est nous les Africains», aux marques d’adoration : «Je crie ton amour sur tous les toits», à  la supplique : «Afrique, réveille toi !», et à  la foi en des lendemains meilleurs : «Bénis soient les derniers, car ils seront les premiers. Le soleil d’Afrique se lèvera un jour». Le public, par empathie avec le chanteur, passe aussi par tous les états, vociférant, s’attendrissant, grondant, se radoucissant, et, surtout, dansant à  en perdre haleine. Des VIP désertent leurs sièges inconfortables pour se mêler à  la foule swinguante, des journalistes bougent au gré des rythmes électrisants et les minets et les minettes se déhanchent joliment. A 0 h 30, Alpha Blondy conclut son concert par une ode à  la fraternité, très enlevée. Le public est sur les genoux, mais heureux.
Restaurants, hôtels, commerces et taxis tournent à  plein régime
Les plus résistants d’entre les spectateurs font cap sur la scène Bijaouane o๠se produit Gnawa Diffusion. Pour cela, il faut faire un sacré bout de chemin avant de trouver un taxi, car les accès aux abords de la place Al Amal sont fermés. Du pain bénit pour les chauffeurs de taxis qui, pour contourner les multiples sens interdits, allongent la course : «Le festival représente une véritable aubaine pour nous. Le mois de juin a été difficile. Nous y avons pratiquement chômé. Avec le festival, les affaires reprennent. Je fais vingt fois plus de clients que d’habitude», nous assure l’un d’eux. La scène Bijaouane est déjà  prise d’assaut par une multitude juvénile qui laisse libre cours à  son enthousiasme. Les nombreux policiers peinent à  contenir la gigantesque marée. De guerre lasse, ils baissent les bras. Au soulagement des 30 000 spectateurs qui peuvent ainsi vivre à  leur guise le spectacle offert. De sa voix puissante, Amazigh Kateb, l’âme ardente de Gnawa Diffusion, fustige les Ricains d’obédience bushiste, incendie les sionistes, mitraille les «condamentalistes», dégomme les tyrans arabes, passe à  la tronçonnerie les flics de tous bords. Le public exulte, se laisse transporter par cette tempête contestataire. Sous les yeux réjouis de Brahim El Mazned, directeur artistique de Timitar. Les concerts d’Alpha Blondy et de Gnawa Diffusion viennent conforter la justesse de ses choix artistiques.

Brahim El Mazned, directeur artistique inspiré
Samedi 2 juillet, 19 heures. Dans peu de temps, Timitar va prendre ses marques, sur l’esplanade de la place Al Amal, reconvertie en lieu de spectacle. Le public tarde à  se manifester. Brahim El Mazned n’en mène pas large. Les minutes s’égrènent et le doute l’envahit. A-t-il eu raison de s’obstiner dans son choix des artistes pour l’ouverture ? La presse, dans un bel ensemble, l’avait contesté vivement et conseilla à  Mazned d’opter pour des valeurs sûres, entendez par là  des superstars. Prié de revoir sa copie, il ne capitula pas. Jeune programmateur aventureux travaillant en dehors du sérail, Brahim El Mazned n’abdique aucun des principes qui l’ont hissé au rang de directeur artistique. La variété sirupeuse n’est pas sa tasse de thé. Seule vaut la vraie musique. «J’essaie de faire le moins de concessions possible. Il faut avoir le courage de refuser un artiste même si on sait d’avance qu’il va remplir la salle, mais risque de brouiller l’image du lieu. J’aime tout type de musique, du rock hardcore à  la musique amazighe, du hip-hop à  la musique confrérique, du reggae à  la salsaÂ… Mais ce qui importe à  mes yeux, c’est la dimension humaine. Je n’éprouve aucune sympathie pour ceux qui prennent la pose de la star, avec tous les désagréments qu’elle impose. Je suis sensible aux artistes qui font preuve d’humilité, de générosité et de grandeur d’âme».
Le Sénégalais Ismaà«l Lô possède à  coup sûr ces vertus. C’est sans doute à  ce titre qu’il ouvre le bal. Il est 20 heures. La chaleur est tombée. Une légère brise se lève. Des mouettes curieuses flottent sur la place, mêlant leurs cris stridents au bruissement d’une foule hétéroclite o๠se côtoient des familles avec enfants, des femmes en foulard, des jeunettes en jeans et dos nu, et des bourges BCBG. Monstre de la guitare, Ismaà«l Lô emballe d’emblée le public. La place est vite transformée en une immense piste de danse. Mais les danseurs ne quittent pas d’une oreille les onze chants qui exaltent la paix, répétant en chÅ“ur les paroles, à  la demande du chanteur. Et quand ce dernier aborde, d’une voix solaire, Africa, c’est le délire dans les rangs. Lorsque Ismaà«l Lô fait mine de tirer sa révérence, le public réclame, sur l’air des lampions, son retour. Le chanteur s’exécute, et offre en guise d’adieu cette perle appelée Maà¯té. Inutile de vous décrire l’ambiance.
Ismaà«l Lô a mis le feu, l’ensemble Oudaden, qui prend sa suite, l’attise. Ici, les Oudaden sont des icônes. Devant la ferveur du public, l’angoisse de Brahim El Mazned se dissipe peu à  peu. Elle s’évanouit complètement après la prestation de Nass El Ghiwane. Lorsque le quatuor prend possession de la scène, une vague d’émotion parcourt la foule. Des années qu’ils tournent ensemble et que l’on croit tout savoir. D’o๠viennent la suprise, l’engouement du public ? De petits riens, de notes arrachées au caprice, à  la joie de jouer de Allal Yaâla, métronome à  la sonorité précieuse, de la voix, à  peine soufflée de Omar Sayed, d’une envolée de Rachid Batma, et surtout d’une façon inimitable d’habiter la musique enracinée dans sa vérité populaire. La grande part du répertoire de Nass El Ghiwane est passée, et le concert s’achève, tard dans la nuit, avec Madi fat repris en chÅ“ur par une foule reconnaissante. Brahim El Mazned va enfin jouir d’une nuit tranquille.

