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Culture

Poème urbain, poètes désenchantés

Paru chez Le Fennec et présenté lors du Salon du livre de Casablanca (29 mars – 7 avril), «Poème urbain» raconte Casablanca du point de vue de vingt nouvellistes, musiciens, journalistes et poètes. Une plongée réaliste, parfois sordide, souvent poignante dans les affres de la métropole mal aimée.

Publié le

Poeme urbain 2013 04 11

Loin des malls luisants et des vitrines figées, loin des images retouchées au sécateur de l’Office du tourisme qui font ressembler Casablanca à Oslo (le jour) et à Tokyo (la nuit), loin du film hollywoodien à succès et de l’élégant restaurant qui s’en inspire, il existe un Casablanca remuant, beuglard, névrotique, un Casablanca «authentique» infligé chaque jour à des millions d’authentiques citoyens.
Parmi eux, une vingtaine passe aux aveux. Poème urbain est leur soupir accablé, leur grondement, leur supplique. Leur cri d’enthousiasme, d’espoir, rarement. Driss Abouzaid doit se sentir bien seul là-dedans. Lui qui, page 97, hurle son amour pour Casablanca la «merveilleuse». Éblouissante malgré ses sillons, ses trous, sa saleté, sa puanteur. Qui a dit qu’il fallait être jeune et belle pour remuer les tréfonds de l’âme ? La beauté n’est-elle pas souvent fadeur et ennui ?
Ne la croise-t-on pas aussi la nuit, dans les bas-fonds, armée d’un rasoir tranchant et d’un sourire tragique, prête à enfourcher n’importe quelle mobylette, n’importe quel homme, pourvu qu’il y ait l’ivresse et un peu d’argent ? D’une plume mâle, drue, révoltée, Malika Moustadraf vous le raconte, le Casablanca nocturne et hostile des hommes qui ne peuvent se montrer le jour, qui mettent leur«différence» à l’abri de l’uniformité, de la cruauté de masse. Et les femmes dans ces lugubres trottoirs où se déversent des seaux d’eau noire et des flots de testostérone ? D’une main délicate, tremblante d’émotion, Amira-Géhanne Khalfallah vous déclame leur drame, leurs séductions, leurs supplices, leurs cris qui apitoient, exaspèrent, puis indiffèrent.

La ville blanche aux sombres horizons

«Ce livre n’est pas une promenade dans des lieux. C’est un parcours chaotique de la ville, d’avatar en avatar. Un manifeste de la ville au présent, faisant coexister les différences générationnelles, les quartiers, les thèmes, les genres littéraires, les langues», écrivent dans un avant-propos Les directeurs éditoriaux Kenza Sefrioui et David Ruffel. Cela n’a rien d’une lecture sédative ou euphorique, vous voilà prévenus. Vous serez secoués de spasmes, vos entrailles se tordront de douleur, de dégoût, parfois. D’émotion, toujours. Comme Abdelmajid Arrif, vous la visualiserez bien, cette «nafta», cet abcès purulent qu’est devenue Casablanca, à deux doigts d’éclater, de répandre son coulis de misère. Comme Fedwa Misk, vous étoufferez dans le goulot du tunnel crevassé du boulevard Zerktouni ; dans le vacarme automobile, vous noierez l’angoisse, la fureur et la stupeur de vivre sous le joug des klaxons, dans les entrailles de la ville-monstre, de la ville-paradoxe.
Comme Issam-Eddine Tbeur, vous ressentirez l’oppression de ces blocs d’immeubles «sans âme ni esthétique» dits d’habitat social, la promiscuité, l’entassement et surtout la tyrannie du bruit. Comme Réda Allali, vous éprouverez un mélange de tendresse et de consternation à la vue de ces vagues rouges et vertes, de ces masses rugissantes, affolantes, du Derby. Comme Hamid Zaid, vous irez au Cintra écouter le luthiste Sekkat, et vous le trouverez sublime, ce doux consolateur, cet ange déchu, malgré les fausses notes, malgré la voix enrouée, malgré la fumée aveuglante et le tapage des ivrognes. Vous lirez le Casablanca que vous connaissez, en somme, agrémenté de poésie et de douces désillusions. De l’esprit et de la grâce décrivant un amas de mortier et de mortes espérances.

“Casablanca œuvre ouverte”, coffret de deux livres comprenant : “Fragments d’imaginaire” et “Poème urbain”. Editions  Le Fennec 2013. 145 dirhams.

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