SUIVEZ-NOUS

Culture

Le marché de la musique en mal d’offre légale

Le marché du CD légal en perte de vitesse, mais malgré cette morosité une enseigne comme Virgin s’installe au Maroc.
Les producteurs lancent de nouveaux business modèles.
Le streaming, l’avenir de la musique.

Publié le

rub 14432

Le marché de la chanson est en pleine mutation. La musique se dématérialise et l’industrie de la chanson doit inventer de nouveaux modèles économiques. Premier grand changement annoncé, la disparition du support physique. Le CD, dit-on, vit sa dernière heure de gloire. Mais avant cette petite révolution, le règne du piratage a encore de beaux jours devant lui, du moins au Maroc. Ce marché, mille fois décrié et toujours en plein essor, a enfanté des déséquilibres mais  il a aussi le mérite d’avoir excité l’inventivité. Si les circuits de distribution classiques ont été ravalés par le piratage, les maisons de disques se restructurent, repensent leur approche, réorganisent leur fonctionnement et inventent des modes de distribution et de consommation de la musique. Pour El Mehdi Benslim, producteur et patron de Clic Agency, l’avenir de la musique est désormais sur le net. La musique numérique, c’est ce nouveau business modèle qui s’impose partout dans le monde. Benslim l’a vite compris et s’est rapidement repositionné. Avec lui, on surfe…Plus la peine de se prendre la tête, en un simple clic on peut écouter la musique que l’on veut et gratuitement. Itoube, la plate-forme musicale qu’il a créée, propose 3 millions de titres en streaming (transfert de données multimédia en continu sur internet, sans pouvoir les conserver sur le disque dur). Le temps des CD est passé, voire dépassé.
Et avec cette perte de vitesse, c’est tout le métier qui va mal, très mal. La production est en chute libre. Pour le producteur cela n’est pas imputable uniquement au phénomène mondial qui est la dématérialisation de la musique, ni au marché parallèle, mais aussi aux festivals qui  «ont créé un faux modèle. On a habitué les gens à ne pas payer pour la culture. La relation intime entre le fan et l’artiste n’existe plus. Produire un artiste revient en moyenne à 150 000 DH, sans le clip. Ajouter à cela la mise à mort de la billetterie, il ne reste presque rien pour amortir le coût», s’indigne-t-il.
Platinium tente de rattraper la course autrement. Le boîte de production n’abandonne pas le CD mais a fini par trouver un compromis. Chez Platinium on a décidé de ratisser large en allant au-delà des circuits de distribution classiques (c’est-à-dire grandes et moyennes surfaces, duty-free…). Le producteur s’est aventuré dans les souks. Il a fallu un véritable travail d’équilibriste pour réduire le coût de la production tout en maintenant en vie la boîte et arriver à vendre des CD à 13 DH/pièce ! Le pari a été relevé, la boîte tourne toujours mais les ventes de CD «ne représentent plus que 20% du chiffre d’affaires de la société», confirme Sofia Ababou, label manager chez Platinium. L’argent se fait désormais sur le support numérique. «Le CD n’est plus qu’un objet de promotion», insiste-t-elle.

