Culture
« La valeur du patrimoine architectural de Casablanca est aujourd’hui reconnue par tous »
Dix ans après la première édition des Journées du patrimoine, l’événement suscite un engouement plein d’enseignement. Amine Boushaba, vice-président de Casamémoire et commissaire des Journées du patrimoine, nous en fait le bilan.
Dix ans après la première édition, quel bilan faites-vous des Journées du patrimoine ?
C’est une date anniversaire bien évidemment et c’est pour nous l’occasion de faire un bilan, avec du recul, sur ces journées qu’on a initiées comme un coup de poker, à l’instar des plus grandes villes du monde. La première édition a été très timide. Nous n’étions pas sûrs de l’impact qu’elle aurait auprès des citoyens casablancais et des autorités. Nous avions ouvert quelques bâtiments, dont la villa des Arts, la wilaya, Bank Al-Maghrib… Le résultat fut incroyable, puisqu’on a reçu quelque trois mille cinq cent visiteurs en une demi-journée. Les vingt guides employés ont vite été débordés. Donc, l’année suivante, on s’est ajusté à la demande. Et depuis ça n’a cessé d’évoluer.
Avez-vous palpé chez les Casablancais un aiguisement des sensibilités face au patrimoine de leur ville ?
Il y a le constat clair aujourd’hui que la valeur du patrimoine architectural de Casablanca est reconnue par tous. Il suffit de noter la multitude des groupes de défenseurs du patrimoine sur les réseaux sociaux. Les autorités et les professionnels sont également sensibles à la question. Je pense que sur ce plan, nous avons réussi à changer les mentalités. Je rappelle qu’au début de la mission de Casamémoire, on était traités de passéistes ou de défenseurs de patrimoine colonial. Pour la plupart, le vrai patrimoine c’était l’ancienne Médina de Fès ou de Marrakech. La notion de patrimoine récent n’existait même pas. Aujourd’hui la conscience est là. Après, est-ce qu’on fait tout pour le protéger et le restaurer ? C’est une autre question…
Vous avez une journée dédiée aux enfants. Qu’en est-il de la sensibilisation tout au long de l’année ?
Cette journée est particulièrement importante pour nous. Un enfant fier de sa ville et qui porte sur elle un regard nouveau est un citoyen modèle qui l’aimera et la servira une fois adulte. Les enfants sont les meilleurs ambassadeurs des journées, puisque chaque enfant qui a participé à la journée revient l’année d’après avec sa famille. Après, tout au long de l’année, les visites scolaires sont ouvertes. Nous sommes en train de développer avec l’Académie de Casablanca la possibilité de créer des laboratoires dans plusieurs écoles avec des ateliers de familiarisation avec les différents types d’architecture pour expliquer ce que c’est que l’art déco, le baroque, etc. Cela prend un peu de temps, ce n’est pas encore sur le terrain, mais c’est l’un des projets de Casamémoire.
Quid de l’inscription du centre Art déco de Casablanca au patrimoine matériel de l’UNESCO ?
Ce sont en général des choses qui prennent beaucoup de temps. Cela dépend d’un circuit onusien à la fois lourd et complexe. Casamémoire a réalisé le dossier technique pour le gouvernement marocain. Ça nous a pris beaucoup de temps et a mobilisé beaucoup de compétences et de ressources. Aujourd’hui, c’est le gouvernement qui doit porter, suivre le dossier et faire des rappels de temps en temps, pour le remettre sur la table. En attendant, Casablanca continue à perdre son patrimoine. On fait face à un lobby immobilier qui trouve toujours des canaux pour détourner les interdictions de démolition…
Que pensez-vous de la privatisation des monuments et de leur utilisation pour des fonctions autres que culturelles ?
C’est une excellente initiative. Casablanca est une ville pleine d’énergie et ses monuments doivent continuer à vivre, que ça soit transformé en banque, en entreprise, en restaurant. Nous ne cherchons ni à muséifier la ville, ni à la figer dans des lieux strictement culturels. Donc toute initiative pour sauver et restaurer le patrimoine est la bienvenue. Evidemment, les lieux cultes de la ville doivent rester culturels, comme les anciens Abattoirs, par exemple, avec idéalement un projet générateur de revenus au cœur même du lieu. Mais pour le reste des bâtiments, tant qu’ils sont restaurés et ré-ouverts, c’est parfait. Pour cela, il faut se pencher sur le projet de défiscalisation qui encouragerait le mécénat, mais aussi un soutien direct de la ville pour que ces lieux soient réhabilités et mis en valeur.