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Culture

Les surprises du Festival du film de Marrakech

Une vision novatrice, une pluie d’étoiles, une orgie de films, des révélations promises, la nouvelle équipe du Festival international du film de Marrakech (du 6 au 12 décembre) fait mieux que reprendre le flambeau, elle lui donne davantage de lueur.

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Pétri de fraîcheur, débordant d’entrain, le Festival international du film de Mar-
rakech (FIFM) pointe ses promesses alléchantes à l’horizon de nos sens gourmands. De quoi faire rager ceux-là qui, avec assurance, annonçaient sa mise au tombeau.
Soixante-six films, vingt pays représentés. Autant dire que la nouvelle équipe dirigeante ne déroge pas au noble principe qui inspirait l’ancienne, celui de faire du festival un espace de dialogue, d’échange et d’ouverture. Cette année, les voyages dans l’imaginaire des peuples sont particulièrement enchanteurs: Grande-Bretagne, Inde, Argentine, Etats-Unis, Espagne, Thaïlande, Hong-Kong, Finlande, France, Liban, Chine, Sénégal, Brésil, Russie, Maroc, Italie, Egypte, Allemagne, Israël et Serbie. La France se taille la part du lion avec six films, dont quatre coproductions, suivie des Etats-Unis, trois films.

Sept premières œuvres et trois secondes en compétition
Grisés par le succès fulgurant des trois premières éditions, certains se sont empressés de comparer le FIFM à Cannes ou Venise. C’était aller très loin en besogne, d’autant que Marrakech est encore tendre par rapport à ces deux festivals très capés. Aux amateurs de comparaisons sans rime ni raison, la nouvelle équipe riposte que le FIFM n’est ni une copie de Cannes ni une doublure de Venise ; il constitue une manifestation qui possède sa propre âme. Et pour donner corps à sa vision, la direction du FIFM n’a convié à son banquet ni grosses machines ni films sortis en grand apparat. Même Alexandre le Grand, d’Oliver Stone, tourné au Maroc et promis, précipitamment, en ouverture, a été finalement écarté. En revanche, le dévolu a été jeté sur des œuvres inédites. Sur les quatorze films inscrits en compétition, sept sont des premières œuvres et trois des secondes. Il s’agit là d’un choix délibéré, par lequel Nour-Eddine Saïl, président délégué du FIFM, entend imposer sa marque et ses préférences. Nul n’ignore que ce cinéphile impénitent honnit les superproductions tonitruantes et s’emballe pour le cinéma d’auteur, bâti avec de faibles moyens, mais recelant parfois, sous de modestes écrins, de purs diamants. Serait-ce le cas des œuvres proposées ? Seuls les heureux élus qui les ont visionnées sont en mesure de répondre à cette question. Aux autres, reste le plaisir de la découverte. Ce qui n’est pas moins gratifiant.

Pas moins de 24 films seront projetés
Ainsi, pas moins de 24 films seront donnés à voir, dans diverses sections. C’est ainsi que figure parmi les films en compétition Tenja de Hassan Legzouli, préféré à Tarfaya de Daoud Oulad Sayed, à A Casablanca, les anges ne volent pas de Mohamed Asli et au Grand voyage de Ismaïl Ferroukhi, pour son originalité. Ce dernier opus est consolé par une présence, qui sera sans doute remarquée, dans la catégorie des films projetés hors-compétition. L’un et l’autre attestent d’un renouveau fécond du cinéma marocain. Ils méritent amplement le détour. A propos de détour, ne manquez pas d’en faire plusieurs par les cinémas Rif et Saâda. Là, vingt-deux films retraçant l’histoire du cinéma marocain vous attendent.
Cette année, le festival se distingue aussi par une originalité : pleins feux sur la cinématographie indienne, avec huit films représentatifs de son évolution ascendante : Chandralekha (1948), Awaara (1951), Shree 420 (1955), Bharat Mata (1957), Pyassa (1957), Guide (1965), Kabi Kushi Kabie Gham (2001) ; Devdas (2002). Les amateurs du genre se régaleront, les récalcitrants gagneraient à se forcer la main. Ce cinéma-là n’est pas aussi mièvre qu’on le prétend.
Il faut dire que l’histoire d’amour entre l’Inde et le cinéma est presque aussi vieille que le cinéma lui-même : en 1896, Auguste Lumière fait escale à Bombay où il montre les images d’un bref documentaire consacré à l’arrivée d’un train en gare… Le succès est immédiat. Trois ans plus tard, un amateur filme le retour au pays du célèbre mathématicien Varangype, un document qui reste dans les annales comme le tout premier film tourné par un Indien.
Il n’y a d’ailleurs rien d’étonnant à ce que le peuple d’un pays-continent, devenu le plus grand producteur de la planète (plus de 500 longs métrages par an), ait immédiatement été fasciné par l’image : les premiers réalisateurs ont, au départ, puisé dans l’extraordinaire réservoir des épopées religieuses qui servent d’armature à l’inconscient collectif de centaines de millions d’Indiens. «Ce qui se limitait à une scène de théâtre dans les villes et les villages de l’Inde traditionnelle a fini par se transposer à l’écran», résume Shyan Benegal.

