Culture
L’histoire de l’homme racontée par le cheval
Selles, étriers, armes…., lors de la deuxième édition du Salon du cheval, des pièces de collection uniques
au monde ont été exposées.
10 000 personnes par jour pour voir stands et «tborida».
L’histoire des villes,
des armées, des cours…, toutes éclairées par le cheval.

La deuxième édition du Salon du cheval qui s’est tenue à El Jadida du 21 au 26 octobre dernier a été l’occasion de découvrir le patrimoine équin national et d’explorer des pans de l’histoire. Car l’histoire du cheval et de ses usages est révélatrice de celle des hommes. C’est une histoire de la société, de l’économie et du pouvoir. Une histoire des villes, des armées, des cours, toutes éclairées par celle de l’animal qui produisait alors non seulement l’énergie mais conférait une force militaire et une distinction sociale. A travers la visite de l’exposition, tracée sous forme d’étrier, le visiteur a pu parcourir, du même mouvement, l’art équestre, la tradition militaire, les «conduites d’élevage», et tout ce que cela peut générer comme activité économique et comme pratiques. Visite guidée.
Des étriers d’or, d’acier et de pierres précieuses
Parmi les exposants qui se sont particulièrement distinguées, la région Rabat-Salé-Zemmour-Zaër qui a attiré les visiteurs par la richesse des pièces exposées. L’une des plus belles fut une paire d’étriers en argent ciselé fabriqués en Angleterre pour le Maroc, et datant de 1910. Le visiteur a également pu contempler des étriers en acier incrustés de fil d’argent et d’autres encore en argent doré au mercure et émaillés. L’or a orné les étriers des princes comme le démontre une très belle pièce de musée où le métal noble émaillé est serti de pierres précieuses et semi-précieuses. Les vitrines du stand renfermaient des objets d’une grande rareté. Des pièces qui retracent l’ensemble de l’évolution de l’art équestre. On y découvre, d’ailleurs, que le passage de l’étrier en bois à l’étrier en métal est associé aux Arabes. Un extrait du manuscrit d’Ibn Douaraid dans Kitab al sarj wa el lijam (le livre de la selle et de la bride), écrit dans la moitié du IXe siècle, atteste que le général arabe El Mouhalab Ibn Abi Soufra était le premier à adopter l’étrier en fer (vers 696).
L’histoire est faite de comparaisons. C’est dans ce sens que des étriers japonais datant du XVIIe siècle ont été exposés au stand de la Commission marocaine d’histoire militaire. Une pièce de collection unique au monde. Les visiteurs étaient nombreux à parcourir cet enclos historique où étaient également exposés des étriers marocains en «forme de babouches qui datent du XVIIe siècle», explique Mohamed Bouras, docteur en histoire contemporaine et professeur chercheur.
La chasse et la guerre ont été de tout temps deux activités princières par excellence. Il en a découlé un art, comme l’atteste la facture parfaite d’une collection de poignards exposés, toujours au sein de ce stand de la commission d’histoire militaire. Le poignard, une arme transformée sous les mains des artisans et des artistes en objet fascinant. En or massif ciselé, doté d’une poignée en corne de rhinocéros, attaché à un cordon de soie et de fil d’or… Les armes à feu ont aussi eu leur heure de gloire. Le fusil, communément connu sous l’appelation de bouhabba, caractérisé par un mécanisme de détonation à capsule, est rapidement passé de l’utilitaire à l’art et à l’esthétique.
La première trace du cheval au Maroc remonte à 2,5 millions d’années
L’éclatement des usages, la multiplicité des races ont donné, par contre, naissance à l’art des selles. Chaque région du Maroc a jalousement gardé ses traditions. Et le Salon du cheval a été l’occasion de démontrer que le beau résiste au temps. Les selles à arçon en bois d’olivier recouvertes de cuir brodé d’or et d’argent, conçues en fonction du dos du cheval et de leur usage, caractérisent le travail marocain. «Des selles fermées à l’arrière pour maintenir le dos du cavalier pendant les longs voyages», explique le Dr Bourass. On a pu voir pendant cette manifestation les selles de dressage, celles des sauts d’obstacles, des courses… Les curieux et les passionnés ont pu découvrir, également, cette selle de la région de Meknès recouverte d’une peau de renard chassé sans armes à feu… Les différentes étapes de la fabrication de la selle ont été démontrées par l’Ecole royale de la cavalerie. De la découpe du cuir jusqu’à la dernière étape : les matelassures. On voit bien, en parcourant cette exposition, que l’homme s’est investi à habiller le cheval et s’est habillé pour lui, on aurait tendance à croire que ça a toujours été comme ça, et pourtant…
La première trace de cheval retrouvée au Maroc date de 2,5 millions d’années. «mais il a commencé à s’en approcher il y a 60 000 ans à peine», explique Abdeljlil Hejraoui, commissaire de l’exposition et archéologue. Les harnachements ont fait leur apparition graduellement. «ça a pris encore 5 000 ans avant que l’homme n’utilise la selle et l’étrier pour monter à cheval», précise le spécialiste. Au commencement donc, l’homme a monté le cheval à l’aide d’une tresse faite de matières végétales. On montait les chevaux sans selle, en le contrôlant avec les cuisses. La selle primitive a fait son apparition entre le IIe et le VIIe siècle avant J.C. et, depuis, c’est devenu un art à part entière que de les concevoir.