Logistique impeccable et ponctualité
Timitar en est à  sa deuxième édition. En 2004, il avait drainé 500 000 spectateurs, cette année, il en a rassemblé près de 800 000. La place Al Amal en a capturé l’essentiel, en raison de sa superficie et de la qualité de ses programmes. Ceux offerts sur les autres scènes n’étaient pas en reste. Le Théâtre de verdure nous a fait savourer des moments rares grâce à  Lotfi Bouchnak, Weshm, Rum Tariq Al Nasser Group, Totô La Momposina, Aà¯cha Tachinouite. La scène Bijaouane nous a permis de découvrir des talents insoupçonnés tels ceux déployés par nos rappeurs.
Mais là  o๠Timitar se distingue, c’est par sa capacité à  attirer les artistes qui sortent leurs tripes, se défoncent. Tous ont débordé sur l’horaire convenu, aucun n’a lésiné sur la sueur. Se faire plaisir et donner un surcroà®t de plaisir aux spectateurs, en les faisant participer, telle était la règle adoptée par les musiciens. «Est-ce que vous voulez chanter pour la paix ?», «Vous êtes fatigués ? Moi je ne suis pas fatigué» (Ismaêl Lô); «Hier, on était à  Casablanca, ils ont mis de l’ambiance. Il paraà®t qu’Agadir ne sait pas mettre de l’ambiance. On va leur prouver le contraire» (Tambours de Brazza) ; «à‡a va Agadir ? Moi je n’entends pas ceux qui sont à  droite» (Alpha Blondy)Â… Ces harangues, nous les avons entendues maintes fois. Elles ont eu le don d’enflammer le public. Certains artistes ont poussé le zèle jusqu’à  sauter le pas vers la foule, tel le merveilleux napolitain, Enzo Avitabile, qui s’est promené un long moment avec son micro sur la place.
Timitar, c’est la ponctualité (les concerts débutent à  19 h 30 précises), une logistique impeccable, la nuit qui s’avance, les concerts commencés sous le dernier soleil doré et le ballet des oiseaux. Timitar, c’est aussi la flamboyante passion du partage, l’exaltation du métissage, l’appel vibrant à  la fraternité (tous les artistes, sans exception, l’ont chantée, chacun à  sa manière). Doué de telles qualités rares, il ne peut que s’imposer. Il a déjà  pris le chemin de la gloire, avec cette deuxième édition pleinement réussie. Ce triomphe, il en est redevable à  Brahim El Mazned et à  son aversion du formatage, de la pensée prémâchée et de la table rase utilitaire, et aussi au président de la région Souss-Massa-Draâ, Aziz Akhennouch, omniprésent utilement, à  Abdellah Rhallam, président de l’Association Timitar, constamment sur la brèche, et à  Fatim-Zohra Ammor, directrice générale, dont la disponibilité souriante faisait plaisir à  voir. Sans oublier les charmantes Jihane Raqiq et Siham El Fakir, qui ont grandement facilité la tâche aux journalistes, et sans lesquelles ce modeste article n’aurait pas vu le jour. Timitar, «sweet, sweet», dirait le rasta Alpha Blondy

C’est un Alpha Blondy des grands jours qui s’est produit à  Timitar, en djellaba, faisant swinguer des jeunes déchaà®nés mais jouant aussi sur l’émotion du public.