Culture
Les lettres et les arts se mobilisent dans l’anarchie
Le monde de la culture est décidé à défendre ses intérêts. Leur mobilisation a connu un tournant au moment de la signature de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis, avec, notamment, la création d’une coalition. Mais, aujourd’hui, malgré la communauté des objectifs, associations et syndicats du secteur, divisés, risquent de perdre le bénéfice de leur mobilisation.

Lemonde de la culture et des arts est en ébullition. Jamais hommes de théâtre, plasticiens, musiciens, cinéastes et autres professionnels au Maroc n’auront été saisis d’une si grande fièvre que pendant le mois de Ramadan écoulé. En l’espace d’une semaine, pas moins de trois instances ont été créées pour défendre la cause culturelle. La première à ouvrir le bal, le 31 octobre, est le Syndicat des hommes de théâtre marocains (SHTM). Dans ses rangs, on compte quelques figures emblématiques des planches : Tayeb Saddiki, Abdelkader Badaoui, Abdallah Chekroun, Abdelkrim Berrechid, Abdessamad Dinia, Hamidou Benmasoud, Saïd Afifi entre autres. Le bouillonnant Mohamed Hassan El Joundy, lui, en est élu secrétaire général.
Rendre à la culture ses lettres de noblesse
Les travaux de son assemblée constitutive ont été une véritable foire d’empoigne. Invectives et insultes ont fusé comme des projectiles dans la salle, opposant créateurs et adversaires du nouveau syndicat. Les seconds, fidèles au Syndicat national des professionnels du théâtre (SNPT), vieux de plus de dix ans, accusaient les premiers de tailler «une brèche dans le corps des hommes de théâtre et de semer la zizanie». Le 5 novembre, le même SHTM, fraîchement créé, s’est associé avec le Syndicat libre des musiciens marocains (SLMM), présidé par Mustapha Baghdad, et le Syndicat des artistes plasticiens marocains, présidé par Abdellatif Zine, pour fonder à Casablanca un rassemblement : l’Union marocaine des syndicats des artistes (UMSA). La présidence de cette union est revenue au même Hassan El Joundy. Deux jours plus tard, le 9 novembre, c’était au tour de la Coalition marocaine de la culture et des arts (CMCA) de tenir, au complexe Sidi Belyout de Casablanca, son assemblée générale pour élire ses instances dirigeantes : un bureau exécutif composé de 15 membres et un président, Hassan Nafali, désigné à l’unanimité.
A lire leurs communiqués et à entendre leurs discours, aussi bien les instigateurs de l’UMSA que ceux de la CMCA militeraient pour les mêmes objectifs : rendre leurs titres de noblesse à l’art et à la culture marocains, les sauver de la décrépitude dans laquelle ils sombrent et, surtout, sortir l’artiste de l’oubli et plaider sa cause pour l’acquisition de ses droits les plus élémentaires : une carte professionnelle et une couverture sociale (assurance maladie et retraite). Alors, pourquoi cet émiettement qui ne fait que brouiller les cartes et précipiter davantage le secteur dans l’abîme ? Pour répondre à cette question, un petit retour en arrière s’avère nécessaire.
Nous sommes en décembre 2003. L’accord de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis n’est pas encore signé, mais il met d’ores et déjà les artistes et les acteurs du champ culturel dans tous leurs états. Ces derniers crient en effet au scandale et se posent mille questions sur la place réservée à la production artistique et culturelle nationale dans les négociations en cours avec les Etats-Unis. L’inquiétude est si vive qu’une «Coalition pour la diversité culturelle marocaine» est mise sur pied, se fixant pour objectif l’élaboration d’une plate-forme stratégique pour défendre l’identité culturelle marocaine. Un communiqué émanant du collectif décline l’identité de ses fondateurs. S’y côtoient syndicats et associations de disciplines différentes. On y trouve pêle-mêle le Groupement des auteurs réalisateurs producteurs, le Syndicat national des professionnels du théâtre, l’Union des écrivains du Maroc, le Syndicat libre des musiciens marocains, la Chambre marocaine des producteurs de films, l’Association marocaine des professionnels du livre et l’Association des professionnels de la radio et de la télévision. Un mois plus tard, le 28 janvier 2004, la coalition sort dans la rue pour exprimer devant le Parlement sa colère contre les termes de l’accord. On connaît la suite : les forces de l’ordre investissent brutalement les lieux et dispersent la manifestation à coups de matraque.
La disparition de Chérif Lamrani de Lemchaheb est venue remuer le couteau dans la plaie
La défense de la diversité de l’art et de la culture, face à l’hégémonie du produit américain que favoriserait l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis, ne fut que l’une des péripéties d’un long processus. Les artistes et les intellectuels à l’origine de la coalition (version première) s’attelèrent à l’élaboration d’un projet beaucoup plus ambitieux : la défense des droits matériels de l’artiste et la promotion de la création artistique d’une façon générale. L’objectif étant d’aboutir à un vaste rassemblement qui s’érigerait en porte-voix du secteur auprès des pouvoirs publics, notamment du ministère de la Culture. Il était plus que temps : on voyait la situation de l’artiste se dégrader au fil des années, certains finissant leurs jours esseulés, sans la moindre reconnaissance, et dans le dénuement total. La dernière disparition en date, celle de la star du groupe Lemchaheb, Chérif Lamrani, a remué le couteau dans la plaie d’une corporation qui n’est pas encore sortie de l’auberge.
