Culture
Si Casablanca m’était contée
«Anfa, Dar el Beïda, Casablanca»(*), actuellement dans les bonnes librairies, est un opus de plus sur cette ville à nulle autre pareille
Ce n’est pas un livre de trop, tant il pose un regard souvent inédit sur Casablanca
Compte rendu convaincu.

Encore un livre sur Casablanca !, protesteriez-vous. Non à tort, à première vue. De Souvenirs de Casablanca (Paul Azan, 1911) et Les hommes nouveaux (Claude Farrère, 1928) à Casablanca, mythes et figures d’une aventure urbaine (Jean-Louis Cohen et Monique Eleb, 1988) et Casablanca (Yves Jeanmougin, 2007), en passant par Casablanca et sa région (Henri Couette, 1941) ou La bataille de Casablanca (Jacques Mordal, 1952), la mégapole a donné lieu à une palanquée de publications, sous l’aspect de fictions, de carnets de voyage, d’ouvrages collectifs, de monographies ou d’articles de périodiques. Au point qu’aux yeux de beaucoup le sujet est saturé. En apparence seulement. De fait, compte tenu de sa fantastique trajectoire, sa diversité architecturale, sa mosaïque démographique et son rang prééminent, l’ancienne morne bourgade, devenue métropole imposante, forme une matière inépuisable. Son passé lointain, par exemple, est souvent passé à l’as. Certes, littérature abondante il y a, toutefois elle se focalise sur la phase coloniale, créditant ainsi le lieu commun selon lequel Casablanca serait fille du Protectorat. L’un des atouts majeurs de Anfa, Dar Beïda, Casablanca tient dans son souci de lever ce malentendu, complaisamment entretenu par la puissance protectrice.
Les origines d’Anfa, l’ancêtre de Casablanca, ne sont pas clairement établies.
A en croire l’Espagol Luis Marmol Carjaval, qui y fut retenu prisonnier au XVIe siècle, elles se perdaient dans la nuit phénicienne ; Léon l’Africain, lui, les fait remonter à l’époque romaine ; les historiens marocains, eux, mettent la création d’Anfa sur le compte des Berghouata.
C’est à cette vue que Abdeljalil Bounhar, l’auteur de cet ouvrage, se rallie. Chronologiquement, les étapes de l’histoire de Casablanca s’égrènent, sa mémoire s’effeuille, son destin s’éclaire.
Un des arguments majeurs de l’ouvrage, rappeler que Casablanca n’est pas née avec le Protectorat
Par quatre fois, le site fut secoué par les tremblements du temps : résolu à rayer de la carte «l’hérétique» Anfa, le sultan almohade, Abdelmoumen, fit passer ses habitants au fil de l’épée ; furieux de voir ses navires pris d’assaut par des pirates depuis le port d’Anfa, le Portugal y dépêcha une armée forte de 50 navires et de 10 000 hommes, avec mission de la mettre à feu et à sang ; en 1765, elle subit un terrible séisme ; en guise de riposte à des émeutes ouvrières «fomentées» par des autochtones, la France bombarda impitoyablement la ville, en 1905.
Iconographie parfois rare ; écriture limpide, entraînante, aimante
D’éclipses, de mises au tombeau et de résurrections, ainsi que le suggèrent ses dénominations successives, Anfa, Casa Branca (nom donné par les Portugais en 1575), Dar el Beïda (selon la volonté du sultan alaouite Sidi Mohammed Ben Abdallah), enfin Casablanca (telle qu’elle fut rebaptisée par les marchands espagnols, à la fin du XVIIIe siècle), de tout cela le parcours de Casablanca fut émaillé, nous rappelle Abdeljalil Bounhar.
Casablancais pur jus, Abdeljalil Bounhar a mûri son ouvrage sur sa ville chérie pendant vingt ans. Sans sa rencontre avec l’éditeur Abdelkader Retnani, autre givré de Casablanca, à laquelle il avait déjà dédié trois beaux livres, il aurait mis son livre sous le boisseau. Retnani, à son tour, ne se serait pas embarqué dans l’aventure si Stroc Industrie n’avait pas apporté sa pierre, sous forme d’un écot substantiel, à l’édifice. Et l’édifice est intéressant à maints égards. D’abord, de par son iconographie, souvent de bonne tenue, parfois rare, qui offre à voir des cartes postales introuvables, des dessins éloquents de Paul Neri et des photographies expressives signées Bounhar, Boussuge, Bertou, Alhambra, Flandrin, Maillet, Levy ou Neuridien. Ensuite, grâce à la qualité de ses textes, bien informés et soutenus par une écriture limpide, entraînante et aimante.
Enfin, en raison du parti-pris de l’auteur de se démarquer des autres «biographes» de Casablanca, en remontant aux sources de son histoire, puis en proposant une visite guidée, au travers de laquelle ne défilent pas seulement les lieux huppés, mais aussi les marabouts, les quartiers mal lotis et les marges de la mégapole tentaculaire.
Pour s’imprégner des senteurs bariolées casablancaises, rien de tel que des visites assidues à Anfa, Dar el Beïda, Casablanca.
* Par Abdeljalil Bounhar, La Croisée des chemins, février 2010, 800 DH.
