Culture
Marrakech, un festival du film plutôt décevant
Avec un budget de 50 MDH, le Festival international du film de Marrakech (14-22 novembre) avait les moyens de poursuivre sur la lancée des précédentes éditions. Ce ne fut pas le cas : absence des monstres sacrés qui lui ont conféré tout son glamour, rares échanges entrecinéastes marocains et étrangers, de mauvais choix de films. La présence de petits bijoux cinématographiques a cependant atténué la déception.

Le FIFM aurait-il mangé son pain blanc en premier ? Toujours est-il que ce rendez-vous si passionnant durant les sept éditions précédentes a laissé, pour sa huitième prestation, un goût de cendre chez la plupart des observateurs. «Pâle», «terne», «indigeste»…, tels sont les qualificatifs dont il a souvent été gratifié. Le réalisateur Mohamed Achaour enfonce le clou, en assurant que le VIIIe FIFM était «tellement froid que même le généreux soleil de Marrakech ne parvenait pas à réchauffer l’atmosphère». Sans aller jusqu’à le descendre en flammes, il faut reconnaître qu’il n’a pas été, cette fois, à la hauteur de sa réputation.
Le ciel de Marrakech embrumé par la quasi-absence de vraies étoiles
Un des arguments du FIFM est la présence de stars. On avait beau écarquiller les yeux, on n’en découvrait pas de dignes de ce nom. Un soupçon de célébrités du VIIe art, une dose massive de comédiens de seconde zone, point de monstres sacrés. Mais où étaient passés les Martin Scorsese, Léonardo Di Caprio, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Victoria Abril, Alain Delon et tant et tant d’étoiles indécrochables, qui avaient l’habitude d’éblouir les nuits du FIFM ? Yousra n’y fit qu’un tour puis s’en fut. Gad El Maleh, annoncé pour la cérémonie de clôture, y brilla par son absence. A croire qu’ils ne trouvent plus Marrakech à leur goût. A moins que les organisateurs n’aient pas déployé suffisamment d’efforts pour leur en faire prendre le chemin.
A défaut de grives, on mange des merles. Ceux-ci prirent la forme des gens de cinéma marocain.
Ils se plaignaient du manque d’égards à leur endroit, cette fois, ils y eurent droit à profusion. Hôtel luxueux, invitation aux soirées, arrivée en limousine au Palais des Congrès et parade sur le tapis rouge.
De ces attentions, certains d’entre eux en furent tellement grisés qu’ils en perdirent le nord. A l’exemple de Ahmed Boulane, dont les génuflexions à répétition devant la foule amassée derrière les barrières, n’étaient pas du meilleur effet. Mais ce cinéaste n’en était pas à sa première extravagance. Malheureusement, il fit école. Nombre de ses pairs, voulant faire du charme, s’illustrèrent par des pitreries indignes de leur rang. Même le très sage Rachid El Ouali crut bon de se distinguer en prenant le tapis rouge mille fois foulé pour un tapis de prière. Ce qui lui a valu la réprobation unanime.
Les hommages aux cinématographies expédiés en hâte et sans chaleur
Jusque-là, les hommages aux cinématographies formaient des moments intenses du FIFM. Il en fut tout autrement lors de cette édition. Ainsi, la fête du cinéma marocain, à l’occasion de ses cinquante printemps, était inscrite sur les agendas des visiteurs. On en faisait toute une montagne, la montagne accoucha d’une souris. En tout et pour tout, et en un quart d’heure, montre en main, remise d’un trophée au doyen du cinéma, le costumier Larbi Yaâcoubi, laïus du président délégué, Nour-Eddine Saïl, et dégustation d’un gigantesque gâteau, avalé de travers par des cinéastes et des comédiens dépités d’être si lamentablement honorés.
Le lendemain, le cinéma britannique ne fut pas mieux loti. Son hommage fut expédié en un éclair.
Celui des appareils photographiques immortalisant ses 33 représentants médusés par tant de précipitation.
L’homme de radio et critique de cinéma, Mohamed Damoune, fait grief au FIFM d’avoir négligé une de ses missions majeures, celle qui consiste à «favoriser les échanges entre cinéastes marocains et étrangers», réduisant ainsi cette édition à une «simple projection de films ». On peut le déplorer, certes, mais on doit avouer, à la décharge des responsables, que les essais précédents n’ont jamais été transformés, à cause du peu d’intérêt affiché par les cinéastes marocains pour ces rencontres. Du reste, l’ont est saisi par leur viscérale incuriosité à l’égard du cinéma qui n’est pas le leur. Ils couraient les cérémonies, mais fuyaient les projections qui les accompagnaient. Par exemple, ils étaient tous là à l’hommage du Russe Andreï Konchalovsky, mais se volatilisèrent dès que son film, Gloss, une véritable leçon de cinéma, se mit à défiler à l’écran. Même le long-métrage 8, une œuvre contre la pauvreté, projeté en clôture du festival, ne retint pas nombre d’entre eux d’aller se pavaner dans les salons du Mansour Eddahbi, en attendant l’heure du dîner de clôture.
