Culture
Le peuple qui ne respecte pas son art et sa culture n’a pas de Dieu
Auteur, il a fait ressusciter la légende de Gilgamesh à la recherche de la plante d’immoralité.
Compositeur, il redonne à la musique arabe ses lettres de noblesse.
Chanteur, il raconte une histoire orientale, dans une langue orientale.
Chanteur, compositeur, Abed Azrié est né à Alep (Syrie) mais vit en France depuis 1967.
Il a chanté les poèmes de Rabiaâ El Adaouia, d’El Hallaj et de bien d’autres mystiques encore. Sa curiosité et sa sensibilité ont donné naissance à une relecture des textes anciens au diapason de la modernité. On lui doit un répertoire exceptionnel où se croisent passion et conviction. Un artiste passionné et un homme passionnant que «La Vie éco» a rencontré pour vous.
La religion a toujours été source d’inspiration pour la création musicale, pensez-vous que ce soit toujours le cas ?
Les trois religions monothéistes disent la même chose. Elles nous orientent vers l’amour du prochain. Se tourner vers l’autre, le comprendre, l’écouter. Le partage, c’est le sens divin. Et c’est là que la musique intervient.
Vous avez adapté des poèmes soufis, des légendes, des textes antiques…et vous nous proposez cette fois-ci, pour le festival de Fès, l’Evangile selon Jean. Une partition pour solistes, chœur et ensemble d’Orient et Occident. Pourquoi l’Evangile ?
Le christ était un homme moderne qui s’est révolté contre les lois. Il a dit : «je ne suis pas venu pour juger le monde mais pour le sauver». La religion doit être une utilité pour l’homme. C’est cela l’essence de l’Evangile et c’est cela que j’aime.
Pourquoi avoir choisi de le chanter en langue arabe ?
La langue arabe est une langue chaude. Elle est issue de l’Araméen, la langue de Jésus. C’est tout naturel et chaleureux que de rendre hommage à travers cette langue. Je ne fais que raconter une histoire orientale à travers une langue orientale.
Vous travaillez sur les langues anciennes. C’est quoi cette obsession à vouloir faire ressusciter des langues que plus personne ne parle ? Ne croyez-vous pas qu’il y ait des langues mortes et des langues vivantes ?
Il n’y a pas de langues mortes et de langues vivantes. Il y a des langues mal utilisées. L’américain par exemple est une langue qui s’éloigne de la langue anglaise qui est si belle. Parce que l’américain exprime plus des besoins qu’autre chose. Alors que dans la langue anglaise on y retrouve l’expression du désir et des besoins à la fois. La langue ne peut pas mourir s’il y a un imaginaire dedans. Jean Bernard disait que tout meurt dans l’homme sauf le sang qui se transmet de génération en génération. La langue est dans le sang, elle ne meurt pas.
Vous vivez en France depuis 1967, vous chantez toujours en arabe. N’êtes-vous pas tenté de chanter en français ?
Je suis ridicule à chanter en français… Mes cordes vocales sont façonnées pour chanter en arabe. Je n’ai pas la même voix en français et en arabe. Je pense qu’il faut toujours chanter dans la langue de l’enfance.
Votre œuvre emprunte aux sonorités orientales et occidentales à la fois. Pourquoi ce mélange ?
J’ai vécu en Syrie et puis en France. Je suis composé de ces deux moitiés mais sans aucune dualité. J’ai collé les deux parties dans ma pratique musicale. Je suis singulier mais sous forme de pluriel. «Deux esprits dans un seul corps».
Dans des albums comme mystic ou encore soufis, vous essayez de réconcilier l’homme avec la religion, avec la musique ou avec lui-même ?
Je pense que l’homme a fini par faire bouder Dieu. La musique est équivalente à la religion. L’art nous met en contact avec l’arbre, la lumière, les fleurs… Ça permet d’accéder aux profondeurs. Nous vivons un temps où l’homme est banalisé au maximum. Il faut enlever cette panne pour que l’homme puisse transcender.
Notre temps ressemble beaucoup à celui de la fin de l’empire Romain ou la fin de Babylone. On n’a plus de discernement. On a perdu le sens.
Quelle est la place de la musique arabe aujourd’hui dans le monde.
La musique arabe est morte dans les années trente. Elle a même été enterrée sans cortège funèbre. Aujourd’hui la musique est méprisée, elle est devenue un élément de divertissement. Les gens n’ont plus de références. A mon sens, le peuple qui ne respecte pas sa culture, son art n’a pas de Dieu.