Culture
Jazz in Riad : la note bleue décline ses plus belles couleurs à Fès
La VIe édition était accessible au grand public et le festival labellisé DjangodOr.
David Reinhardt en ouverture et Rhoda Scott pour la clôture.
Expositions de peinture, conférences et musique au menu.

La VIe édition du Festival du jazz in riad de Fès sonne comme un best-off réunissant des artistes capables à la fois d’attirer des foules et d’autres que le public s’est fait une joie de découvrir. Un joyeux bouquet rythmé, des relectures parfois brutales, d’autres fois oniriques des grands répertoires de jazz. De l’innovation aussi pour ne pas dire surtout. Car la note bleue lors de ce festival s’est déclinée en plusieurs couleurs… aux couleurs de la Méditerranée, s’inscrivant ainsi dans la diversité.
L’ouverture, le point de départ, le fin du fin, a été l’œuvre de David Reinhardt. Lorsqu’on porte un nom aussi prestigieux, on ne peut passer inaperçu. Le petit-fils de Django Reinhardt (maître incontesté du jazz manouche) a largement mérité sa place inaugurale au sein du festival. Quoi de plus normal pour ce jeune prodige qui a commencé à gratter la guitare à l’âge de 6 ans en accompagnant son père, le célèbre Babik ? Mais le jazz exige des ressources toujours fraîches et David l’a bien compris. Le digne héritier des Reinhardt ne s’est pas contenté de jouer les grands répertoires manouche, mais a aussi creusé cette musique extraordinairement riche. Le jeu de David Reinhardt a été le début d’une série d’heureuses surprises. On a vu arriver Olivier Tamim (artiste d’origine marocaine), soufflant amoureusement son saxophone. Son entrée sur scène n’a pas été sans effet. Il a rapidement galvanisé le public par sa magnifique prestation. Des sonorités sans fard, presque crues, qui donnent à l’auditeur la sensation d’être au plus près de l’artiste et de son instrument. Autour de ces perles de grandes découvertes. La chanteuse Tangora, sa robe colorée et sa voix cristalline et très fine, a ravi par sa musique très rythmée, saccadée qui croise des thématiques aussi variées que la tolérance, l’amour, le partage, la liberté, la joie… Son jazz est métissé comme son groupe. Sa musique laisse couler un instinct de jouissance qui met à flot et à fleur de peau les émotions. Le jazz nous prouve encore une fois que tout est possible. Que c’est dans le mélange que la musique évolue. Le jazz, «c’est d’abord une attitude, une manière de vivre», insistait le musicien, compositeur et journaliste, Jean-Michel Proust, lors de la conférence qu’il a tenue dimanche 11 octobre en début de matinée. Le jazz, c’est cette source inépuisable de recompositions, d’interprétations mais aussi et surtout d’improvisation. «L’improvisation, ça s’enseigne, ça a ses codes et ses limites et c’est dans les limites qu’elle trouve toute son expression», souligne le conférencier.
Le Festival jazz in riad porte bien son nom. Les douces soirées de ce mois d’octobre ont été largement imprégnées par les lieux qui les ont abritées. A Fès, on a rendu hommage aux grands jazzmen. Django Reinhardt, dont nous fêterons en 2010 le centenaire, était à l’honneur à Fès. Le jazz n’a jamais admis les frontières. Il voyage tout le temps. De ces voyages, on retiendra le nom de Don Billiez, un jazzman catalan. Le leader du groupe et compositeur était accompagné d’une voix exceptionnelle, celle de Aatef (chanteur lyrique, franco-tunisien). Avec ces virtuoses, on aurait pu craindre une surenchère de notes savantes, d’une musique réservée aux initiés, d’effets éclatants… Il n’en fut rien. Leur musique était simplement marquée du sceau de l’émotion.
La musique de Don Billiez glissait avec bonheur, sortait de son vaporeux costume blanc ou peut-être de son chapeau. On ne sait pas vraiment ! Tout son corps est imprégné de musique. Un magicien des notes. L’artiste se concentrait sur deux éléments tout au long du concert, son instrument et le public. Un public qu’il n’a pas quitté un seul instant et qu’il a accompagné dans une magnifique ascension.
Les DjangodOr à Fès en 2011
Parmi les autres nouveautés qui ont marqué cette sixième édition, une volonté délibérée d’ouverture. Les organisateurs ont souhaité ouvrir le festival au grand public, sortir des endroits clos. Au menu donc, des concerts pas chers (entre 50 et 100 DH) et des gratuits à Bab Boujeloud. Les portes se sont ouvertes, on a osé démystifier les jardins d’El Batha. L’homme à qui l’on doit ce changement s’appelle Jean-Claude Cintas, le nouveau directeur artistique du festival. Il a sorti le jazz des riads tout en conservant l’esprit des jardins et la majesté des lieux.
Sous l’immense bras du chêne quatre fois centenaire des jardins andalous d’El Batha, un vent d’audace a soufflé. Sous ses airs de flamenco, Kader Fahem a porté l’hispano jazz dans une dimension nouvelle. Des arpèges à couper le souffle entre influences américaines et résonances africaines ont ravivé les couleurs des plus belles partitions musicales…
Côté public, une autre nouveauté. De beaux mélanges. Parmi les spectateurs présents à ce festival, beaucoup de Marocains. En l’espace de trois jours, Fès a sonné sous différents accents. Le jazz s’installe doucement dans la vie des Marocains. Les passionnés du swing étaient là et ils étaient nombreux. Cette musique n’a jamais cessé de voyager, elle s’accommode de tout, épouse les lieux, se renouvelle… Mais n’oublie pas ses racines. L’année prochaine et pour la première fois, auront lieu en Afrique, à Ouagadougou (Burkina Faso), les DjangodOr. Et l’année suivante, c’est à la ville de Fès que revient cet honneur. L’annonce a été faite officiellement par Mohamed Kabbaj, président de l’Association esprit de Fès, organisateur de l’événement. Pour cette VIe édition, le Festival du jazz in riad de Fès a été labellisé «DjangodOr, Trophées internationaux de jazz». Une belle distinction qui fait accéder le festival au statut des grands événements de jazz au monde. Inutile de préciser qu’on attend avec impatience la prochaine édition.
