Culture
Livres : Notre sélection pour cet été
Proust disait, à juste titre, que la lecture était une amitié. Alors, non seulement on ne contredit pas un Proust, mais qui pourrait être de meilleure compagnie qu’un livre ? Que vous le glissiez dans votre valise ou que vous le gardiez à votre chevet, un bouquin vous permettra de rencontrer du monde, d’embrasser de vieilles habitudes, d’apprendre des nouvelles d’ailleurs et de ressentir des émotions, exactement comme le ferait un bon ami. Avec les querelles en moins ! Et si on vous présentait de nouveaux amis ?
Le drôle Imposture sur papier glacé – Catherine Lambert (Le livre de poche)
Elle s’appelle Bérengère de Cabrières et elle est la rédactrice en chef du «plus hype, du plus glamour, du plus sublime des magazines people». Comment la décrire en peu de mots ? Elle est la quintessence de la vacuité. Oxymore ? Pas du tout. Tout le livre est le récit assumé par notre boss parvenue de sa superficialité et de son incompétence. Le comble, c’est qu’elle le fait avec brio et beaucoup d’humour, lorsqu’elle nous raconte son quotidien, ses fréquentations, ses amours et le hasard par lequel elle est à sa place.
Comme elle le dit elle-même : «La vérité, c’est que je n’ai rien à dire, pas de révolte intrinsèque, et pas d’idée arrêtée sur quoi que ce soit pour avoir envie de dénoncer quoi que ce soit. Ma pensée la plus profonde se réduit à me demander ce que je vais mettre à la prochaine soirée du Showcase». Aussi plate qu’un encéphalogramme d’un mort clinique, Bérengère ne se prive pas des avantages que lui procure son poste convoité. Et pour cause. Elle sait pertinemment qu’elle ne le mérite pas, alors elle profite au maximum, en attendant qu’on finisse par découvrir la supercherie. On n’est jamais à l’abri d’un collègue jaloux et elle en a quelques-uns de sérieusement menaçants. Hilarant et surtout très caustique !
Le romantique Vie amoureuse – Zeruya Shalev (Folio)
Vous aimeriez savoir comment réfléchit une femme amoureuse ? Pas n’importe quelle femme tout de même. Une femme comme Ya’ara, complètement confuse et torturée. Elle est mariée quand elle fait la connaissance d’Arieh, un ami de jeunesse de son père. Leur rencontre est bouleversante pour elle. Elle rentre dans une sorte de transe et nous aspire dans un tourbillon d’idées folles exprimées dans un style, à couper le souffle, puisque sans ponctuation. Elle change d’idée, d’émotion, cent fois par jour et son humeur reste pendue au bon vouloir de cet homme froid, joueur, vicieux et mystérieux, qui va chaque jour passer du temps au chevet de sa femme mourante. Avec lui, elle expérimente l’humiliation, le sexe débridé, la passion destructrice. Entre cet amant à l’histoire obscure et son mari trop bon, trop mou, on découvre la déchirure d’une femme qui a peur, aussi bien de la solitude que de l’habitude : Question existentielle pour tout être humain balloté entre le besoin de stabilité et le désir d’ailleurs. Passionnel et enivrant.
Le mélancolique Une femme fuyant l’annonce – David Grossman (Points)
Dans la première partie de ce livre, Ora, Ilan et Avram, trois adolescents, se trouvent dans un hôpital, en quarantaine, plongés dans le noir. Ils parlent, se découvrent à tâtons, s’aiment, se disputent. Dans un saut en avant, au milieu des années 2000, on découvre Ora qui a la cinquantaine. Elle est séparée d’Ilan, installé en Amérique du Sud et suivi de peu par son fils aîné Adam. Ofer, le fils cadet, est sur le point d’achever ses trois ans de service obligatoire en Israël. Il doit accompagner sa mère en randonnée à travers la Galilée, quand il accepte une mission dangereuse en territoire palestinien. Ora n’a pas de nouvelle de lui, mais, pressentant le pire, elle décide alors de ne pas attendre. Convaincue qu’en échappant à l’annonce de sa mort, elle aura sauvé son fils, elle prend la route, avec Avram, l’ami d’enfance, l’homme qu’elle a aimé. Tout au long de leur périple, Ora raconte Ofer à Avram. Elle tente ainsi de conjurer le sort, mais elle va surtout permettre aussi à Avram d’accéder à une histoire familiale qui est en partie la sienne… 800 pages, pour les plus téméraires, mais le livre en vaut le coup.
Le sage Seul le grenadier – Sinan Antoon (Actes Sud)
On est au cœur de la seule salle de lavage des morts musulmans chiites de Bagdad. Au milieu de son jardin, un grenadier solitaire et très fleurissant, vit des eaux de la mort et offre de l’ombre aux proches des défunts qui veulent assister au rituel de lavage… Jawad est le fils cadet du propriétaire. Sa famille gère la salle depuis des générations et son père le prépare à lui succéder. Mais le cœur a ses raisons et Jawad aime dessiner. Son professeur de «pratique artistique» au lycée l’y encourage vivement. Jawad en ressent beaucoup de culpabilité. Lorsque, contre le gré de son père, il fait des études de Beaux-arts, il est loin de s’attendre au chamboulement total que produira l’invasion américaine en 2003… Après la guerre avec l’Iran, le régime d’oppression de Saddam Hussein, la guerre du Golfe après l’invasion irakienne du Koweit en 1990, les Américains vont achever le pays et avec lui les rêves du jeune homme. Mais en plein naufrage dans ses cauchemars, son âme d’artiste et de poète y survivra.
