Culture
Gnaoua, tout ce que vous devrez faire pour ne pas passer inaperçu…
Le temps du?Festival Gnaoua et Musiques du monde est celui où l’on se met à distance.?Celui des ruptures avec les contraintes quotidiennes, les conduites habituelles et les usages «normés».

Aquoi reconnaît-on un accro au Festival gnaoua ? A la fièvre qui s’empare de lui à l’approche du rendez-vous. Il passe et repasse en boucle Mahmoud Guinéa, Hamid el Kasri ou Abdelkébir Marchane, ne parle que des maâlem, compare avec ses amis leurs mérites et rêve des jouissances qui l’attendent. En somme, il perd la boule.
Avec raison. Car, pour être dans la note gnaouie, il faut, au préalable, avoir laissé sa «normalité» aux vestiaires. A Gnaoua, les gens se conduisent bizarrement. A titre d’exemple, ils passent le plus clair de leur temps à marcher pour aller nulle part, en foule, dans le même périmètre.
A Gnaoua, les gens passent leur temps à marcher pour aller nulle part
Quand ils ne marchent pas, les visiteurs courent après les accréditations, les badges, les invitations aux concerts acoustiques ou aux soirées offertes par les partenaires. On en voit qui brandissent trois ou quatre sauf-conduits, juste pour le plaisir d’en remontrer aux autres. A Gnaoua, l’esbroufe est un exercice répandu.
Pour ne pas être en reste, il ne faut pas hésiter à se vanter d’avoir eu accès, la veille, à une lila animée par tel ou tel maâlem. Comme les interlocuteurs savent pertinemment que cette prouesse est impossible au pékin, ils regarderont d’un autre œil celui qui l’a accomplie. Et si, par hasard, une de vos connaissances vous fait remarquer que vous étiez absent lors d’une réception, tout simplement parce qu’on n’a pas cru bon de vous y convier, faites le blasé : «Tu sais, toutes ces mondanités m’écœurent.
J’ai préféré allez manger sur le port.» Sinon, vous serez considéré comme un moins que rien.
Pour ne pas détonner dans le paysage, mieux vaut ranger momentanément ses sages effets vestimentaires au magasin des vieux accessoires et s’en offrir de plus appropriés à l’esprit gnaoui. Sur ce plan, la fantaisie est de mise, l’excentricité érigée en règle. Et c’est dans des tenues improbables que les festivaliers s’installent aux terrasses des cafés bordant l’allée Abdellah Ben Yassine, pour prendre leur petit-déjeuner. Tard dans la matinée. Ils ont la tête embuée par les vapeurs enivrantes d’une lila carabinée.
A Gnaoua, les nuits sont blanches, les journées très courtes. On les meuble en s’adonnant aux plaisirs de voir et d’être vu. Pour ce faire, l’hôtel Sofitel est une étape obligée. On ne peut y entrer sans montrer patte blanche mais on ruse, on supplie et on use de stratagèmes pour y parvenir. On n’y rencontre ni people, au sens médiatique, ni footeux ni starlettes. En revanche, une bonne part du gratin de la politique, de la finance et de la communication y a ses habitudes pendant le festival.
Au Sofitel, André Azoulay prend ses quartiers du matin. Il accorde des entretiens à la presse, règle les détails avec ses collaborateurs, s’inquiète de tout. Sans jouer à la vedette, il possède de nombreux admirateurs qui se déplacent pour lui serrer la main et s’en retournent contents.
Une petite taverne miteuse où il faut se montrer
Au jeu des amabilités, nos ministres font étonnamment encore plus fort. Ils donnent volontiers accolades et embrassades à des gens qu’en temps normal ils ne daigneraient même pas regarder. En tee-shirt et jean ou short, ce qui ajoute du piquant à la chose.
Quand on tient à ne pas passer inaperçu, il est indispensable de se montrer au Taros. Cette magnifique brasserie est l’adresse la plus lancée d’Essaouira, depuis qu’un Breton du nom d’Alain Kerrien a converti une vétuste demeure en lieu chic. Dès midi, les festivaliers commencent à affluer. Une heure plus tard, pas moyen de trouver un tabouret vacant, et il faut jouer des coudes pour se faire servir.
On y vient pour se rafraîchir, écouter de la musique, reconnaître des visages célèbres et pouvoir prouver qu’on a bel et bien été à Essaouira. Certains habitués peu pressés de se mêler à la foule profitent de la terrasse pour suivre le concert donné sur la place Moulay Hassan.
Mais si le Taros fait un tabac, depuis deux ans, un autre lieu casse la baraque. Il a la particularité de ne pas afficher d’enseigne. Les Souiris l’appellent «al hofra» (trou) ou «le café des pêcheurs». On n’y sert pas de café, et les pêcheurs, après une nuit au large, viennent s’y rincer la dalle jusqu’à plus soif. L’endroit n’est pas sans évoquer l’Assommoir d’Emile Zola.
Il est fréquenté par des boit-sans-soif qui éclusent leur mauvais pinard dans un vacarme assourdissant. Il a fallu que trois journalistes la découvrent pour que cette taverne soit systématiquement prise d’assaut, lors de Gnaoua et Musiques du monde, par des artistes, des journalistes, des bohémiens et des bourges qui viennent s’y encanailler. Quand nous vous disions qu’à Gnaoua les gens ne sont pas normaux !
Reste que tout cela n’est que littérature, reste que l’essentiel, c’est la musique. A Gnaoua et Musiques du monde, elle est si envoûtante qu’elle fait perdre la raisonn.
