Culture
Saïd Bey, les facettes d’un acteur de talent
Il a remporté le prix du meilleur acteur au Festival de cinéma de Dubaï
Son rôle dans le dernier film de Swel et Imad Noury, «The man who sold the world», a été unanimement applaudi
Après avoir vécu longtemps de petits rôles, il a connu la consécration en tenant le premier rôle d’un téléfilm en 2001.

On pourrait l’écouter pendant de longues heures parler de sa passion, de sa soif du cinéma. Ambitieux, Saïd Bey n’a pas cessé de relever les défis durant toute sa vie. «Une vie sans défis ne vaut rien», une phrase qu’il prononce avec jubilation, des étincelles dans les yeux. C’est cette envie de se surpasser qui l’a encouragé à participer au dernier long-métrage de Imad et Swel Noury, The man who sold the world.
Décrié par certains, applaudi par d’autres, le film qui a représenté le Maroc au dernier festival du cinéma de Marrakech n’a pas fait l’unanimité. «C’est vrai que le film n’a pas remporté de prix à Marrakech, mais cela n’amoindrit en rien sa qualité. D’ailleurs, il a été sélectionné à Dubaï où il a raflé le prix du meilleur acteur arabe de l’année et au prestigieux festival de Berlin». Convaincu et convaincant, l’acteur l’avoue volontiers : «The man who sold the world» n’est pas un film pour le grand public. «C’est une adaptation du roman Un cœur faible de Fedor Dostoïevski. Croyez-moi, adapter les romans de ce génie de la littérature n’est point une mince affaire». Saïd Bey a-t-il accepté de participer dans ce film parce qu’on lui a proposé de jouer le premier rôle ? «Pas du tout. Je ne savais pas que X était le personnage principal du film. Ce n’est qu’après la lecture du scénario que je l’ai appris». Une fois immergé dans le scénario, Saïd Bey a tout de suite su qu’il tenait entre les mains «quelque chose d’exceptionnel». Le texte l’a saisi. «Le personnage de X m’a beaucoup plu. En lui, chacun peut retrouver quelque chose de soi-même ou de ses proches. C’était un défi de camper ce personnage qui passe de la joie à la tristesse en un temps record… L’histoire m’a fasciné». C’est cette même histoire qui a soulevé un tollé à cause de certaines scènes jugées trop «osées». Certains critiques ont même accusé le film d’encourager l’homosexualité. «Ce sont des critiques qui n’ont aucun fondement. Le film relate l’histoire de deux amis intimes qui s’entraident pour s’en sortir. Je suis sûr que ces gens n’ont même pas regardé le film. Et puis, je ne comprends pas pourquoi on n’avait pas apprécié qu’il représente notre cinéma à Marrakech. Il s’agit bien d’un film marocain… Le 7e Art au Maroc est en train de faire un grand pas. Il faut donc encourager les artistes au lieu de les attaquer gratuitement».
Cinéma. Il y a de la magie dans le mot. De la création, de l’imagination, des horizons. Et puis de la liberté. Tant de rêves et de mystères. «Faire du cinéma était mon rêve». Saïd Bey ne sait plus trop à quand remonte le rêve. Quand on est né à Aïn Taoujtate, un patelin entre Meknès et Fès, d’un père instituteur et d’une mère femme au foyer, l’art n’est pas une référence naturelle. «Enfant, j’attendais la fête du Trône avec impatience. C’était la seule occasion pour faire du théâtre». Quelques années plus tard, Saïd crée, en compagnie de quelques amis, une association dont l’objectif était d’organiser des activités culturelles à Aïn Taoujtate. Saïd y encadrait, au niveau théâtral, les jeunes. Cette période lui arrache un sourire ému. «J’avais acheté à l’époque plusieurs livres sur le théâtre et le cinéma afin de bien orienter les enfants et les jeunes de ma ville. Ce n’est qu’après que j’ai découvert que toutes mes connaissances étaient complètement erronées».
