Culture
«Souviens-toi qui tu es» : un long voyage vers soi
«Souviens-toi qui tu es» est le dernier roman de Bahaa Trabelsi. Paru début octobre, chez la Croisée des chemins, le roman est une histoire de femme-chat qui retombe toujours sur ses pieds, malgré les aléas de la vie et ses débâcles multiples. Si la résilience était un livre…

Si le roman le plus récent d’un auteur est, pour lui, son meilleur, l’on ne peut qu’approuver que celui de Bahaa Trabelsi est indéniablement le plus poignant, le mieux abouti de sa bibliographie. «Souviens-toi qui tu es» puise sa littéralité dans l’expérience de vie d’une femme aux amours déchus, déçus, depuis le sacro-saint père au plus damné des amants. Il est par la force du récit à la fois intime et universel, tant se distinguent aisément les mécanises et les racines de la détresse humaine.
Une histoire d’humain
Safia est une femme enfant en quête de la stabilité et de maturité affective. N’ayant pas appris les rudiments de l’amour, auprès de ce père cruel et moralisateur, qu’elle appelle «le Monstre» et une mère plutôt égocentrée, elle plonge dans la lecture pour se trouver des réponses et se construire des bulles d’apaisement qui font vite d’éclater au contact rugueux d’une réalité sans affect. L’amour est à Safia cet inaccessible fantasmé qui, absent dans le foyer familial, prend des allures aguicheuses dans des histoires de dépendance qui finissent inéluctablement par lui faire mal. Mais à force de déchoir, Safia apprend à maîtriser l’art du rebondissement, de tomber debout et de recommencer, un peu malgré elle, mais heureusement pour elle.
Si le vécu de Safia est bien moins dramatique que celui de milliers d’enfants nés dans l’oppression, la maltraitance ou même la guerre, les dégâts n’en sont pas moins profonds. «Souviens-toi qui tu es» nous rappelle que nul n’est prémuni contre le manque de confiance et d’estime pour soi, que l’éducation que l’on a, le moindre mot que l’on absorbe, enfant, définissent l’adulte que l’on devient. Mais, fort heureusement, le roman nous parle aussi de cette autre possible que serait la vie pour peu que l’on emprunte le chemin de la réconciliation avec soi. Il s’agit d’un travail de toute une vie et des poussières, mais tellement nécessaire à en croire Safia… et Bahaa.
Une femme, simplement
Dans ce récit en spirale, on est pris dans le vécu et le ressenti profond de l’héroïne dans diverses étapes de sa vie. Tour à tour à la première personne ou à la troisième, la narration explicite les causalités, mais sans tomber dans la didactique du développement personnel et surtout pas dans le simplisme de celui-ci. La fin du livre est un happy-end, justement car elle n’en est pas spécialement une, selon les codes sacrés de la romance.
Si dans tous les livres de l’auteur, on croise ce personnage de femme forte, émancipée, mais tourmentée par ses propres transgressions, payant le prix de sa rébellion, le personnage de Safia a cela de nouveau qu’il n’accuse pas uniquement la domination masculine, mais assume sa part propre de responsabilité dans sa soumission. C’est cette fragilité assumée et humaine qui fait de Safia l’héroïne la plus sensible et la plus touchante de Bahaa Trabelsi. On rentre si immédiatement dans sa tête et son cœur, qu’on oublie l’auteur et ses engagements et c’est très bien ainsi !
Quoi qu’il en soit, Bahaa Trabelsi n’en a pas fini avec le sujet de la femme, de son émancipation de la société et des chaînes internes qui jonchent le sol de son inconscient. Elle est aujourd’hui directrice de la collection Kayna, qui ouvre les portes aux écrits des femmes du Maghreb, aux éditions La Croisée des chemins.
