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Culture

Le livre marocain, entre morosité et espoir

Sale temps pour l’édition marocaine, qui prend, au fil du temps, sombre tournure.Faute de volonté politique de promouvoir la lecture et à  cause du manque de lecteurs.Toutefois, l’on doit prendre acte d’une embellie qui se dessine.Pourvu qu’elle soit le prélude à  un ciel complètement dégagé.

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Interrogé sur l’état de santé de l’édition marocaine, Rachid Chraïbi, directeur de Marsam, lance un énigmatique «nous faisons comme si elle se portait bien». En clair, le secteur éditorial souffre, et pas seulement d’un rhume. «Nous nous battons pour répandre la bonne du livre. Mais il faut croire que les Marocains sont fâchés avec la lecture», se plaint Chraïbi. Et d’ajouter : «Au début, je tirais, contre toute prudence, à 3  000 exemplaires. Le tiers m’en restait sur les bras. Par la suite, je me suis contenté de 2 000 exemplaires. Aujourd’hui, je ne dépasse pas 1 000 exemplaires, que j’éprouve beaucoup de peine à écouler». Il aurait depuis belle lurette fermé boutique, assure-t-il, s’il ne poussait pas le zèle jusqu’à puiser dans les dividendes tirés de ses autres activités, celles de galeriste et de propriétaire d’un atelier d’arts graphiques. Si l’on en juge, d’après ses propos, l’édition irait de mal en pis.

Les soutiens à l’édition sont aussi parcimonieux que soumis à beaucoup d’exigences
En tous cas, ce n’est pas en s’embarquant dans la galère de l’édition qu’on peut espérer faire son beurre. Un roman vendu à 40 DH revient à 15 DH, auxquels s’ajoutent la part de l’auteur (10%) et du diffuseur (40 à 50 DH), sans compter les frais de promotion. Le coût de fabrication d’un livre pour enfants proposé à 40 DH est de l’ordre de 20 DH. Mais l’éditeur empoche à peine 5 DH, une fois les frais déduits. Quant au prix de revient d’un beau-livre digne de ce nom, il s’élève à
400 000 DH au bat mot. Si au moins les éditeurs étaient suffisamment aidés dans leur sacerdoce ! Il fut un temps où le ministère de la culture apportait son écot sous forme d’une centaine d’exemplaires par titre paru, qu’il destinait aux bibliothèques. Il a cessé de le faire, déplorent les éditeurs, depuis deux ans. En revanche, il a maintenu sa contribution à la fabrication de livres (entre
15 000 et 30 000 DH par titre). Mais, observe Abdelkader Retnani, directeur de la Croisée des chemins, elle ne concerne pas plus de 35 titres. En outre, elle n’est versée qu’un an après.
Entre 15 000 et 30 000 DH, tel est aussi le montant accordé à une quarantaine de parutions par le bureau du livre de l’ambassade de France. Pour en jouir, l’éditeur doit «se farcir» une montagne de formulaires «rébarbatifs», selon Retnani. Ce qui est souvent dissuasif. Au rebours des chiches encouragements du ministère de la culture et de l’ambassade de France, ceux émanant des mécènes sont substantiels. Un bémol, cependant, ils privilégient le beau-livre au détriment des autres genres. A la Fondation d’Ona, la BMCE, la BMCI, Maroc Telecom ou l’Agence du Sud, les éditeurs de beaux-livres sont reconnaissants. «Sans le concours de l’Agence du Sud, certifie Chraïbi, je n’aurais jamais été à même d’éditer Al Khaïma, La Tempête noire du désert, Secret du Sud et Les Gravures rupestres de la région de Smara».

1 300 parutions, 150 000 acheteurs par an, c’est dérisoire
1 300 publications par an, 15 éditeurs de livres littéraires et d’essais, 30 éditeurs de livres scolaires et littéraires, 150 000 acheteurs chaque année, en dehors du Salon international de l’Edition et du Livre. La tendance indiquée par l’enquête menée par le ministère de la culture, en 1998, se confirme, sinon empire. Il en résultait que 50% de Marocains seulement lisent annuellement entre 2 et 5 livres. N’auraient-ils pas goût pour la lecture ? Si, proteste Retnani, étayant son assertion par la carrière de l’essai Au-delà de toute pudeur, commis par Soumaya Nouâmane Guessous, dont 48 000 exemplaires se sont envolés, en vingt ans. Autre argument, la campagne de sensibilisation de l’enfant à la lecture (en 2008), pendant laquelle les enfants des quartiers défavorisés et des campagnes reculées se sont rués sur les 67 000 livres publiés par Yanbow Al Kitab et offerts gracieusement par les Fondations Zakoura et Esprit de Fès.
Pour autant, rien ne va, manifestement, au royaume du livre. La raison en incombe, au premier chef, aux parents, peu soucieux d’exalter, auprès de leur progéniture, les vertus de la lecture. Les enseignants, eux, ne sont exempts de tout reproche, rares sont ceux qui se font un devoir de donner le goût du livre à leurs ouailles. Le ministère de l’éducation, autre coupable désigné par la corporation des métiers d’édition, s’obstine à ne pas inscrire les auteurs marocains au programme des collèges et lycées. Pourtant, c’eût été tout bénéfice pour les éditeurs : «Si le ministère de l’éducation prescrivait 4 livres marocains par an aux établissements scolaires, je peux vous garantir qu’en moins de 4 ans, notre production passerait de 1 300 à 4 000 titres annuellement, et l’on dépasserait allégrement un pays comme le Liban», plaide Retnani. A cela se greffe un déterminant culturel, traduit par l’attitude intimidée des Marocains envers les librairies, dont ils ne franchissent la porte qu’en cas de force majeure. Dans des espaces qu’ils jugent plus accueillants, tel le Salon international de l’Edition et du Livre, ils assouvissent sans gêne leur désir de lecteur. En 2008, 500 000 personnes ont visité le Siel, emportant 300 000 livres.

