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Culture

La chanson des vieux agents

Hicham Lasri passe un superbe mois ! Son film a été retenu à  Cannes (lire l’interview) et sa dernière Å“uvre écrite, «Une certaine idée de Charles Bronson», vient de remporter le Premier prix de la nouvelle noire, organisé par l’Institut français. Voici notre critique de ce texte qui dit poétiquement les désillusions.

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La chanson des vieux agents 2013 06 05

Nous sommes dans une ville bruyante, puante. Les bidonvilles y fleurissent. Les chats y sont borgnes et les gens voûtés. Depuis peu, un tramway traverse cette cour des miracles. Un serpent rouge et sifflant, comme «une balle qui fend un corps meurtri». Daoud y traîne sa vieille carcasse de flic, sa mobylette rouillée et ses pensées «gélatineuses». Florilège : «Pourquoi les crottes de pigeons sont noires sur les voitures blanches et blanches sur les voitures noires ?» Variante autour du thème des volatiles : «Comment Donald Duck peut-il avoir des neveux s’il n’a pas de frère ni de sœur ?»

On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a : certains enlacent des femmes fardées et fanées, d’autres, pour se consoler, embrassent des bouteilles. Daoud, lui, s’accroche à sa playlist d’idées aléatoires pour oublier un quotidien sordide, une vie décevante qui, bientôt, s’achève. Au fil des pages, des courts et des longs-métrages, Hicham Lasri fignole son style, échafaude son univers. Dans Une certaine idée de Charles Bronson, on retrouve l’esthétique chère au réalisateur et écrivain, les décors sinistres et sombres que transperce un faisceau de poésie, les personnages disloqués, les ombres écorchées, rasant les murs de peur qu’on ne les écorche encore. Lasri aime les anti-héros, les déglingués de la terre. Sirupeuse, presque insipide, la mélodie du bonheur l’ennuie, il lui préfère la symphonie des vieillards aux souffles accablés, sifflant des poumons dans les salles d’attente des hôpitaux. Les gens, ici, sont si flasques, si anéantis, si peu vivants, qu’ils «tartinent les sièges» quand ils s’assoient.

Hicham Lasri, conteur des désillusions

Le tragique destin de l’Homme est une inépuisable source d’inspiration, on le sait. «Et quand il croit serrer son bonheur, il le broie, sa vie est un étrange et douloureux divorce», écrivait Aragon et chantait Barbara. «Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots», déclamait Musset. «La réalité est disgracieuse», acquiesce Hicham Lasri dans une langue simple, qui n’a pas besoin de fioritures pour être belle. «Daoud roule sa boule de disgrâce chaque jour que Dieu fait depuis vingt-cinq ans dans le service de la police de proximité de Casablanca».

«Pourquoi chercher un bonheur fugace quand on a la stabilité du malheur ?», se répète ce bon à rien, ce mauvais en tout. Ce succédané de héros, cette pâle copie qui, jeune, s’imaginait en Charles Bronson marocain, en viril et mystérieux joueur d’harmonica, tombeur de femmes aux longues jambes et broyeur de méchants. Vieux, ce flicaillon de proximité est rattrapé par la platitude de son quotidien. Il sait qu’il n’y aura jamais ni course poursuite, ni femmes fatales, ni mâles fusillades. Seulement un soupir d’ennui, un râle d’agonie, une solitude implacable, jusqu’à ce que la mort les sépare.