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Culture

Quand des sans-papiers jouent du théà¢tre devant des officiels

Le Festival Rabat Africa qui s’est déroulé du 18 au 21 juin s’est ouvert sur la pièce de théà¢tre «La longue marche des hirondelles», jouée par des immigrants subsahariens clandestins.
18 comédiens et danseurs jouent, chantent, dansent et racontent les péripéties d’une longue traversée.

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Un village se réveille. Embrassades, éclats de rires, échange d’amabilités… et puis roulement de tambours… la guerre, des morts, des corps par terre, des pleurs et des chants…, c’est là que l’histoire commence ou plutôt se répète. S’annonce alors une longue marche pour ces Africains qui fuient la guerre et la misère. Mais peut-on raconter l’histoire de la pièce de théâtre La longue marche des hirondelles qui a été jouée à Rabat le 18 juin en ouverture de la IVe édition du Festival Rabat Africa ? Pas vraiment, il n’y a pas d’histoire. Il y a de la douleur, un combat, des pas que l’on entend même en quittant la salle de répétitions. Mais il n’y a pas que la misère dans cette pièce et c’est tant mieux ! Il y a aussi beaucoup de joie, de danse et d’espoir. Cependant, on ne peut aborder La longue marche des hirondelles sans parler de la fondation Orient-Occident, sans évoquer le combat de Yasmina Filali, sa présidente, son engagement et tous ceux qui la soutiennent.
Ils s’appellent Tiffene, Dieudonné, Yanick, Carine, Amena, Clémentine, Pierre, Patrick, Etienne… ils viennent du Congo-Brazzaville, de la République Démocratique du Congo, de Côte-d’Ivoire ou de Madagascar. Ils ont encore une fois affirmé leurs désirs de résister, d’avancer. Cette fois-ci, c’est à travers le théâtre qu’ils racontent leurs histoires. Ils se sont regroupés autour d’un projet commun. La longue marche des hirondelles est une pièce de théâtre qui rassemble 18 comédiens et musiciens, subsahariens en situation irrégulière pour la quasi-totalité. Tous amateurs, certes, mais la surprise est grande lorsqu’on les voit jouer, lorsqu’on les entend chanter, lorsqu’ils dansent sur scène et qu’ils transmettent les vibrations les plus fiévreuses de leurs corps.
Tout a commencé, il y a trois mois. «J’ai rencontré une soixantaine de personnes et j’en ai gardé 18. Nous sommes partis de très loin. C’est des gens qui n’ont aucune notion de théâtre. Nous avons travaillé pendant 8 heures pas jour, dans la difficulté. ça a été ardu pour tout le monde. Nous avons dû faire des exercices, des stages de théâtre, des formations d’acteur  et, au bout  de trois stages successifs, nous avons mis le texte par terre et nous l’avons décortiqué». Lorsque Si’Mohamed El Basri, le metteur en scène de la pièce, dit avoir posé le texte à même le sol, ce n’est pas une simple  image et la symbolique du geste est forte. «Nous avons jeté le texte et nous l’avons ramassé lettre par lettre, mot par mot pour remonter à sa structure. Par la suite, nous nous sommes attaqués à sa compréhension, nous avons discuté ses objectifs, sa trajectoire et ses personnages», dit-il.
Le texte de Abdelhak Serhane a été porté par le tandem Si’Mohamed El Basri et la chorégraphe Keren’Or Pézard, qui ont donné à la pièce sa dynamique, son rythme, son cachet. «Il a fallu trouver le juste milieu pour que le rapport de la mise en espace et du mouvement ne viennent pas empiéter sur l’audibilité du texte. Les comédiens deviennent danseurs, les danseurs comédiens…il y a des scènes sans paroles». Et ce sont souvent les plus touchantes.

