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Culture

Fouad Bellamine… L’homme qui peint pour tenir debout

L’Atelier 21 s’apprête à dévoiler l’exposition «Fragments d’une déchirure», de l’artiste peintre Fouad Bellamine. L’exposition est un travail de sublimation d’une œuvre tourmentée, produite il y a vingt-cinq ans.

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Fouad Bellamine

Qui de nous n’a jamais déterré les histoires du passé, découvert les vieilles blessures pour poser sur elles un regard de mélancolie ou un jugement à froid ? De ces cicatrices, on sort souvent de grands enseignements, pour peu que le bon sens réponde à l’appel. Mais lorsqu’on se nomme Fouad Bellamine, lorsque la créativité hante tous les aspects de son existence, y compris ses malheurs et tourments, l’on met à nu une œuvre artistique belle jusque dans ses lacérations. C’est le propos de cette exposition annoncée par l’Atelier 21 et qui sera publique dès le 3 décembre. Dans cet acte de sublimation d’une douleur personnelle, Fouad Bellamine «peint pour tenir debout», comme le dit l’écrivain Kébir Ammi, dont le texte accompagne, par le mot, les maux assourdissants de l’artiste.

Une œuvre béante

Il n’est dit nulle part que l’on doive souffrir pour créer. Mais la souffrance est assurément créatrice, chez tout artiste véritable et authentique. C’est en 1994 qu’un épisode douloureux s’abattit sur la vie de Fouad Bellamine, l’amenant à se saisir d’un cutter et à taillader une grande peinture, comme on se mutile la peau pour expulser sa furie. Et comme on se débarrasse rarement de ses peines, Fouad Bellamine avait enroulé la peinture et l’avait conservée, tout ce temps-là, dans un coin caché de l’appartement où il vivait, rue du Caire à Rabat.

D’un vernissage à l’autre, de succès en consécration, l’artiste s’est laissé prendre par la vie, retardant ce retour inéluctable sur la scène du crime, dont il a été coupable et victime. Un quart de siècle a été nécessaire pour que Fouad Bellamine regarde son œuvre et son saccage en face. Et dans un élan de guérison, il découpa les parties intactes et les isola séparément dans une série qu’il intitula littéralement «Fragments d’une déchirure». Mais loin de s’en satisfaire, il lui fallait reconstruire après la destruction. Il se mit alors à peindre un ensemble d’œuvres, pour affermir sa régénération. «Il lacère de nouveau et fragmente la toile en plusieurs pièces. Il lacère jusqu’à ne plus reconnaître ce qui fut, jusqu’à lui donner un autre visage, d’autres formes, à l’image de l’homme –et du peintre– qu’il est devenu à l’ombre de cette blessure, secrète et souterraine.

Ce travail mémoriel est à la fois exaltant et douloureux. Car ni l’homme ni le peintre ne sont plus ce qu’ils furent. Mais si les démons continuent de le tarauder, aujourd’hui comme il y a vingt-cinq ans, le résultat est époustouflant», commentera Kébir Ammi.

Mémoire d’un parcours

Dans son entretien avec l’auteur Latifa Serghini, pour la préface de l’expo, Bellamine commente : «C’est une renaissance, une résurrection dont il est question. C’est un cadavre, un cercueil auquel je redonne vie, à une période de maturité de mon travail, où j’interpelle les moments de mon parcours pictural, qu’ils soient minimalistes ou expressionnistes. Ce sont en réalité des fragments de peinture». En effet, Fouad Bellamine traverse dans l’actuelle exposition toutes les étapes de son parcours artistique. Et c’est d’une figure majeure de la peinture moderne dans le monde arabe et bien au-delà que l’on parle.
Né en 1950, à Fès, Fouad Bellamine a déménagé pour Casablanca, au terme de ses études secondaires, pour rejoindre l’Ecole des Arts Appliqués de Casablanca. C’est à la galerie La Découverte à Rabat qu’il expose pour la première fois en 1972, avant d’intégrer l’enseignement en qualité de professeur d’arts plastiques. Mais ne pouvant s’en suffire, il s’envole pour Paris, afin de poursuivre sa formation, par un diplôme d’études appliquées en histoire et théorie de l’art à l’Université de la Sorbonne.

Passionné par l’art et l’évolution de ses écoles en Occident, il s’imprègne des nouvelles tendances, s’essaie avec succès aux techniques et performances. Considéré comme l’un des premiers installationnistes marocains, Bellamine s’affirme comme une figure de proue de l’Art dans la région. Sa première exposition à Paris en 1980 est saluée par les critiques d’art, l’amenant à s’y installer pendant une dizaine d’années. Cette période est riche d’une création multiforme, avec des parallélépipèdes, des niches, des arches et des voûtes, dont les ombres émergent dans les «Fragments d’une déchirure».