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Culture

Que faire ?

Comment défendre un projet de société fondé sur l’ouverture,
le respect de l’autre, l’acceptation de la différence dans un contexte
où la misère, la frustration, l’analphabétisme, l’arbitraire,
l’inégalité ferment les cÅ“urs et les esprits ? Une seule certitude : certainement pas par la désertion.

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Un procureur général, un avocat engagé dans la lutte des droits de l’homme, un militant associatif et un représentant de la CGEM, le plateau réuni pour la circonstance était de poids. Il faut dire que la question posée – «16 mai : quels enseignements ?» – l’était tout autant. Cependant, avant même que toute prise de parole n’ait eu lieu, une première réponse est venue de la salle : habituellement bondé pour ce type de conférences, le grand amphithéâtre de la faculté de médecine où se tenait la rencontre était aux trois-quarts vide. Pour commémorer ce jour funeste inscrit en lettres de sang dans l’histoire moderne du pays, ce jour où 43 innocents ont payé de leur vie la folie intégriste, seules quelques dizaines de personnes avaient jugé bon de se déplacer. Cinquante-deux, très exactement, devait compter un intervenant en s’émouvant de ce nombre si modique au regard de l’importance de l’anniversaire célébré. Etait-ce l’approche des examens qui expliquait la quasi-absence des étudiants ? Et les autres, ces membres de la «société civile» pourtant si friands d’échange et de débat, quelle raison majeure pouvait-on invoquer pour expliquer leur si faible présence?
Fidèle à sa ligne, le collectif Modernité et démocratie, comme bon nombre d’autres associations et institutions engagées dans le combat citoyen, avait tenu à marquer cette date en conviant le public à venir réfléchir sur l’événement et sur les deux années écoulées depuis sa survenue. Le 16 mai 2003, une certaine image de soi s’est écroulée, cette image d’un pays «terre de tolérance et de dialogue» vacciné par son histoire et sa culture contre les dérives terroristes. Depuis, lancinante, revient avec régularité la question : «Que faire pour qu’il n’y ait plus jamais ça !», «Plus jamais ça» ! Cette formule, lourde de symboles, est devenue nôtre, à nous aussi. Chaque acte posé par les responsables politiques, ou par tout acteur engagé dans la vie publique, est désormais disséqué dans ce sens, la menace d’un autre 16 mai hantant en permanence les consciences. Au cours de ces deux ans, «qu’a-t-on donc fait ?», ont par conséquent demandé les organisateurs de la rencontre à leurs invités. Fut ainsi évoqué l’engagement nouveau de l’entreprise dans l’action citoyenne en énumérant les multiples projets mis en place. Le travail de fourmi accompli par les 30 000 associations actives sur le terrain avec le rappel, d’une part, que celles-ci ne sauraient se substituer à l’Etat, et, d’autre part, que celui-ci devait leur donner les moyens institutionnels d’agir. Les mesures prises en matière de sécurité, le militant des droits de l’homme dénonçant les dérives répressives et le procureur général, tout en reconnaissant l’existence de celles-ci, ayant à cœur de spécifier qu’elles demeuraient de moindre mesure au regard de l’horreur des crimes commis. La parole fut aussi donnée à la représentante des familles des victimes, elle-même frappée dans sa chair par la perte d’un époux. Dans une intervention chargée d’émotion contenue, elle rappela combien il était important, au-delà de tout esprit de vengeance, de revenir sur les événements pour en circonscrire les causes. Or, il semble que ce soit là que le bât blesse. Dans ce travail entrepris pour remonter aux sources du mal et dans les dispositions prises pour véritablement les combattre. «Rien n’est fait, rien n’a été fait», a lancé, dans un cri du coeur, le bouillonnant Simon Levy, militant nationaliste et progressiste de la première heure. Et de stigmatiser l’action toujours prégnante de l’idéologie obscurantiste qui a rendu possible de tels passages à l’acte. Cependant, au-delà de tous les constats, la question «que faire ?» et surtout «comment faire ?» est demeurée entière. A voir cet amphithéâtre déserté par le public, qu’il s’agisse des plus jeunes ou des adultes, des «modernistes» ou des «fondamentalistes», on ne peut que constater à quel point l’attitude qui paraît prévaloir au sein de la société est d’occulter le problème plutôt que de devoir butter sur des questions sans réponses. Et de devoir se colleter au sentiment pénible de son impuissance. Car, face à la complexité des situations, on se trouve régulièrement exposé à l’impuissance et au désarroi. A la prison d’Outita, Khalid Boukri, un des détenus islamistes engagés depuis le 2 mai dans une grève de la faim pour une révision de leur procès, est décédé. Que faire face à cet autre drame ? Comment à la fois veiller au respect scrupuleux des droits de l’homme et combattre ceux qui véhiculent une idéologie meurtrière ? Comment défendre un projet de société basé sur l’ouverture, la tolérance, le respect de l’autre, l’acceptation de la différence dans un contexte où la misère, la frustration, l’analphabétisme, l’arbitraire, l’inégalité ferment les cœurs et les esprits ? Une seule certitude : certainement pas par la désertion. Etre là, encore et toujours, fort de ses principes et de ses convictions, cela est et reste la réponse