«Kandisha», seul film marocain en compétition, était une erreur de casting
Mais si la VIIIe édition du FIFM a étalé quelques travers désenchanteurs, celui-ci n’est pas blâmable de part en part. Il s’est même distingué au chapitre purement cinématographique. La majorité des films retenus en compétition ne manquaient pas de charme, sinon de magie. Au point de nous distraire de l’amertume engendrée par quelques œuvrettes déplacées dans cette fête du bon goût. En tête de ces dernières, Kandisha, le film de Jérôme Cohen-Olivar, censé incarner les progrès du cinéma marocain, mais qui fut un flop retentissant. Mêlant réel et fantastique, il se perdit en chemin, devint inconsistant, laborieux, approximatif. Seuls le son, l’image et la qualité de l’interprétation de Amira Casar, campant l’avocate tourmentée de la femme présumée coupable du meurtre de son mari, le sauvent du naufrage. «Malgré ses défauts, Kandisha, en exhumant le mythe de la résistance séductrice, plaira au grand public. C’est un produit commercial qui n’avait pas sa place dans ce festival connu pour son goût des cinémas d’auteur», commente le critique Noureddine Kachti. Un avis que partage l’écrivain et journaliste Hassan Narraïs : «L’idée de départ est bonne. La mythologie marocaine n’est pas exploitée au cinéma. Mais le traitement laisse à désirer.» Il ne comprend pas qu’on ait désigné ce mauvais film et sacrifié Casa Negra, de Noureddine Lakhmari, autrement mieux fait.
Au rayon des choix malheureux figuraient également Empty Nest (Argentine), non à cause de sa plastique, assez agréable, mais de sa vision déformante de la réalité. Ainsi, Kachti, et il n’est pas le seul, lui reproche d’«avoir délibérément idéalisé l’image d’Israël». La sélection de The first day of winter ne s’imposait pas non plus, tant cette histoire d’adolescent solitaire en prise avec les premiers émois du désir laisse de marbre.
Le reste des films en compétition, en revanche, ravissait les sens. En premier lieu, le bijou polonais nommé Time to die, tranche de vie d’une dame d’un âge canonique qui vient de récupérer sa maison en bois et n’entend pas en être dépossédée. A son propos, Mohamed Achaour eut ce mot : «Si Time to die ne décrochait pas l’étoile de Marrakech, je rendrais mon tablier de réalisateur».
Time to die n’était le seul à prétendre légitimement au trophée suprême. Au moins six autres concurrents briguaient cette consécration, à bon droit. Prince of Broodway (Etats-Unis), qui met en scène un Ghanéen résidant illégalement aux Etats-Unis, vivotant grâce à la vente d’articles de contrefaçon. Tears of April (Finlande) ou la rébellion d’un soldat enrôlé par les Blancs anti-socialistes dans leur guerre contre les Rouges sociaux-démocrates. A year ago in winter (Allemagne), une plongée dans les eaux picturales, en compagnie d’un artiste portraiturant les enfants d’une dame orpheline de son fils de dix-neuf ans. Autres joyaux : Frozen River (Etats-Unis), récit haletant d’une femme plantée par son mari qui, pour subvenir aux besoins de ses deux fils, fait passer illégalement, contre argent, des clandestins à travers la rivière de Saint-Lawrence. Mais aussi Wild Field (Russie), de Mikhaïl Kalatozishvili. C’est l’histoire d’un jeune médecin qui choisit de travailler dans la steppe. Celle-ci semble vide et déserte. Les villageois commencent à se tourner vers lui pour lui demander des conseils professionnels mais aussi pour partager avec lui leurs problèmes quotidiens…Le film a eu la fortune de taper dans l’œil du jury, présidé par Barry Levinstone, qui lui fit monter la plus haute marche du podium. On n’y trouve rien à redire, tant il est prenant, parfois bouleversant. Avoir récompensé le film qui en était le plus digne compense un peu les écarts de conduite d’un festival condamné à rectifier son tir pour retrouver son lustre, pour une saison distraitement dédoré.
