Culture
«Marroc» : un roman graphique qui fulmine
Paru aux éditions Le Fennec, «Marroc» est le dernier roman graphique de Hicham Lasri. En quelques nouvelles et un univers pictural psychédélique, l’auteur raconte le Maroc et les Marocain(e)s sans concession, mais au second degré.

Qui n’a jamais rêvé de lire le plus beau pays du monde en roman graphique ? Si les bandes dessinées et les comics ne sont pas un genre courant au Maroc, les rares représentations graphiques qui y sont produites émeuvent et émoustillent. Et pour cause. Il n’y a rien de mieux qu’une illustration, qu’une caricature pour se saisir de la complexité et du paradoxe estampillés Maroc. Mais pour cela, il faut compter sur une capacité d’abstraction et d’une vision d’ensemble fendue d’un regard satirique sur l’ensemble. Hicham Lasri a répondu présent.
Avec sa vision propre, son style controversé, sa nature provocante et ses réflexions parfois insaisissables, l’auteur a pondu un roman, ou plutôt un recueil de nouvelles, graphiquement très riche, mais dont l’ensemble se tient et se maintient dans la ligne créative de l’artiste. Dans sa chasse aux clichés, il pointe des réalités qui froissent et qui interpellent, à en perdre son second degré !
«Avant de commencer à explorer notre découverte mirifique sur la population connue sous le sobriquet à l’Marrouk commençons par vider les poubelles. Il s’agit de vider les filtres de nos appareils scientifiques des informations parasitaires, des clichés, des idées reçues, des faiblesses analytiques, du manque de vision et de cette incommensurable impatience qui les a faits passer il y a dix siècles pour une populace ravagée du cerveau, rongée par la corruption, la mauvaise foi, zombifiée par la quête d’un enrichissement facile et une pratique hasardeuse de la religion», commence-t-il. Et quand bien même il serait décrit comme «faux guide à l’usage des étrangers, interdit aux Marocain.e.s», l’ouvrage est fortement recommandé à tous les Marocains étranges.
Des thèmes obsédants
Ceux qui connaissent l’œuvre prolifique de Hicham Lasri peuvent déceler, en filigrane, les thématiques qui le préoccupent. Ces mêmes thèmes reviennent dans ses romans, ses films, ses bédés, à croire que l’auteur n’en a pas tout dit… qu’il n’en finira jamais. La société marocaine est donc cette muse insaisissable à l’artiste, inépuisable source de rire et de contradictions, de frustrations et de questionnements. Pour l’enfermer dans les pages de l’ouvrage, Hicham Lasri a imaginé la découverte fortuite et fortement hasardeuse du peuple dit Al Marrouk, par un scientifique dans mille ans. Suivront ainsi des captures d’instants, d’images et de concepts passés sous le jet vitrioleur d’un moqueur en série, du culte de l’apparence, au système d’éducation collaboratif, en passant par une religiosité d’apparence, un décalage total avec les préoccupations du monde et quelques faits divers et divertissants.
Entre deux moqueries, tantôt drôles, tantôt sardoniques, on tombe sur des phrases qui collent aux méninges du genre : «Le prosélytisme et le marketing ont tué la profonde solitude en nous… Et par manque de solitude, Dieu est mort en nous !»…
Une graphie qui s’impose
Troisième roman graphique de Hicham Lasri, Marroc est un ouvrage qui en impose. Moins abscons que les précédents, quoique tout aussi bizarre, à moins que l’on se soit habitué aux délires de l’auteur, le volume se caractérise par une richesse de styles et d’iconographies qui confluent vers une harmonie de sens.
Tout en mixant les genres, comme il est communément admis dans le roman graphique, l’on arrive à distinguer tour à tour les influences de la bédé et ses couleurs, des comics et des mangas. Photographie, line art et illustration, couleur ou blanc et noir: dans un subtil mélange de sémiotique urbaine et de symbolisme étrange, l’effet obtenu rejoint la nature abstraite et le second degré dur récit.
Alimenté par un texte aussi foisonnant que découpé, l’on peut faire le choix de lire Marroc tel un roman, avec un début et une fin, un recueil de treize nouvelles qu’on peut lire séparément, ou carrément le feuilleter et se laisser prendre par la complexité de l’image, les mots et le sens qui émergent de leur rencontre. En gros, Marroc est un roman à avoir dans sa bibliothèque. Sarcastique et tendre, il a de quoi vous réconcilier avec le 9e art, le Maroc et Hicham Lasri.