Il a fallu dépasser les écueils et faire preuve de patience

La pièce s’est construite «comme les hélices de l’ADN, précise M. El Basri. C’était un montage parallèle. La musique et la danse s’y sont greffées naturellement». La danse et le chant ont permis de tisser l’histoire, d’articuler le récit. La virtuosité du metteur en scène est visible. Elle s’exerce à travers sa capacité à se déjouer des écueils que présente le texte. Car même si la pièce de Abdelhak Serhane semble être un cri du cœur, l’auteur est malheureusement tombé dans la facilité des discours, tant de fois entendus, et dans les clichés.
Assister aux répétitions de La longue marche des hirondelles est un véritable moment de bonheur et de partage. La discipline est un concept qui semble étranger à la troupe. Ici, au sous-sol de la Fondation Orient-Occident, on a appris à travailler avec les moyens du bord. La salle de répétitions est plutôt un lieu de vie. En plus des comédiens, des musiciens, du metteur en scène et de la chorégraphe, on trouve… des bébés. Deux mamans jouent dans la pièce et on peut dire que leurs enfants aussi … parfois. La vraie vie et la fiction se font écho, se confondent, l’effet est touchant. Autre particularité : on ne badine pas avec la sieste, c’est un moment quasi sacré. Pour réveiller les comédiens, Si’Mohamed El Basri et Keren’Or doivent faire preuve de beaucoup de patience. Mais l’ambiance est bon enfant même si, parfois, et comme le confie le metteur en scène, «nous avons beaucoup pleuré en jouant cette pièce car il arrive souvent que la fiction rejoint la réalité». 
D’autres fois, «les comédiens refusaient les répétitions», raconte en souriant Si’Mohamed. De toute évidence, il n’est pas aisé de diriger des amateurs. Mais le metteur en scène semble avoir bien plus qu’un tour dans son sac : «Il y a deux façons de faire le théâtre. Soit nous travaillons avec des professionnels qui ont la capacité de lire une intention de mise en scène. La deuxième façon de faire, c’est la construction des différents personnages à travers la destruction de tous les écueils et obstacles que peuvent rencontrer les comédiens pour que le jeu soit fluide et c’est ce que j’ai choisi. Nous avons fait beaucoup d’exercices et, en fonction de la possibilité de chacun, j’ai fait la distribution». Pour Keren’Or, la tâche a été un peu plus facile, «ils savent tous danser. Le plus mauvais danseur est considéré comme bon danseur chez nous». Si Abdelhak Serhane a écrit son texte (une commande de la fondation) avant de rencontrer les migrants, Keren’Or a choisi l’interaction avec les danseurs. «Je me suis beaucoup inspirée de leurs danses et c’est à partir de cet apport que j’ai construit la chorégraphie». La même démarche a été adoptée pour le chant. «Nous leur avons demandé ce qu’ils chantent lorsqu’ils sont tristes ou lorsqu’ils sont heureux… et c’est à partir de là que tout a été construit».
Lorsqu’on regarde la pièce de théâtre La longue marche des hirondelles, on ne se rend pas compte à quel point la tâche a été difficile. Tout semble harmonieux et on oublierait presque l’histoire de ces sans-papiers qui sont à la fois témoins et sujets de leur propre misère.
Depuis trois mois, le pari a été de résister, dépasser le souci financier auquel sont confrontés tous les jours les comédiens, qui pour la plupart ne travaillent pas. «C’est un tout petit budget qui était prévu au départ pour la pièce, un budget que nous avons dépassé de très loin. La présidente de la fondation paye de son propre argent la nourriture des comédiens, leur transport et les défraye, cela fait 130 DH par personne. Ils sont dix-huit…, imaginez la note !».
Les problèmes financiers sont bien réels mais les comédiens sont trop fiers pour en parler. «Je préfère parler de théâtre s’il vous plaît», assène doucement Carine, jeune congolaise de 34 ans qui veut concrétiser son rêve, celui de devenir comédienne. «Avant, dit-elle, je ne connaissais rien au théâtre. Mais maintenant que j’ai fait cette expérience, cela me subjugue. Si’Mohamed m’a montré que j’étais capable de faire des choses. Aujourd’hui, je peux parler devant une foule de gens, vous ne pouvez pas savoir ce que ça me procure ! C’était très dur au départ mais nous avons réussi car nous sommes très bien entourés. Si’Mohamed est un peu notre papa. On le taquine souvent mais c’est parce qu’on l’aime. Yasmina s’occupe très bien de nous et je veux leur dire à tous merci. Je demande à Dieu de me donner la chance et la possibilité de continuer à travailler avec Si’ Mohamed parce qu’il est bon. Je n’ai jamais rencontré de ma vie un homme aussi bon. Son travail nous va droit au cœur !». Pour Dieudonné, cet autre Congolais installé à Rabat depuis deux ans, la découverte est totale : «Pour moi le théâtre c’était du divertissement mais j’ai appris que c’est beaucoup de travail et c’est un travail que je respecte». Le seul enfant de la troupe s’appelle Yanick, il a 14 ans et vient de Madagascar, le verbe haut, il déclame son texte avec conviction. Yanick veut devenir comédien et on peut lui dire qu’il l’est déjà.
En tout cas, la magie semble avoir opéré le soir de la représentation. Bonne chance aux hirondelles qui ont déjà pris leur envol vers un nouveau départ dans la vie. Reste à savoir s’il pourront faire de cet art un tremplin pour régulariser leur situation. Ironie, tout clandestins fussent-ils, ils ont joué leur spectacle -et leur vie ! – devant des officiels.