Culture
Les mille feux de «Caftan» à Agadir
Quel que soit le lieu où il plante son décor, Caftan ne déroge pas à son devoir d’excellence.
Il en a fait la démonstration, le 5 mai courant, à Agadir où il s’est produit pour la première fois. Comme d’habitude, il a conjugué talent, sens de la fête et générosité. Reportage.

Samedi 5 mai. Il est 21 h 30. Les projecteurs délaissent, un instant, mannequins et stylistes pour se concentrer sur les deux animatrices du show qui annoncent que la totalité des recettes de cette onzième édition tombera dans l’escarcelle du Comité de soutien à la scolarisation de la fille rurale (CSSF). Dominique Sirop, membre permanent de la Chambre syndicale de la haute couture, couturier imposant et invité d’honneur de cette édition, a décidé, lui, de faire don au CSSF de sa tenue, créée spécialement pour la XIe édition de Caftan. Ces deux actes immensément généreux vont droit au cœur de Naïma Senhadji, trésorière du CSSF.
Cueillie à la sortie, Naïma Senhadji, le regard embué, nous fait part de son bonheur. «Dominique Sirop ne tient pas à fixer un prix pour sa tenue. Nous avons donc décidé de la mettre aux enchères. Nous sommes sûrs que l’argent que nous en tirerons couvrira au moins les frais annuels d’un de nos 30 foyers. Ce qui est loin d’être anodin», reconnaît-elle, avant de faire part de sa gratitude à l’endroit de Caftan, dont «le souci des déshérités» est une des vertus cardinales. Le CSSF en est l’heureux bénéficiaire puisque, depuis l’an 2000, 40 000 euros lui sont échus. Ils émanent, en majeure partie, de la billetterie de Caftan, mais aussi des invités, des stylistes et des mannequins, dont certains reversent leur cachet au CSSF. Caftan a un cœur «comme ça», qu’on se le dise !
Vendredi 4 mai, 20 heures. Les stylistes s’apprêtent à donner une représentation «confidentielle». Les habitués s’étonnent de ne pas voir, parmi eux, les habituelles forces de frappe de Caftan. Point d’Albert Oiknine, ni de Lahoucine Aït El Mahdi, de Simohamed Lakhdar, ou encore de Samira Haddouchi. Seuls subsistent Dahab Ben Aboud et Nabil Dahani. Histoire de faire peau neuve, à l’occasion de sa prestation océane, Caftan a fait appel à de nouveaux visages.
La très B.C.B.G. Dahab Ben Aboud semble avoir perdu contenance. «J’éprouve un trac affreux, bien que ce soit ma quatrième participation à Caftan. Le soir du défilé, je suis dans tous mes états. Si, au moins, on nous permettait de rester dans les coulisses, mais on nous mêle au public, et le moindre détail malencontreux nous saute aux yeux et nous fait douter de nous-mêmes».
Le couturier Dominique Sirop soutient la scolarisation de la fille rurale
Caftan est une épreuve capitale que les stylistes, quelle que soit leur étoffe, à la fois briguent et redoutent. Afin de surmonter leur angoisse, la menue et «exotique» Assia Benabdellah s’accroche aux plis d’une amie ; Amine Mrani, le «couturier du désert», se fait chaperonner par tout le clan Mrani ; Leïla Benmlih trône au milieu de la tribu de Sherazade Couture. Dans cette galerie tourmentée, Nabil Dahani, gueule d’amour et sourire charmeur, et Lamia Lakhsassi, au port altier et à l’élégance fine, détonnent par leur assurance affichée. Pour tous, l’arrivée de Najat Atabou et de Mouna Fettou crée une diversion. Journalistes et curieux s’en vont les entourer, au grand soulagement des stylistes, ravis de se faire voler la vedette, en un moment si éprouvant.
Samedi 5 mai, 16 heures. A l’entrée de la marina d’Agadir, placée sous haute surveillance, des obstinés sont en quête d’un miraculeux sésame. «Vous n’auriez pas un billet en rab?, nous demande une jeune dame. Je ne m’y suis pas prise à temps, et on m’a dit qu’il n’y en avait plus». Effectivement, les tickets d’entrée, pourtant à 1 200 DH, se sont arraché il y a belle lurette. Ce qui permet de prendre la mesure de l’ampleur de la manifestation qui, au fil des ans, s’est hissée au premier rang des rendez-vous «incontournables». Preuve en est, l’afflux massif, cette année, de visiteurs venus de toutes parts à Agadir, malgré la distance et la fatigue du voyage.