L’intrigant Leviathan – Paul Auster (Actes Sud)
Un homme est tué dans le Wisconsin, probablement en manipulant des explosifs. Il n’en reste rien et la seule piste orpheline mène les enquêteurs du F.B.I chez l’écrivain connu Peter Aaron. Sans trop verser dans le détail et en niant toute connaissance de la présumée victime, l’écrivain se hâte d’écrire l’histoire de son ami, Benjamin Sachs. Rencontré quelques années auparavant, dans un bar de New York, Benjamin est un écrivain brillant, aux idées révolutionnaires, mais désabusé et sous-estimé. A la suite d’un accident, il est fortement déboussolé, alors il s’évanouit dans la nature, puis revient avec une histoire incroyable qu’il confie à son ami, avant de disparaître de nouveau. Et à travers ce récit haletant, plein de soubresauts et de personnages fascinants, on accompagne Peter et Benjamin dans une exploration de l’Amérique moderne, soulevée par une série de bombardements des copies de la statue de la liberté. Excellent et inattendu.
L’aventurier L’assassin qui rêvait d’une place au paradis – Jonas Jonasson (Pocket)
Le livre raconte l’histoire d’un assassin, connu sous le nom de Dédé le Meurtrier, qui est enfin libre après presque 30 ans d’incarcérations multiples. Dès son premier jour de liberté, il rencontre Per Person, un réceptionniste d’hôtel fauché, mais fils de famille riche qui a dilapidé son héritage, et Johanna Kjellander, pasteure et fille de pasteur, mais complètement athée, qui n’a jamais pardonné à son père de l’avoir forcée à se lancer dans cette voie. Dans cet hôtel morbide, ex-maison de passes qui accueille désœuvrés et pauvres, une entreprise loufoque naît de la rencontre des trois personnages : une société de règlement de comptes. Il s’agit simplement de casser un bras, briser une jambe ou parfois les deux, pour le compte de bons payeurs en guise de recouvrement de leurs dettes. Leur petite entreprise fonctionne plutôt bien jusqu’à ce que Dédé se mette à poser des questions à Johanna. De fil en aiguille, Dédé se met à vouloir se repentir, faire don de l’argent gagné à des oeuvres caritatives et aimer son prochain comme lui-même… Mais cela sans mesurer les répercussions sur la petite entreprise et ses clients.
Le psychologue Mensonge sur le divan – Irvin Yalom (Points)
Docteur Lash est psychothérapeute. Il suit Justin qui vient lui annoncer brusquement, au bout de cinq ans de séances, qu’il quitte sa femme bourreau pour sa jeune maîtresse de 19 ans. Pour la femme de Justin, c’est le docteur Lash qui en est responsable. Portée par son passif psychothérapeutique et du peu de respect qu’elle éprouve pour ses anciens thérapeutes, qui ont souvent profité d’elle, elle se met en tête de le piéger et de se venger de tous ses prédécesseurs. Cela ne pouvait tomber plus mal, car Docteur Lash décide justement d’expérimenter une nouvelle méthode consistant à tout dire au patient, y compris ce qu’il considère comme personnel. C’est un excellent roman dans lequel on découvre des thérapeutes humains, avec leur lot de faiblesses, de problèmes et de lacunes. Les destins des patients et des psys se trouvent intimement liés, voire intriqués dans ce roman truffé de surprises.
L’alarmiste L’aveuglement – José Saramago (Seuil)
L’histoire s’ouvre sur une scène surnaturelle : un homme devient subitement aveugle, alors qu’il attend, assis au volant de sa voiture, qu’un feu passe au vert. L’individu est loin d’imaginer à cet instant qu’il est la première victime d’une épidémie qui va se propager comme une traînée de poudre à travers tout le pays. Il suffit d’être au contact d’un de ces aveugles pour le devenir à son tour. Par précaution, les autorités prennent l’option d’interner les «aveugles» dans un asile désaffecté, qui se transforme très vite en prison. Les victimes sont surveillées en permanence par l’armée, mais sont complètement livrées à elles-mêmes dans ce huis clos sordide, qui se transforme très vite en jungle. Le plus fort fait la loi et en plein désarroi et détresse générale, les pires défauts humains et les bas instincts refont surface. Etrangement, seule une femme n’est pas frappée par le «mal blanc». Elle devient ainsi témoin de la misère humaine. Elle permettra à ses voisins de chambre de résister au régime de terreur imposée par les plus forts. C’est également elle qui guidera six comparses hors des ténèbres. Adapté au cinéma, «L’aveuglement» est l’un des chefs-d’œuvre du prix Nobel de littérature, José Saramago.