Or, le processus d’unification entamé en décembre 2003, au lieu d’aboutir à un seul bloc qui cristalliserait les aspirations des professionnels de l’art et de la culture, accoucha de deux rassemblements prêchant séparément les mêmes idéaux, mais selon des approches différentes. L’artiste Mustapha Baghdad, secrétaire général du Syndicat libre des musiciens marocains et second secrétaire de l’Union marocaine des syndicats des artistes, développe cet argumentaire : «Nous avons toujours défendu l’idée de créer une alliance exclusivement constituée de syndicats, conformément au dahir de 1957. Les associations ont un autre champ de travail et la loi les régissant est le dahir de 1958. Il ne faut pas mélanger les genres. S’il y a un cahier revendicatif sur les artistes, ce sont les syndicats et uniquement eux qui sont habilités à le défendre». Raisonnement totalement partagé par Abdellatif Zine, secrétaire général du Syndicat des artistes plasticiens marocains et membre fondateur de l’UMSA. «Alors que nous travaillions, raconte-t-il, pour lancer les bases de la coalition d’une façon indépendante du ministère de la Culture, nous avons constaté avec amertume que Mohamed Achâari n’avait de cesse d’envoyer ses ukases aux membres de la future coalition pour les infléchir à sa politique. On a senti une certaine déviation dans la démarche : du syndicalisme et de la défense des intérêts des artistes, on glissait vers la politique».
Le ministre de la Culture Mohamed Achaâri, a-t-il une dent contre Abdellatif Zine et Mustapha Baghdad, comme le proclament deux artistes dans la presse ? A-t-il effectivement manœuvré pour les exclure de la coalition aux fins de propulser à sa tête Hassan Nejmi, président de l’Union des écrivains du Maroc et son camarade dans le parti ? «Ils ont été effectivement exclus à cause de leur indiscipline», répond Hammadi Guirroum, critique de cinéma et membre du bureau exécutif de la coalition. «Ces deux personnes ne cherchaient qu’à défendre leurs propres intérêts. L’intérêt général est leur dernier souci. Quand ils se sont aperçus qu’ils étaient indésirables dans la coalition, ils ont provoqué la création de l’Union. C’est du faux». Hassan Nejmi avait-il postulé à la présidence de la coalition ? «Il n’a jamais été pressenti à ce poste, et il n’a même pas été présent lors de l’assemblée qui a élu les instances dirigeantes de la coalition», répond Hassan Nafali, l’ancien directeur du Festival de Rabat.
Tout cela est une mauvaise querelle, diront les sages. Cette polémique dessert l’artiste. Ce dont ce dernier a besoin, c’est une revalorisation de son statut, et de toute urgence, par la mise en application de la loi 71-99 le régissant, qui attend toujours des décrets d’application. Lesquels tardent à venir.
Le ministre de la Culture aurait promis une subvention de 4 MDH
En tout état de cause, M. Achâari, ministre de la Culture, semble avoir choisi son interlocuteur. Le lundi 8 novembre, au lendemain de l’élection du bureau exécutif de la Coalition marocaine pour la culture et les arts, il se réunit avec ses membres et leur remet un projet de partenariat et de coopération. Lequel, selon un communiqué diffusé par le ministère, vise «la préservation de la dignité de l’artiste marocain, en application des dispositions de la loi sur l’artiste. Il porte sur le financement des services sociaux des artistes dans les domaines des assurances sanitaires, de la retraite et d’autres services». Le ministre est allé encore plus loin, en louant dans une déclaration, le rôle de la «coalition» qui, selon lui, «reflète le degré de maturité qui marque la scène artistique en vue de faire face à la compétitivité imposée par la mondialisation et de protéger l’identité nationale». Et pour se situer par rapport à une polémique qui enfle, il a ajouté : «Cela nous pousse à dépasser les différends marginaux et à nous intéresser aux questions essentielles et vitales relatives à notre culture et à notre art».
Les plus optimistes prédisent une année 2005 pleine de bonnes surprises pour l’artiste marocain. Des revendications seraient sur le point d’aboutir : d’abord la délivrance d’une carte professionnelle à ceux qui font de l’art et de la culture leur gagne-pain. Le décret d’application, comme le prévoit la loi sur l’artiste, est en cours de finalisation par le Secrétariat général du gouvernement. Quant à la couverture sociale et à la promotion de la création, le secteur attend du ministère de la Culture, comme l’aurait promis le ministre, une subvention de quelque 4 millions de dirhams. Pourvu que les acteurs du champ culturel et artistique ne se querellent pas pour sa répartition .
M. Achâari, ministre de la Culture, semble avoir choisi son interlocuteur. Le 8 novembre, au lendemain de l’élection du bureau exécutif de la Coalition marocaine pour la culture et les arts, il se réunit avec ses membres et leur remet un projet de partenariat et de coopération.
Le syndicat des hommes de théâtre marocains (SHTM), né le 31 octobre dernier, est la première des trois instances récemment créées pour défendre la cause culturelle. Il faut espérer que leur multiplicité ne desservira pas cette cause.