Enfants et adolescents sont atteints d’anorexie livresque
Psychologues et sociologues établissent que l’enfant a un penchant spontané pour la lecture. Visiblement, ce sentiment s’émousse chez les nôtres, au fil de leur évocation. La faute aux parents, blâme Nadia Essalmi, des éditions Yomad. «Jamais ils n’accompagnent leurs enfants à une librairie, jamais ils ne prennent le temps de leur lire une histoire. Or, un enfant à qui on a lu un conte ou un récit qui l’a accroché, en demande d’autres», affirme-t-elle. Ce à quoi souscrit la directrice de Yanbow Al Kitab, Amina Hachimi Alaoui, soulignant que «les rares parents qui se présentent à une librairie avec leurs enfants ne laissent pas ces derniers choisir librement leur livre. Quand un gosse est attiré, par exemple, par une bande dessinée, son père lui impose un roman. Ce qui fait qu’il est vite dégoûté de la lecture». Cette anorexie des enfants en matière de lecture, induite par le comportement parental, est telle que les maisons d’édition vouées à l’enfance, Marsam, Yomad et Yanbow Al Kitab, ont longtemps tiré le diable par la queue avant de connaître des jours meilleurs. D’autant qu’elles pâtissaient de la concurrence des éditeurs étrangers. Il y a deux ans, Anas Laassel, libraire au Carrefour des Livres, nous disait : «D’après l’étude qualitative que je viens de faire, les livres édités au Maroc ne trouvent pas grâce aux yeux des enfants. Ils les trouvent fades et n’ont d’yeux que pour les livres importés, qui les épatent par leur qualité esthétiques». C’est sûrement ce constat qui a incité Rachid Chraïbi, Nadia Essalmi et Amina Hachimi Alaoui, à se mettre au diapason. Résultat : le livre pour enfants marocains connaît, depuis deux ans, un léger mieux, surtout grâce au bol d’air apporté par le ministère de la culture qui, en 2007, a financé partiellement vingt titres destinés aux enfants. Reste que la bataille n’est pas encore gagnée.
Elle est perdue d’avance sur le terrain des ados. Ceux-ci préfèrent aux romans, qu’ils considèrent comme «une prise de tête», les gestes de zapper, surfer ou rapper, entre clips, sites et mags. Il leur arrive même de lire. Les garçons sont friands de Harry Potter et de la bande dessinée (Black et Mortimer, Astérix, Tintin, Iznogoud, Lauteust de Troy, Mangas…). Les filles, elles, ont la fringale des romances, et elles se parfument d’eau de rose dans les livres de la Bibliothèque rose, de la Bibliothèque verte et des collections comme Toi et moi : cœur et Sabrini. Tout cela fait l’affaire des éditions étrangères, pendant que les Marocains tiennent la chandelle.

Les livres en format de poche, en raison de la modicité de leur prix, font un tabac
Du côté des adultes, ce n’est guère plus reluisant. Si l’on excepte les enseignants du secondaire, les universitaires et les intellectuels, il n’y a pas grand monde qui se bouscule au portillon des librairies. Non que les autres catégories socioprofessionnelles aient un quelconque préjugé défavorable contre la lecture, mais parce que le livre n’est pas à la portée de leurs bourses. Cette pierre d’achoppement a été contournée, depuis 3 ans, par les éditions Le Fennec, qui proposent des livres en format de poche à 10, 15 et 20 DH. Avec succès. Layla Chaouni, qui en a eu l’initiative, s’enorgueillit de pouvoir en débiter plusde 4 000 exemplaires en moins de quatre mois. On comprend alors que d’autres sociétés d’édition entendent marcher sur les brisées du Fennec. Rachid Chraïbi ne cache pas son intention d’éditer ses best-sellers, une fois épuisés, en poche. Pour peu que d’autres suivent, le paysage éditorial prendra des couleurs radieuses.
Les prémices d’une éclaircie, si l’on en croit Abdelkader Retnani, se profilent déjà à l’horizon. Les ventes, en 2008, ont progressé de 10% par rapport à 2007. L’essai sociologique y tient le haut du pavé, les ouvrages sur l’histoire du Maroc occupent le deuxième rang, distançant le roman, lequel bouscule la poésie et le théâtre, peu prisés par les lecteurs. «Je reste très optimiste quant à l’avenir de l’édition au Maroc, s’exclame le directeur de la Croisée des Chemins. Les temps de disette ne seront plus qu’un mauvais souvenir». On souhaiterait partager son optimisme.