SUIVEZ-NOUS

Culture

Rencontre : Jowee Omicil, un souffle sacré à Fès

À 17h, dans la chaleur vibrante du jardin Jnan Sbil, Jowee Omicil a mis le feu à la 28e édition du Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde, ce 20 mai 2025. Son free-jazz, aussi brûlant que sensuel, porte l’âme de SpiriTuaL HeaLinG: Bwa KaYimaN FreeDoM SuiTe. Rencontre avec ce saxophoniste haïtiano-canadien, cornet au poing, qui fait danser révolte et spiritualité dans un souffle irrésistible.

Publié le


Mis à jour le

À peine descendu de la scène du jardin Jnan Sbil, Jowee Omicil, saxophoniste nomade et sorcier du free-jazz, nous reçoit avec un cornet de poche vissé aux lèvres. Entre deux questions, il souffle des notes brutes, comme si la musique refusait de s’éteindre après son set. En cette fin d’après-midi, dans le cadre de la 28e édition du Festival de Fès des musiques sacrées du monde, l’artiste haïtiano-canadien a livré une performance vibrante, un écho de son album SpiriTuaL HeaLinG: Bwa KaYimaN FreeDoM SuiTe (2023), où la révolte et la méditation dansent ensemble. Rencontre avec un musicien qui se fait canal des esprits, entre Fès et l’infini.

«C’est le jazz que moi je prône. Un jazz qui n’a pas de limites. Tonal, atonal, surtonal, bashtonal. Pas de frontières, pas de limites mélodiques, rythmiques, spirituelles». Omicil parle comme il joue : avec une liberté qui déborde, un flow qui slalome entre les concepts et les silences. Son jazz, c’est une transe sans barrières, un hommage à Ornette Coleman autant qu’aux ancêtres haïtiens de la révolution de 1791, dont l’esprit hante son dernier album. À Fès, ville-carrefour où les musiques sacrées se croisent, son saxophone semblait invoquer des forces anciennes, entre cri de révolte et prière apaisée.

Quand on l’interroge sur la dimension spirituelle de sa performance, Omicil s’anime : «On accède à différentes entités durant le spectacle. On les appelle, on les honore, on les reconnaît. Et quand on les reconnaît, ils nous utilisent. On devient des canaux». Pour lui, la musique est un rituel, un «besoin du sacré» où le spirituel et l’artistique s’entremêlent. Son show à Jnan Sbil était une cérémonie : un dialogue avec des forces invisibles, inspiré par la cérémonie vaudou de Bwa Kayiman, ce soulèvement d’esclaves qui a fait trembler les colons haïtiens. «C’est le sacré, oui. Et du spirituel. Ça va ensemble».

Renaissance, toujours

Le thème de cette édition du festival, «Renaissances», résonne dans ses mots comme une évidence : «Chaque jour, c’est un renouveau. Une opportunité de se perfectionner, même dans cette imperfection perpétuelle». Omicil ne croit pas en la stagnation. Sa musique, comme sa vie, est une quête d’ascension, nourrie par le silence et l’humilité. «Pour renouveler, il faut voyager, méditer, rester dans le silence. Ça nous humilie, et dans cette humilité, on peut ascender». Sur scène, cette renaissance s’incarne dans des improvisations qui surprennent même leur créateur : «Tout à l’heure, ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. Mais ce que j’attends, ça ne sert à rien. Ce qui compte, c’est ce que le grand maître, là-haut, veut faire avec nous».

Comment tisse-t-il alors un pont entre les traditions musicales – haïtiennes, africaines, jazz, caribéennes – sans que ça ne sonne jamais forcé ? «L’accessibilité authentique des entités», répond-il, énigmatique. «En étant ouvert, on reçoit des fréquences inattendues». À Fès, ville de confluences, son jazz devient un carrefour où les cultures dialoguent sans hiérarchie. Son saxophone, tour à tour rageur et méditatif, capte ces «signaux» pour les transformer en une musique qui transcende les attentes.

Fès, la note inattendue

Et Fès, qu’a-t-elle inspiré à ce griot moderne ? « Fès… », souffle-t-il, laissant le mot en suspens comme une note qu’il n’a pas encore fini de jouer. Dans cette ville où le spirituel imprègne chaque pierre, Omicil semble avoir trouvé un écho à sa quête d’absolu. Son concert, porté par le souffle de ses saxophones et la liberté de son improvisation, a transformé Jnan Sbil en un espace de communion, où le public, suspendu, a vibré au rythme de ses «fréquences».

Jowee Omicil ne s’arrête jamais. «Ma musique se renouvelle constamment. Même là, pendant qu’on parle, je cherche des notes, j’entends des trucs». Entre deux phrases, il esquisse un air, comme si le silence était une partition à remplir. À Fès, il a offert plus qu’un concert : une expérience où la musique devient prière, révolte, et renaissance. «C’est l’amour perpétuel, sans fin, sans limite», conclut-il. Et dans cet amour, il y a la promesse d’un jazz qui ne s’éteint jamais.