Caftan XI s’est joué à guichets fermés, malgré les dimensions du chapiteau
Bref, Caftan se jouera à guichets fermés, en dépit de la généreuse contenance du chapiteau (1 500 places), sous lequel il déploiera son talent. Abordée, Aïcha Sakhri, inquiète au point de contracter une poussée d’urticaire, ne se montre pas sereine : «J’espère que tout se passera pour le mieux. Nous n’avons pas lésiné sur l’effort. Nous avons enchaîné les nuits blanches, pour rattraper notre retard. Il faut savoir que nous commençons, d’habitude, à préparer l’événement en octobre. Mais à cause de Caftan du Maroc, qui s’est déroulé à Paris, nous n’avons pu le faire qu’en janvier.»
Le chemin qui mène à la marina ne constitue pas, loin s’en faut, une promenade de santé. Les abords sont verrouillés, des barrages humains sont dressés, et il faut montrer patte blanche pour pouvoir passer. Parvenu, enfin, à destination, une véritable kermesse enjouée s’offre à la vue. On flâne parmi les stands des partenaires de Caftan afin de faire provision de cadeaux. Des indélicats s’y reprennent à plusieurs fois, manière de faire plein. On s’en plaint et on va s’en consoler en visitant scrupuleusement les nombreux buffets pris d’assaut par les belles toilettes, parfois élégamment sobres, parfois tapageuses. En tout cas, il y a de quoi se rincer les mirettes, en tout bien tout honneur, et de s’emplir la panse. Les sens repus, on se décide à s’acheminer, nonchalamment, vers le chapiteau.
A vingt heures tapantes, les présentatrices pointent leurs jolies frimousses sur le podium. En deux temps, trois effets de manche, elles s’acquittent de leur mission. Place aux réjouissances. A la carte du menu, huit stylistes haute couture marocains, deux jeunes talents, une contribution amicale de Dominique Sirop, et la présence émoustillante d’un morceau de choix, Karima Adebibe, mi-irlandaise mi-marocaine, qui incarne le célèbre personnage de Lara Croft. On en a l’eau à la bouche. Première à se jeter à l’eau : Souad Chraïbi, 25 ans de métier et des dons inouïs. Valse palpitante de dentelles, mousselines et organzas, sertis d’or patiné mais brillant.
Le tout agrémenté d’une saveur fine et coquine. On retient son souffle, avant de se lâcher dans des applaudissements effrénés.
Chraïbi, Knouzi, Ben Aboud, les plus applaudies
Samira El Mhaïdi Knouzi, qui prend le relais, est une parfaite inconnue. Ce qui n’empêche pas son «Hymne à l’Andalousie», fortement coloré, de passer la rampe. Elle possède au plus haut point l’art de superposer les matières, c’est ce qui la distingue. Amine Mrani a déjà donné une bonne impression lors de son passage à Caftan, en 2005, en tant que jeune talent. Il s’est fait un point d’honneur de la confirmer, en remettant vingt fois sur le métier son ouvrage. Et c’est de la belle ouvrage à laquelle nous avons eu droit, ce soir-là, de sa part. Son «Eclat des savanes», tout en tissages nobles, touche africaine, mixage de cuir, daim, serpent, dentelles et pierres fines, est purement éclatant.
La suite est à ce jubilatoire avenant. Dahab Ben Aboud, as de la broderie, nous coupe le souffle avec son «Souffle de liberté», truffé de caftans sans manches en velours, brochés de soie et brocarts. Lamia Lakhsassi nous enchante par sa collection profuse en couleurs, broderies et accessoires. Ah, ces capes de caftans aussi radieuses qu’un jour de beau temps ! Assia Benabdellah nous fredonne une «Ay la Moulati» délicieusement excentrique, parée de couleurs chatoyantes et inondée de lumière. Quant à Nabil Dahani, il scelle sa rupture avec le caftan en proposant une collection de robes du soir mutines, conçues pour des femmes longilignes.
Grâce à LTB, une organisation impeccable qui a rehaussé le talent de Caftan
Tous les stylistes ont mis beaucoup de cœur à l’ouvrage. Quelle que soit leur sensibilité, ils ont fait montre d’ingéniosité et de créativité. En est résulté une performance impérissable, que le public a sirotée avec gourmandise. Une prestation éblouissante, une générosité mille fois louable et une organisation impeccable, grâce à LTB, voilà qui résume ce Caftan 2007 couvert de bleu gadiri. A son apparition, le lendemain, lors du brunch offert au Sofitel par Visa, Aïcha Sakhri se fit accueillir par des youyous retentissants. Elle a surmonté l’obstacle gadiri, mais son urticaire est encore là. Picotante rançon du succès !
