SUIVEZ-NOUS

Culture

Musiques sacrées du monde: Fès-tival de l’âme, un vortex d’émotions

À Fès, l’air vibre et le sacré s’éveille. Des femmes de Mayotte aux Tambours du Burundi, chaque performance est un voyage sensoriel. La transe a pris possession de la médina, et elle ne fait que commencer !

Publié le


Mis à jour le

La 28e édition du Festival des Musiques Sacrées du Monde, sous le thème «Renaissances», a transformé la médina en un volcan d’émotions brutes. Dès 19h30, entre les murailles de Bab al Makina qui ont vu défiler des siècles, une horde d’artistes a mis le feu à la scène, convoquant l’Afrique, la nature et l’extase dans un spectacle qui ne s’excuse pas d’exister. La Princesse Lalla Hasnaa était là, et Fès, carrefour de l’humanité, a encore prouvé qu’elle sait faire chanter les étoiles.

Pas de chichi, pas de demi-mesure : la création « Renaissances de la Nature au Sacré » a tout emporté. Les femmes de Mayotte, avec leur Deba soufi, ont lâché des poèmes dansés qui sentent la mer et la Mecque. Les Tambours du Burundi, ces bergers royaux qui tabassent leurs peaux de vache comme personne, ont fait trembler le sol, leurs cris de transe perçant la nuit. L’ensemble Areej d’Oman a psalmodié des louanges au Prophète, pendant que la mezzo-soprano Battista Acquaviva, venue d’une autre galaxie, faisait vibrer la Renaissance italienne. Et les échassiers de la Compagnie Méhansio ? Des panthères – pas des léopards, rectifie la directrice – qui dansent comme si la forêt ivoirienne avait pris possession de Fès. Le sacré, c’est vivant !

Fès, ce n’est pas juste une ville, c’est un vortex. La Quaraouiyine, plus vieille université du monde (879, respect), irradie toujours son aura. Ici, Pythagore a fait des petits chez Al Kindi et Al Farabi, qui ont éclairé le Moyen Âge. Ici, l’Andalousie a laissé son parfum, et Florence, jumelée depuis 1961 grâce à Feu Hassan II, vient faire un clin d’œil. «Ce lien, c’est plus qu’un jumelage, c’est une fraternité», balance Abderrafie Zouiten, grand manitou de la Fondation Esprit de Fès, en louant le Roi Mohammed VI, qui redonne au Maroc ses lettres de noblesse culturelles. La restauration du Grand Théâtre de Rabat ? Pas des gadgets, mais des preuves que ce pays se réinvente sans renier ses racines.

Un shoot de mystique

Ce festival, c’est l’Afrique qui claque des doigts et rappelle au monde qui elle est. Les Tambours du Burundi n’étaient pas là pour faire joli : ils racontent une épopée, celle d’un roi exilé, d’une peau de vache devenue tambour, d’une pluie revenue après la sécheresse. «On est là pour la légitimité de notre culture», lâche leur patron, qui savoure ce retour à Fès. Omar Areej, d’Oman, en remet une couche : «Notre Al-madar pour le Prophète, c’est l’âme de nos ancêtres qui parle». À Mayotte, le Deba des femmes, c’est une société matriarcale qui chante ses louanges, un poème mystique qui percute l’âme. «L’art, c’est l’écume de la mer», disait Rûmi. Ici, la mer est africaine, et elle déborde.

Alain Weber, directeur artistique, envoie du lourd : «Depuis la Quaraouiyine, une culture nouvelle a jailli, nourrie par la Grèce antique et la force brute de l’Afrique». Cette lumière africaine, qui irradie l’art contemporain, n’a pas besoin de demander la permission. Le Zaouli ivoirien, le Sama de Meknès, les Kassaïdes sénégalaises : c’est une transe collective, un cri du cœur qui dit que le sacré n’est pas une relique, mais un feu qui brûle encore.

«On voulait la tolérance, le dialogue entre cultures et religions», martèle Zouiten. L’ONU l’a capté dès 2002, en saluant un événement qui construit des ponts pendant que d’autres s’amusent à les dynamiter. À Fès, le sacré est vivant, il danse, il hurle. «Face à l’informatisation du monde, il y a des résistances culturelles», assène Weber. Et Smail Boujia, maître du Sama de Meknès, envoie la sauce : «Cette musique, c’est une prière, une invocation, une poésie qui touche l’âme».

Hier soir, sous le ciel de Bab al Makina, Fès a rappelé qu’on peut encore croire en quelque chose. En l’humain, en sa capacité à se relever, à danser, à chanter, à se souvenir. Ce festival, c’est une révolution douce, un maelström spirituel où l’Afrique, le Maroc et le monde se prennent dans les bras. Comme le dit le sage : «Le corps, c’est peanuts face à l’âme qui l’habite». À Fès, l’âme a pris le pouvoir, et elle n’est pas près de le lâcher. La transe ne fait que commencer ! Jusqu’au samedi 24 mai, le Festival des Musiques Sacrées du Monde va continuer à faire vibrer Bab al Makina et Jnan Sbil, avec ses chants, ses danses et ses rêves d’unité.