Culture
Mawà¢zine VII, un cru exceptionnel
Du 16 au 24 mai s’est tenue, en plusieurs sites de Rabat, la 7e édition du festival Mawâzine.?Si l’on prend en compte le taux de fréquentation, la qualité de la prestation des artistes et les indices de satisfaction du public, elle est une réussite exceptionnelle, dont beaucoup de festivals feraient bien de s’inspirer.

Les musiques sacrées de Fès, Gnaoua d’Essaouira ou Timitar d’Agadir, rendez-vous musicaux très lancés, devraient revoir substantiellement leurs copies, sous peine d’être relégués au rang de faire-valoir par la faute d’un Mawâzine, septième du nom, littéralement prodigieux.
Au terme duquel tous les observateurs s’accordent à dire qu’après un démarrage en trombe, suivi d’une phase d’essoufflement, puis d’une remise en selle en deux temps, la manifestation a visiblement trouvé ses marques de géant.
1 200 musiciens, 9 jours, 100 concerts, 9 scènes
Gigantesque est le qualificatif qui s’impose pour décrire le nouveau Mawâzine. Mille deux cents musiciens, chanteurs et techniciens, neufs jours, cent concerts, neuf scènes. Celles-ci étaient disséminées à travers la capitale, en fonction de la nature des concerts et des préférences des publics.
Il faut rendre grâce aux concepteurs de n’en avoir privilégié aucun. Ce qui a métamorphosé la cité assoupie en un mégaconcert polyphonique, d’où pleuvaient dru, de nuit comme de jour, sons et rythmes disparates.
«A Rabat, faute de lieux d’animation, les gens se couchent tôt. Boulot, bus, dodo, voilà notre quotidien. Heureusement que ce festival est venu changer notre routine pendant plus d’une semaine. On aimerait qu’il y en ait d’autres, sinon on mourrait d’ennui le reste du temps», nous dit un fonctionnaire du ministère de l’éducation nationale.
En attendant, les R’batis remercient le Ciel de leur avoir permis de s’évader dans la musique, durant neuf jours. Une période où il n’était question dans les conversations que de musique. Cela changeait des sempiternelles disputes au sujet de l’équipe des FAR et des déboires de la sélection nationale.
Controverses autour du coût du festival et du cachet des artistes
Mais ce n’était pas qu’en son fief que Mawâzine faisait parler de lui. Dans tous les cafés du commerce du Royaume, il focalisait les discussions. Tantôt laudatives tantôt critiques. On ne manquait pas de mettre sur le tapis le coût de la manifestation. Certains le trouvaient dispendieux, avec, à l’appui, des chiffres souvent fantaisistes. D’autres le considéraient comme décent, eu égard à la qualité de la programmation. Les organisateurs, eux, taisaient la taille du budget.
L’un d’eux, cependant, nous l’a révélée, sous le sceau de l’anonymat : 25 millions de dirhams. Autre refrain, le cachet mirobolant des artistes étrangers invités. Les autochtones auraient perçu une misère en regard de leurs pairs venus d’autres horizons. Ainsi la Libanaise Nancy Ajram aurait touché 700 000 DH, pendant que Latéfa Raafat a dû se contenter de 20 000 DH.
Tout cela est archi-faux, s’escrime-t-on à nous expliquer du côté des responsables, sans toutefois éclairer notre lanterne.
La controverse était stérile. Car Mawâzine, pour mettre tous les atouts de son côté, devait payer le prix fort. A des valeurs qui n’ont pas de prix. George Benson, Dee Dee Brigewater, Rokia Traoré, Nancy Ajram, Diana Haddad, Amr Diab, Al Di Meda et tant et tant de gros calibres n’avaient pas fait le déplacement pour des broutilles. Et à en juger par le grand cœur qu’ils ont mis à leur ouvrage, ils mériteraient amplement leurs cachets astronomiques.
Ainsi, le guitariste jazzman, George Benson, qui avait la redoutable tâche d’ouvrir le bal, et qui a subjugué une foule de 30 000 personnes par sa musique subtile, austère et rutilante. Ou Dee Dee Bridgewater, dont l’inattendu mélange bouillonnant de jazz, de musiques africaines et latino-américaines, a fait chavirer les cœurs sur l’esplanade du Bouregreg.
Ou encore Al Di Meola qui, de l’avis général, est un homme félin, beau et magnétique, dont le son, la pulsation et la voix ont fait trembler les fauteuils du théâtre Mohammed V, pris d’assaut le soir du lundi 19 mai par une assemblée de connaisseurs.
Whitney Houston, en clôture, subjugue 80 000 amoureux de la pop
Cent vingt mille spectateurs par jour, telle est l’affluence estimée par les organisateurs. Un taux qu’il conviendrait de revoir à la hausse, vu que les scènes, à l’exception bourgeoise de Hay Riad, ne pouvaient contenir les foules qui y déferlaient. Ainsi Al Qamra, pour le concert de Bilal, où la moitié des fans du raïman furent obligés de rester à quai, sans pour autant s’empêcher de faire du bruit et d’exprimer leur fureur par des voies peu orthodoxes.
En matière de fréquentation, c’est le très déshérité Hay Nahda qui a décroché la timbale. Ce qui n’est guère étonnant dans la mesure où les étoiles indécrochables de la chanson arabe s’y produisaient.
Tels la Syrienne Assala (45 000 spectateurs), la vamp libanaise Nancy Ajram (60 000), ou l’Egyptien Amr Diab, acclamé par une foule de 70 000 admirateurs. Cela dans une atmosphère survoltée, faite d’intensité dansante et véhémente. Preuve que les Marocains raffolent des chansons à l’eau de rose.
L’enthousiasme des spectateurs pour Assala, Ajram, Diab, Chaker et consorts a certainement fait pâlir d’envie leurs homologues marocaines. En effet, ni Latifa Raafat, ni Nadia Ayoub, Rachida Tallal ou Saïda Fikri, en dépit de leur zèle, ne sont parvenues à électriser l’auditoire. En revanche, la scène dite alternative, incarnée en la circonstance par Fnaïre, H-Kayne, Hoba Hoba Spirit ou Mazagan, a conquis les amateurs.
Serait-ce le signe que la chanson marocaine moderne est à bout de souffle ?
Tard dans la nuit du samedi 24 mai, Mawâzine a jeté ses derniers feux, par l’entremise de la pétulante Whitney Houston. Quatre vingt mille amoureux répétaient après elle les paroles du fameux I will always love you.
En tenue solaire dessinée par la styliste Samira Haddouchi, elle était irrésistible. A l’image de ce septième Mawâzine, dont on conservera longtemps la saveur.
