Culture
L’Album à remonter le temps
L’Album de la Cinémathèque nous fait voyager dans le Tanger extraordinaire du XXe siècle, celui qui a passionné les grands écrivains et, surtout, les grands cinéastes.

C’est un bel ouvrage. Dès qu’on l’aperçoit, avantageusement placé à l’entrée de la Librairie des Colonnes, on déplace mentalement quelques livres dans sa propre bibliothèque, pour aménager à cet album un espace convenable. Et c’est encore mieux quand on le feuillette ! Une orgie de photos, d’affiches, de plans de Tanger s’en échappe, une profusion de couleurs dont l’œil s’abreuve un peu béatement, comme devant une poétique séquence cinéma. C’est que des pans entiers de l’histoire du Septième art nous sont contés là-dedans, de la première à la quatrième de couverture, en passant par trois-cents quarante pages copieusement documentées. Et à travers cette histoire du cinéma, on découvre celle de Tanger, de la cinéphilie tangéroise, d’une façon assez singulière.
D’emblée, une carte de la ville nous fait réaliser avec stupéfaction les ravages qu’ont subis les cinémas de quartier : Alcazar, Vox, Capitol, Tivoli, Flandria… Quinze salles décimées ! Si bien que de ce Tanger cinéphile, il ne subsiste plus que quatre cinémas, le Roxy, le Mauritania, le Paris et la Cinémathèque, bien sûr. Conséquence de ce patrimoine qui se détériore, une mémoire qui flanche : «Tanger à l’écran a attiré nombre de personnages familiers, de James Bond à Lemmy Caution. Des réalisateurs de premier plan, de Bertolucci à Cronenberg, de Freda à Sternberg. Des acteurs et actrices de rêve, de Marlène Dietrich à Joan Fontaine et Brigitte Bardot, de Gary Cooper à Jack Palance et Tony Curtis», rappelle l’écrivain Omar Berrada, avant de prévenir : «Il s’agit donc, avant qu’il ne soit trop tard, de sauver ce qui reste de la mémoire cinéphilique tangéroise». Et de «fabriquer» les cinéphiles de demain. Dans ce livre, Bouchra Khalili, vidéaste et enseignante en arts plastiques, nous fait découvrir comment elle s’y prend, elle qui conçoit la programmation de la Cinémathèque et supervise le ciné-club pour enfants «La Lanterne magique» : «Langlois disait qu’il fallait dix ans pour créer un public. Ces enfants sont notre public à la fois d’aujourd’hui et de demain. Il grandira en ayant en tête les films qu’il a vus à la Cinémathèque lorsqu’il était enfant, et il continuera à venir, parce que l’expérience du cinéma en salle fait partie de sa vie depuis son enfance. Parce qu’il aura aussi conscience que le cinéma a une histoire, raconte des histoires, et accompagne l’histoire».
Voilà, pour résumer, ce que s’acharnent à faire les auteurs de cet Album : se tourner vers le passé, écouter ce qu’il a à raconter, ses souvenirs sur la ville, son ancienne passion pour le cinéma, et tenter de la raviver.
«Album Cinémathèque de Tanger» de Omar Berrada et Yto Barrada, LDC Editions, 340 p., 350 DH.
