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Culture

Madrastna : De la salle de classe à la scène des possibles

Sous l’œil de Nabil Ayouch et d’un jury de feu, les collégiens du projet Madrastna ont enflammé le Pathé et le Complexe culturel Moulay Rachid avec des courts-métrages percutants et des joutes d’impro endiablées. Palmarès d’une jeunesse qui ose.

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Oubliez les salles de classe poussiéreuses et les leçons par cœur. Au cinéma Pathé de Casablanca, le 26 mai, puis au Complexe culturel Moulay Rachid, les 27 et 28, une autre école a pris ses quartiers : celle de l’audace, de la créativité et de la parole libérée.

Avec le projet Madrastna–Collèges Pionniers, porté par le ministère de l’Éducation nationale et la Fondation Ali Zaoua, les collégiens marocains ont transformé l’essai artistique en un coup de maître culturel. Du cinéma à l’improvisation théâtrale, ces gamins des 12 régions du Royaume ont prouvé que l’école publique peut être un volcan d’idées et d’émotions.

Écran total

Sous les projecteurs du Pathé, la finale nationale du «Cinéma en classe» a vu défiler 12 courts-métrages, fruits d’un marathon créatif impliquant 250 collèges. Face à un jury de haut vol présidé par Nabil Ayouch – cinéaste au regard acéré, flanqué de l’inénarrable Samia Akariou, du réalisateur Ismail Farroukhi et des critiques Said Mezouari, Majid Sadati et Mbarek Mezene –, les élèves ont déroulé des histoires qui tapent dans le mille. Harcèlement scolaire, immigration clandestine, pauvreté, rapports sociaux : les thèmes, graves, n’ont pas effrayé ces réalisateurs en herbe. Au contraire, ils les ont saisis à bras-le-corps, avec une sincérité qui désarme et une maîtrise qui impressionne.

Le palmarès ? Un feu d’artifice. Le Grand Prix revient à Réflexion rétractée de Rabat, pour sa profondeur et son audace visuelle. Laâyoune-Sakia Al-Hamra s’offre le prix de la meilleure réalisation avec Rêves reportés, une claque émotionnelle. Dakhla-Oued Eddahab décroche le meilleur scénario pour Conflit, tandis que Souss-Massa arrache une mention spéciale avec Visiteur infiltré. Le public, lui, plébiscite La Renaissance de l’Oriental, preuve que ces mômes savent aussi parler au cœur.

Sophia Akhmisse, directrice exécutive de la Fondation Ali Zaoua, ne cache pas son enthousiasme : «Ces jeunes sont la preuve que l’art à l’école, c’est pas du luxe, c’est une nécessité. Ils transforment leurs colères, leurs rêves, leurs combats en images. C’est une révolution douce, mais une révolution quand même». Wijdane Bekkare, cheffe de projet, enfonce le clou : «Ces gamins ont bossé comme des pros, en équipe, avec des idées qui claquent. Leurs films, c’est du cinéma, du vrai».

Sur les planches, place à l’impro !

Changement de décor. Les 27 et 28 mai, le Complexe Culturel Moulay Rachid s’est transformé en arène d’improvisation théâtrale. Douze équipes, issues des mêmes collèges pionniers, se sont lancées dans des joutes verbales et scéniques où l’esprit vif et la spontanéité régnaient en maîtres. Le public, conquis, a vu défiler des saynètes où l’humour côtoyait l’émotion brute, où la répartie fusait comme des flèches.

Fès-Meknès s’impose comme championne nationale, raflant le prix de la meilleure équipe. Mounir Habali (Marrakech-Safi) et Aya Bentbib (Taza, Fès-Meknès) repartent avec les titres de meilleur et meilleure improvisateur.rice, tandis que des médailles récompensent Marrakech-Safi (2e), Dakhla-Oued Eddahab et Béni-Mellal Khénifra (3e ex aequo). Ismail El Fallahi, spécialiste de l’impro, résume l’esprit de la discipline : «C’est pas juste du théâtre, c’est une leçon de vie. Ces jeunes apprennent à écouter, à rebondir, à se faire confiance. Ils grandissent sur scène, sous nos yeux».

Madrastna, c’est un pari : celui de faire de l’école un espace où l’on ne se contente pas d’apprendre, mais où l’on crée, où l’on s’exprime, où l’on existe. En mobilisant 250 collèges et des milliers d’élèves, ce programme, porté par un ministère qui semble saisir l’enjeu de la culture et une fondation qui y croit dur comme fer, redessine les contours de l’éducation au Maroc. Comme le dit Sophia Akhmisse, «l’école, ce n’est pas seulement des maths et des dictées. C’est un lieu où l’on devient citoyen, où l’on découvre qui on est. Ces jeunes nous le rappellent avec une force qui donne des frissons».

Alors que le rideau se ferme sur cette édition 2025, une chose est sûre : ces collégiens, caméra au poing ou micro en main, sont les héros d’une école marocaine qui se réinvente, plan par plan, réplique par réplique. Rendez-vous l’année prochaine pour un nouveau round. D’ici là, ces jeunots ont déjà gagné : ils ont osé.