La pièce maîtresse de cette exposition était sans conteste le bouclier lamti marocain. La darqa fabriquée en cuir de plusieurs épaisseurs. Cette arme défensive était un objet précieux que les princes almoravides offraient «aux personnes qu’ils désiraient honorer». On dit même que ce bouclier arrivait à supporter l’impact des armes à feu…, l’histoire cède parfois facilement sa place à la légende.
La «tborida» ? Pas seulement un art réservé aux hommes
On ne peut cependant pas décemment parler d’un salon du cheval et de l’art qui s’est développé autour sans évoquer la noble bête elle-même. A tout seigneur tout honneur c’est le cheval barbe, fierté nationale. Au Maroc, le barbe est choyé, cajolé. Quoi de plus normal ! C’est le beldi de chez nous. Ce cheval maghrébin est connu pour sa docilité, sa rusticité et son aptitude à la selle. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Des manuscrits du célèbre Hassan Al Wazzan (dit Léon l’Africain), racontent à ce propos que les barbes «ont été domestiqués dans les pâturages et dans les meilleures prairies qui ont attiré bon nombre de chevaux» et que les Marocains «ont dressé leurs chevaux pour le combat … et les ont accoutumés à la soumission pendant l’engagement». De ce passé, on a tout gardé sauf les guerres. Tant mieux !
Les cavaliers ont continué à faire valoir leurs acquis en matière de cheval, notamment la tborida qui est devenue un véritable spectacle à partir du XVIe siècle. Lors de cette deuxième édition du Salon du cheval à El Jadida, chaque région du Maroc a été représentée par une sorba constituée des meilleurs cavaliers. Au total, 280 chevaux ont participé à cet événement. De ceux qui se sont démarqués pendant ces spectacles, les Aït Baâmrane de Tiliouine. Ces cavaliers du désert, tout de bleu vêtus, préfèrent monter les juments. Ce n’est pas une superstition ni un caprice. La jument est ancrée dans leur histoire. «C’est comme cela que nos ancêtres gagnaient les batailles», explique le caïd du groupe Brahim Nacihi. «Nos adversaires montaient des mâles et, au contact des juments, leurs chevaux devenaient rétifs et les faisaient tomber», raconte-t-il un sourire amusé. Autre particularité de la tborida sahraouie, les cavaliers tirent par terre. Ce sont les seuls. Cela demande une maîtrise parfaite de l’arme et une dextérité sans faille car il y a le risque de blesser l’animal.
Mais les cavaliers du désert ont fini par céder la vedette à un autre groupe. Celui des femmes. Des femmes qui montent à cheval, comme les hommes. Meriem Kouhly, 16 ans, la benjamine de l’équipe de Mohammédia, arbore fièrement son cheval. Mais elle n’est pas seule, elles sont treize filles à perpétuer la tradition de la tborida. Elles viennent de différents milieux mais partagent la même passion. «J’ai commencé à monter à cheval à l’âge de 10 ans, confie Meriem. Ce sont mes grands-parents qui m’ont tout appris, j’ai tiré mon premier coup de feu à l’âge de 11 ans. Dans ma famille, la tborida est plus qu’une tradition, c’est une façon de vivre. Cela se transmet chez nous de génération en génération, même aux filles». Voilà qui cloue le bec aux idées reçues !
Au final, on se rend compte qu’aucun animal n’a autant servi l’homme et aucun ne l’a autant fasciné. C’est d’ailleurs pour cela que le cheval tient une place particulière dans l’histoire de l’art. Les peintres se sont de tout temps laissés séduire par l’animal en essayant de capter son mouvement. Aujourd’hui, ce sont des photographes qui succombent au charme de ses galops. De cette passion est née une nouvelle approche de l’animal, un nouveau regard. Les chefs-d’œuvre de Mustapha Meskine en sont les témoins. Ils ont saisi l’insaisissable : le mouvement des cavaliers. Une magnifique collection de photos était, en effet, exposée au salon.
Personnage central des œuvres du photographe, le cheval, qui loin d’être serviteur de l’homme, en représente la force. Sans aucune retouche, les œuvres de Meskine imprimées sur toile méritent à elles seules le déplacement (série limitée de 10 signées et numérotées). A côté du travail de Meskine, celui de Gérard Bayssière (photographe français né à Casablanca).
Le cheval est au cœur de son œuvre. Son esthétique, son élégance naturelle, sa fougue, ses courbes… sous l’objectif de l’artiste, l’animal est différemment capté. Des photographies qu’on pourrait confondre de loin avec des tableaux de peinture à l’huile. Les cavaliers représentés se laissent dévorer par la couleur et la lumière. Des impressions, retouchées, recolorées, modernes.
