Culture
Haoussa : punk is not dead
Il y a quelques semaines, Haoussa dévoilait son premier album éponyme. Un mélange détonant de styles musicaux pour un groupe à l’identité musicale unique ; portrait du phénomène.

Vous vous souvenez des crêtes roses ? Des vestes en cuir ? Des jeans cloutés ? Des pin’s sur chemise moulante ? Vous souvenez-vous des années 70 et des débuts de l’histoire du punk ? De la révolte dans les rues de Londres ? The Doors, Ramones, AC/DC ? Si comme moi, le triste sort a fait que vous n’ayez été témoins que de la naissance de Justin Bieber, et que vous avez des posters de Pink Floyd sur les murs de votre chambre d’ados, c’est que vous la connaissez, cette légère et amère frustration de ne pas avoir connu, vécu, ces belles années que nous envions à nos aînés. Et si vous les avez vécus (veinards !), j’imagine que vous en êtes un brin nostalgiques. Mais trêve de défaitisme mélancolique, parlons d’espoir. Car non, le punk n’est pas mort. Tant qu’on a de l’énergie, de la révolte, et un public, le punk aura de beaux jours devant lui. Et des ingrédients pareils, la scène musicale marocaine en regorge ! Vous avez déjà entendu parler d’Haoussa ?
C’est dans l’ambiance enfumée, intimiste et grungy du Brock, que je rencontre Ali, le bassiste du groupe. Un gars baraqué, chaussettes rayées de toutes les couleurs, sous bermuda gris, et espadrilles de plage. Un drôle de personnage, me dis-je ! Puis, je croise une perruque orange sur la tête de Khalid, le chanteur. Le groupe s’apprête à monter sur scène devant un public venu spécialement pour les applaudir. «Avant, je ne les connaissais que de nom, j’ignorais tout de la musique du groupe, et depuis l’un de leur concerts, je suis devenu un fan inconditionnel. Pourquoi ? Leur originalité, leur jeu sur scène. Grâce à eux, j’ai foi en la scène artistique marocaine, et foi en l’existence d’un mouvement punk marocain», me confie Ahmed, en m’explosant les tympans ! Mais au-delà du punk, ce qui caractérise leur musique c’est tout d’abord… Eux ! Cinq garçons, cinq personnalités, cinq styles totalement différents, avec comme points communs : la musique, et, avouons-le, un brin de folie furieuse ! Et pour n’en froisser aucun, atteindre l’osmose parfaite et surfer sur la vague de leurs références musicales, ils ont choisi d’évoluer sur une musique expérimentale. Alors, ils se sont éclipsés quelque temps, dans l’ombre et les contraintes (ou dans un laboratoire de savant fou !) pour expérimenter à leur guise et sans fin les mélodies et les genres, et voilà qu’ils nous offrent leur opus, un album éponyme qui déchire ! De leurs expérimentations, on découvre des influences venus des quatre coins du monde et aussi, des quatre coins du Maroc. «L’appellation la plus exacte de notre style est la musique alternative. Ou mieux, c’est simplement la musique Haoussa !», semblent dire en chœur les cinq mousquetaires ! Rock, issawa, rap, reggae, qu’importent les barrières de style, l’identité du groupe s’aiguise au gré du temps et gagne en maturité. Quand j’ose poser la question des influences musicales, j’ai droit à une avalanche de réponse complètement déroutante : Led Zeppelin, Nass El Ghiwane, Busta Rythmes, Bob Marley, Jimmy Hendrix, Fatna Bent Lhoucine, Rage Against The Machine, Prodigy, Rouicha, Ray Charles, Jil Jilala,… Et je n’ai même pas le temps de tout noter qu’ils sont déjà partis dans un délire qui finit par un fou rire général !
L’histoire du groupe, Khalid, le chanteur nous la raconte : «Haoussa est avant tout l’histoire d’une amitié entre Nadir et moi qui a grandi au fil du temps. Après presque deux ans, on a décidé de postuler pour L’Boulvard des jeunes musiciens, édition 2002. Et c’est là que le groupe a commencé à prendre forme surtout après avoir remporté le prix de meilleur groupe de fusion, cette année-là». Depuis, le groupe a été littéralement adopté par le public marocain, amateur d’autant de spontanéité démente ! A en faire flipper plus d’un ! Des perruques colorées, des tenues de gladiateur, des déguisements extravagants… Pour un véritable show sur scène ! S’ils théâtralisent autant leur prestation, c’est que cela fait partie intégrante de leur identité : «Sur scène, Haoussa devient scénique ! Et c’est comme ça qu’on vit cet instant de partage avec le public, qui n’est pas uniquement là pour nous écouter, mais aussi pour nous voir !», explique Khalid. Un jeu de scène donc travaillé à l’arraché, avec les moyens du bord, et sans aucune prétention. D’ailleurs, c’est pile ce qu’on adore : un côté extravagant, burlesque, délicieusement disjoncté, sur une musique et des textes engagés. «On ne veut pas que les gens fassent l’impasse sur les paroles et ne se focalisent que sur la musique ou le contraire ! Les deux se complètent. Pour ce qui est du message, on veut attirer les gens sur les fléaux qui nous déchirent et aux problèmes qu’on peut rencontrer dans notre vie de citoyen, d’être humain et de Marocain. On aime aussi chanter l’amour, la joie et la folie !»
Si vous faites partie de ceux qui reprochent aux artistes marocains de ne pas suffisamment innover dans le style, je suis prête à parier avec vous, pour tout l’or du monde (ou mes deux solitaires vinyles des Doors !), que l’album d’Haoussa vous fera changer d’avis