Le bac en poche, le jeune homme décide de s’inscrire à l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (ISADAC) au grand dam de son père qui rêvait de le voir réussir une carrière dans l’enseignement. «C’était hors de question… J’avais un objectif et il fallait l’atteindre. Faire des études de théâtre était le seul moyen de répondre à l’appel de l’art». Commence alors une nouvelle page dans la vie de Saïd Bey. Le jeune homme quitte sa Aïn Taoujtate natale et rejoint la capitale où, bien sûr, il fallait affronter les difficultés et vicissitudes inhérentes aux grandes villes. Les quatre années passées à Rabat ont été sanctionnées par le diplôme de l’institut. C’était en 1996, le début de la désillusion…
L’acteur aujourd’hui célèbre a trimé. Il se rappelle : «Quand j’étais étudiant, j’avais participé à un film étranger tourné à Ouarzazate. L’expérience était tellement réussie que je pensais que le travail dans le domaine du cinéma était agréable et que je pouvais recevoir mon argent juste à la fin du tournage. Hélas, la réalité était toute autre». Saïd peine en effet, à trouver des rôles. Que faire ? Laisser tomber son rêve et rentrer à Aïn Taoujtate ? Aucune envie d’y retourner bredouille. Il s’incruste, dépose son CV dans les différentes boîtes de production nationales, cherche des petits rôles dans les films marocains et étrangers… Et participe au long métrage de Mohamed Ismaïl, Et après. «C’était mon premier rôle dans un film cinématographique». Et c’est encore Mohamed Ismaïl qui lui offre, une année plus tard, «la chance de [sa] vie». Après plusieurs années de labeur, Saïd arrive enfin à décrocher un premier rôle dans un téléfilm marocain, Amwaj Al Barr. «Grâce à ce téléfilm, le grand public m’a remarqué. La petite lucarne participe fortement à la popularité de l’artiste». Les rôles se suivent et ne se ressemblent pas.
La carrière de Saïd décolle enfin. Au bout de quelques années, l’acteur gagne la confiance des cinéastes marocains. Il faut dire que ce qui compte pour lui, c’est sa relation avec le réalisateur. Elle doit être basée sur la confiance et le respect. «Je peux vous dire qu’entre certains réalisateurs et moi-même s’est établie une vraie complicité qui facilite le travail lors du tournage. Je cite, entre autres, Adil Fadili qui a réalisé la série Al Kadia».
Justement, Saïd Bey n’a-t-il jamais pensé à se mettre derrière la caméra ? «Franchement, l’idée ne m’a jamais effleuré. Je sais que devenir réalisateur est à la mode en ce moment, mais cela ne m’intéresse pas particulièrement». Un moment de réflexion et il ajoute : «J’aimerais bien réaliser un court métrage. L’objectif étant de faire quelque chose de personnel, d’être le patron sur le plateau de tournage. Vivre une expérience pareille sera certainement intéressant… Sinon, me lancer dans une carrière de réalisateur ne me dit rien».
Soucieux de l’avenir de notre cinéma, le comédien s’insurge contre la fermeture des salles obscures. Pour lui, il ne peut y avoir de progrès dans notre cinéma sans une politique qui incite à sauvegarder les salles.
Théâtre, la passion de toujours
«C’est vraiment lamentable ce qui se passe… Aujourd’hui, on peut compter les salles de cinéma au Maroc sur les doigts d’une main. Même celles toujours existantes sont boycottées par le public». Saïd Bey ne s’arrête pas là. «Pensez-vous que 25 ou 30 DH sont des prix susceptibles d’encourager les gens à aller voir des films marocains ? Je pense qu’il faut baisser les prix et mettre en valeur le produit national qui subit une concurrence acharnée».
«La crise» constatée au niveau du cinéma est valable pour le théâtre, affirme Saïd qui reste parmi les rares acteurs marocains à pratiquer l’art dramatique régulièrement.
«Le théâtre est mon premier amour. C’est sur scène que je me sens vraiment à l’aise. La chaleur du public me pousse à donner le meilleur de moi-même». Après avoir travaillé plusieurs années, avec le metteur en scène Driss Roukh, Saïd a rejoint récemment la troupe «Dabateater Citoyen», dont le dramaturge n’est autre que le journaliste et écrivain Driss Ksikès. Saïd parle de son travail au sein de cette troupe avec enthousiasme. «Nous sommes en tournée actuellement dans les différents centres culturels français du Royaume. En plus, nous avons mis en place des tarifs très encourageants qui ne dépassent pas les 20 DH. Notre objectif est de redorer le blason du théâtre au Maroc».
L’année s’annonce prolifique pour Saïd. Son nouveau film, Ouled L’blad (long métrage de Mohamed Smaïl), sera projeté en avant-première au prochain Festival du film national de Tanger. L’acteur qui s’impose aujourd’hui dans le cinéma marocain remercie son instinct et sa «bonne étoile». «J’ai bien fait de ne pas déposer ma candidature au ministère de l’éducation nationale. N’est-ce pas ?».