Le cinéma indien sera à l’honneur
Le fabuleux succès du cinéma commercial symbolise les aspirations d’un peuple assoiffé de rêves : «Les chansons des stars de l’écran et même leur façon de s’habiller imprègnent au quotidien la psychologie et le comportement des Indiens», explique le producteur Suresh Jindel. Des rêves qui rapportent (12 millions d’Indiens s’assoient tous les jours dans les cinémas, à la ville ou dans les campagnes). Des rêves qui s’exportent : une centaine de films indiens est distribuée à l’étranger, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud, mais surtout dans des pays comme l’Angleterre, où l’importante communauté indienne reste d’une fidélité à toute épreuve, rapportant ainsi 200 millions de dollars à l’industrie de Bombay, en 2003. Les productions de Bollywood (contraction de Bombay et de Hollywood) piquent de plus en plus la curiosité des Occidentaux. Lagaan, nominé en 2002 aux Oscards, est entré dans le Top 10 anglais. Devdas, la plus grosse production à ce jour dans l’histoire de Bombay, s’est maintenu six mois à l’affiche en Grande-Bretagne. Veer Zara fait un tabac partout où il passe. Autant que le cinéma bollywoodien est dans l’air du temps.
Mais une fête aussi somptueuse ne peut réussir pleinement sans feux d’artifice. Ils prennent ici l’aspect d’hommages rendus à la sublime Claudia Cardinale (3 films), à l’insubmersible Youssef Chahine (5 films dont la copie restaurée de l’inédit Al-Nass Wa Nil) et au flegmatique Sir Sean Connery (4 films). Des moments de bonheur dans une édition qui n’en manquera pas sûrement. Rendez-vous à Marrakech.
Seuls les rêves n’ont pas de murs. Le Festival international du film de Marrakech est éclos d’un rêve improbable, que certains avaient trouvé «insensé». La chrysalide a failli ne pas se muer en papillon, à cause des caprices mortifères de l’Histoire (11 Septembre 2001). Mais la volonté du Souverain ne fut pas ébranlée par le séisme. Il ordonna qu’on maintint le festival. Et malgré les défections compréhensibles des vedettes américaines, la première édition passa la rampe, aisément. Elle était débordante d’éclat, de compassion, de générosité et de magnificence. Quel merveilleux geste que celui d’ouvrir la porte au rêve, à un moment où ressurgissait la bête immonde et où émergeait une nouvelle race d’oppresseurs résolus à ensevelir nos libertés sous leurs bottes !
Après cette entrée en scène remarquable, le FIFM avait le devoir de voler un peu plus haut. Il y parvint. A chaque prestation, il évoluait d’un cran, montait une marche, prenait de la hauteur. Sans jamais se griser de son succès. Toujours avec la même recette : ouverture sur des cinématographies méconnues, mise en lumière du cinéma du Sud, promotion du cinéma marocain, programmation de films de haute tenue… Toujours selon un principe directeur : permettre le dialogue des cultures.
Cette année, la direction qui a tenu le FIFM sur les fonts baptismaux a cédé la place à une autre, composée de Nour-Eddine Saïl, Fayçal Laraïchi, Melita Toscan et Bruno Barde. Elle ne manque ni d’allure ni d’enthousiasme. De surcroît, elle possède un savoir-faire indéniable. Il se trouve que, incompréhensiblement, elle est attendue au tournant. Lors de la conférence de presse tenue à Casablanca, le 23 novembre dernier, nous avons pris la mesure de l’hostilité qu’elle suscite chez beaucoup. Ce sentiment se manifestait par des allusions sournoises, des questions provocatrices, des considérations offensantes et des polémiques superflues. Il est regrettable que les membres de la nouvelle équipe, soumis au feu roulant d’inepties criantes, soient souvent sortis de leurs gonds. Ce n’est pas ainsi qu’ils pourront faire taire leurs détracteurs mais en faisant leurs preuves sur le terrain. Ils en ont, répétons-le, les capacités et le talent. Malgré la constellation d’étoiles, le ciel de Marrakech ne sera pas dégagé

Com’ese

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