Chronique d’une mort annoncée
Les Marocains continuent de consommer de la musique nationale en grande partie. La répartition par répertoire dévoile que 65% des ventes de CD concernent la musique locale, 25% de musique arabe orientale et 10% de musique internationale. Si nos artistes nationaux sont adulés et même s’ils attirent les foules, «leurs cachets ne dépassent pas dans les meilleurs des cas les 50 000 DH», s’indigne un producteur. Pour vivre, nos artistes s’orientent de plus en plus vers la gestion de l’image, comme l’ont fait Nass El Ghiwane. Pour d’autres, le talent et la chance ont opéré. C’est le cas du groupe H-Kayne. La musique du groupe a attiré les producteurs de la Warner qui a acheté les droits de diffusion d’une de leurs chansons pour le dernier film de Leonardo Di Caprio. D’autres chanteurs, aussi talentueux et moins chanceux, attendent des jours meilleurs.  
Si certains considèrent la mort du CD imminente, d’autres continuent de croire qu’une belle pochette, une bonne qualité de son et un petit livret révélant les secrets de fabrication de l’album…c’est toujours dans l’air du temps et pour longtemps encore. De ceux-là, il faut compter Younès Bennani. Un homme qui voit grand et qui a décidé d’ouvrir le premier Virgin Mégastore au Maroc.
L’homme d’affaires ne fait pas dans la demi-mesure. Son univers rime avec gigantisme. L’ouverture du Virgin Mégastore de Marrakech est prévue en novembre prochain. On pourra y trouver de la musique, des films, un espace pour produire les artistes et même à boire et à manger pour les gourmands. M. Bennani a décidé de mettre le paquet pour vendre ses CD, ces objets d’art en voie de disparition. «L’offre légale au Maroc a toutes les raisons d’exister», déclare-t-il. Après Marrakech, Virgin compte s’installer à Tanger et Fès, avant de venir à Casablanca. Le patron de Virgin Maroc espère «offrir une vitrine de musique mondiale, de musique marocaine et arabe classique, sans oublier la nouvelle scène marocaine». Bennani promet la diversité mais aussi et surtout la qualité et les services. Une bonne politique de prix sera également la bienvenue.  
La musique ne reconnaît pas les limites géographiques. L’illégalité aussi. Si les chansons marocaines voyagent beaucoup, elles le font aussi sans cadre juridique et c’est à cette problématique qu’est confrontée au quotidien l’équipe de Fassiphone Belgium, le spécialiste de la musique chaâbi et classique marocaine à l’étranger. «Produire des albums en Europe a un coût nettement supérieur à celui de la prod au Maroc. Nous vendons nos CD entre 2,5 et 3 euros sur le marché de gros et à 7,8 euros en détail. Il y a des réseaux qui se sont spécialisés dans l’exportation (illégale) vers l’Europe, des CD que nous produisons au Maroc à moindres coûts», explique Abdennasser Benjelloun, directeur général de Fassiphone Belgium. Le patron et son équipe livrent une épuisante bataille à un réseau encore mal identifié. D’ailleurs, dans ce genre de combat inégal, la seule façon de résister c’est de se réorienter. Le directeur redirige son business vers l’artisanat pour s’en sortir. Mais il n’abandonne pas la musique pour autant, car une fois qu’on a mis les pieds dans ce métier, il devient difficile de s’en détacher. La société d’édition phonographique a adopté une logique de diffusion différente. Fassiphone propose une vitrine musicale à travers un site  web. On y retrouve les grandes stars de la musique chaâbi à l’image de Stati, de Rouicha ou encore de Daoudi. Le registre de la boîte compte 1 500 références maghrébine et arabe. Deux possibilités sont offertes aux mélomanes : le téléchargement payant (entre 8 et 15 euros) ou l’achat de CD, (entre 8 et 19 euros).  Mais, là encore, difficile de vendre. Aller sur le net, c’est prendre encore d’autres risques. Sur le web, une autre bataille fait rage. Celle qui oppose le payant au gratuit.
La diffusion de musique sur le web a engendré une hausse des téléchargements pirates. Le marché a du mal à trouver son équilibre. Les internautes se soucient peu des droits d’auteur. Les initiés le savent. Pour télécharger la musique gratuitement, il suffit d’installer des logiciels tels Ares, Emule ou encore Limewire et le tour est joué. Aucun problème de conscience ne se pose. Pour l’instant tout le monde croit à la gratuité du net, une aubaine pour tous. Sur d’autres sites comme celui de Raptiviste, on peut s’inscrire gratuitement et télécharger la musique que l’on veut. La seule contrainte, c’est les quelques secondes de pub à supporter avant d’accéder aux titres ! Les opérateurs de télécoms ont, eux aussi, rejoint la course en lançant de nouveaux business-modèles. Au Maroc, Wana propose un catalogue constitué essentiellement de musique marocaine, à télécharger en envoyant un SMS à 6 DH TTC par titre. Pour l’instant, la croissance du secteur numérique reste insuffisante pour compenser les pertes du marché du disque. Il paraît évident qu’il faut encore améliorer la diversité des contenus et l’accessibilité au web. Les sites marocains se concentrent sur la musique marocaine ou maghrébine et la demande croissante sur la musique internationale n’est pas encore satisfaite légalement. Opposer le payant au gratuit plombe le marché.
En Grande-Bretagne, par exemple, on a opté pour la réconciliation. Une formule vient d’être lancée pour lutter contre le téléchargement illégal. C’est Nokia qui se propose d’offrir à ses  clients l’accès illimité au catalogue Nokia Music Store, pendant un an, où ils peuvent télécharger toutes les musiques qu’ils veulent. On l’avait bien dit, les opérateurs télécoms remplacent déjà les disquaires !