Culture
Najib Refaif à la recherche du «temps marocain»
«Un temps marocain» est la compilation de chroniques de l’auteur et journaliste Najib Refaif, originalement publiées dans «La Vie éco» et «Le Courrier de l’Atlas», sur une période de plus ou moins vingt ans. L’ouvrage, paru chez Virgule Editions, esquisse un Maroc effervescent, entre moments clés de l’histoire et histoires du quotidien anonyme.

Vous n’avez qu’à tourner ces modestes pages pour tomber sur la dernière chronique de Najib Refaif. Car à La Vie éco, l’auteur a dédié, depuis deux décennies déjà, ses plus belles partitions, composées au gré de l’éphémère. Chroniqueur de talent et «prospecteur humaniste et libéral de la meilleure eau», comme le décrit si bien le doyen des journalistes Abdallah Stouky, Najib Refaif a su donner des dimensions nouvelles à des faits divers sans relief et des actualités plates, qui buzzent plus qu’elles ne mordent. Un don qu’il s’est retenu de distiller ailleurs que dans les colonnes de notre hebdomadaire. C’est sans doute ce qui explique la richesse du contenu de la rubrique, aujourd’hui rassemblé en livre. Nous ne dirons, d’ailleurs, pas mieux que le poète et essayiste Léon-Paul Fargue qui décrit la chronique comme «l’art de ne rien dire à propos de tout, de tout dire à propos de rien. Une tache d’encre qui aurait une âme… un bouquet de lieux communs passés au tamis». C’est exactement cette visite guidée dans les lieux communs, avec un regard nouveau et une culture balèze, que nous offre l’auteur lorsqu’il aborde ses sujets de prédilection. C’est à dire l’intellectuel, entre ses silences et ses soubresauts, l’inculture érigée en valeur, l’ignorance sacrée du religieux, la vérité au temps du buzz, la pluie, le beau temps, les tons de la beauté chaque fois que le permet la laideur, la politique et ses affres, le bonheur et ses raisons que la raison ignore, mais royalement…
Citer n’est pas tromper
Pour fabriquer une bonne chronique, l’anecdote et l’humeur sont des ingrédients clés. Mais d’autres éléments s’imposent : une logique infaillible, de la suite dans les idées, de la réactivité non réactionnaire et un sens esthétique élevé qui ne peut que rayonner en présence d’une dose d’humour et de malice. Tout cela ne saurait fermenter sans une base épaisse de culture générale. Et pour cela, on peut compter sur Najib Refaif qui est un lecteur en série, amoureux des bons mots et du bon sens.
Dans la préface du livre, Abdallah Stouky met d’ailleurs l’accent sur «le tissu citatif et le recours aux magnifiques extraits poétiques» qui dénote justement de la richesse des lectures de l’auteur. Lesquelles lectures reviennent sans cesse, non pour faire bonne figure, mais pour corroborer le sens recherché et surtout trouvé dans chaque chronique. On entend presque l’auteur converser avec son tas d’amis imaginaires auxquels il s’est lié par la voie de la lecture. Et bien qu’on s’y perdrait presque parfois à chercher le pourquoi du comment du recours à une citation, on finit toujours par trouver le lien entre une maxime de Confucius et un papier sur le foot, d’un aphorisme de Cioran et de la folie de l’Etat Islamique, ou d’une phrase d’Aragon et le rite de circoncision.
En beaux mots
La liberté dont jouissait (et jouit toujours) Abdellah Najib Refaif dans les colonnes de La Vie éco lui a permis de glisser, parmi ses chroniques, des textes qui, fictifs ou pas, ont toute la beauté et la littéralité dont peut s’enorgueillir le genre de la nouvelle. Cette beauté s’illustre particulièrement dans des textes racontant des histoires banales de parfaits inconnus, que la grande Histoire ignore superbement, et qui s’évanouissent dans le quotidien des faits divers et autres buzzs. Un pêcheur solitaire, rêveur sans culture, un cordonnier misanthrope qui n’a d’ami qu’un homme pieux et la bouteille, une confrérie de navetteurs solitaires ou une cantatrice à Balima… Contrairement à nous autres journalistes, «historiens du présent, à tort ou à raison» comme il nous décrit, le chroniqueur s’attarde avec la même attention sur les aspects ordinaires que sur l’actualité majeure. Il y prend le plaisir de se proclamer historien des gens de peu, des gens de rien. Le style y est plus poétique, la verve féconde, de la trempe de ceux qu’il cite sans cesse, avec admirationn f.m.
