Culture
« Marre de la création importée-réchauffée ! »
Aïcha El Beloui vient de lancer 909 («Artichaut» en langage Darija-SMS et qui se lit «qoq»), un site Web déjanté et extrêmement créatif qui promet d’«exprimer nos ordres et désordres urbains, nos subtilités culturelles, linguistiques et nos codes sociaux».

909 ! En voilà un joli nom pour la page Web que vous avez lancé il y a peu ! Pourquoi l’artichaut ? Pourquoi pas la patate ou l’endive ou la courgette ?
J’ai choisi 909 parce que c’est en même temps un chiffre, un mot en langage texto et un légume mais pas n’importe lequel – Artichaut, chez nous, veut aussi bien dire problème, situation bizarre que jolie fille, ou encore laideron, je ne vous apprends rien ! Pour le non-Marocain, ça reste donc un simple chiffre joliment illustré. En revanche, avec le Marocain urbain «connecté» ça crée tout de suite une complicité et ça ne manque jamais de tracer un sourire aussi large que sincère. C’est cette identification que je veux comme moteur pour 909 ! Des clichés urbains qu’on retient et auxquels on s’identifie ! Quelque chose par nous et pour nous ! On en a marre de l’importé-réchauffé.
909, c’est pour s’éloigner un peu, dites-vous, des chemins balisés, des fameuses «boules argentées» de la corniche et autres clichés tenaces et ennuyeux sur Casablanca. Qu’y aurait-il d’autre à découvrir dans cette ville, selon vous ?
Je suis toute seule derrière 909, je n’ai donc pas la prétention de pouvoir démystifier toute la ville ! J’ai la prétention de le vouloir et de l’espérer (sourire). Je voudrais partager ma pratique de la ville avec les autres millions de Casablancais qui vivent quand même chacun dans sa sphère. Les sphères étant très bien délimitées, tracées et cadenassées. J’ai toujours vécu dans des quartiers populaires mais j’ai eu la chance de pratiquer toutes les parties de la ville, du quartier le plus huppé aux endroits les plus improbables et surprenants, et je me dis pourquoi ne pas partager ce cosmopolitisme avec tous !
Que pourrons-nous voir sur 909, dans les jours à venir? De la photo ? De la vidéo ? Du texte ? Du dessin? Des produits ? Lesquels ?
909 sera alimenté – régulièrement, je l’espère ! – en illustration, photo et design graphique mais l’idée est aussi de tenir un blog sur la ville dans lequel j’illustre en images et en textes quelques aspects de celle-ci. Des produits sont en cours de production – ce qui est loin d’être facile. Les premiers T-shirts 909 seront présentés pendant les Tremplin et Boulevard des jeunes musiciens !
Souffrez-vous de ce qu’est devenue Casablanca au fil des années ? (Le bruit, le chaos, l’incivisme, la pollution, l’insécurité, l’impraticabilité pour les femmes, toutes ces joyeusetés) ? Comment l’imaginez-vous dans, mettons, une vingtaine d’années ?
Casablanca est un monstre que j’aime beaucoup ! Mais la dégradation des conditions de vie en son sein (surtout pendant ces trois dernières années) devient de plus en plus insupportable. La question de l’espace public me tient énormément à cœur. Je suis très attristée de voir que ce dernier ne nous appartienne pas, qu’il ne soit qu’un espace de transition, et que -pire encore – rien n’est fait pour remédier à cet état des choses, au contraire, nous sommes en train d’encourager les malls et espaces cloisonnés où la pratique d’un espace «public» se veut sécurisée mais payante ! Nos responsables sont donc en train d’élargir les fossés entre les différentes couches sociales pour des résultats reluisants et immédiats mais dont les conséquences se feront sentir et entendre dans vingt ans ! Ntolbo ssalama w safi !
Que pensez-vous du domaine du design au Maroc? Lui accorde-t-on toute l’attention qu’il mérite ? Comment pourrait-on l’améliorer, en faire un secteur porteur, un atout pour le pays ?
Au Maroc, nous sommes fiers de notre artisanat, mais le design n’est encore qu’à son état embryonnaire. Il y a plusieurs obstacles : la formation d’abord, puis la production, la distribution, les droits d’auteur… Comme pour tous les domaines créatifs, nous en sommes encore au degré -1, puisqu’il n’y a ni aide à la créativité, ni formation digne de ce nom et encore moins de reconnaissance et d’encouragement locaux (production, diffusion) ! Nos artistes s’exportent assez bien pour leur «richesse» culturelle au potentiel incroyable, mais ne sont malheureusement pas reconnus ici.
