Culture
FIFM : une édition sous le signe de la diversité
Le Festival international du film de Marrakech a démarré en grande pompe vendredi 28 novembre. Durant dix jours, le public a eu un large choix de films et de rencontres avec des stars du septième art. La diversité est assurément le maître-mot de la 18e édition.
Zineb, Doha et Mamoun font la file à l’entrée du public au Palais des congrès. Si le programme est chargé et le choix frustrant, l’excitation est à son comble pour ces étudiants de l’école de cinéma marrakchie, qui leur donne accès à deux projections par jour, contre un débriefing matinal avec un encadrant. Avec des dizaines de leurs camarades, ils s’appliquent à regarder des films de la compétition officielle, des séances de gala, ou assister à des conversations avec des maîtres incontestés du septième art.
La magie du Festival international du film de Marrakech opère également sur un public hétéroclite qui se rue sur la programmation profuse de la 18e édition, que ce soit pour découvrir une sélection de films émergents en compétition, très difficilement accessibles en dehors du festival, ou pour voir en avant-première des films marocains de qualité. Mais le festival permet également d’accéder à des films du monde parcourant les plus grands festivals et réalisant des scores énormes d’entrées en Amérique ou en Europe, mis à part le «Irishman de Martin Scorsese. C’est drôle de le voir au cinéma alors qu’il ne sortira pas en salle», plaisante Mehdi, un étudiant de la filière réalisation de l’ESAV.
Pour départager les films en compétition, le FIFM a fait appel comme chaque année à un jury de prestige. Présidé par la Britannique Tilda Swinton, ledit jury s’est exprimé sur ses attentes quant à la sélection de la 18e édition.
Un jury pour la diversité
L’actrice franco-italienne Chiara Mastroianni a avoué «garder son regard de petite fille, naïve lorsqu’elle découvre une œuvre». A ce propos, le réalisateur australien David Michôd a dit avoir bien aimé retrouver la candeur de son enfance, lorsqu’il s’intéressait uniquement à l’histoire d’un film. Maintenant, une sorte de «déformation professionnelle» l’oblige à veiller à l’harmonie entre tous les métiers artistiques qui s’articulent pour faire un film.
De son côté le réalisateur brésilien Kleber Mendoça Filho a confié être plus sensible à «un cinéma qui écoute, aux artistes qui dérangent», tout en déplorant les attaques contre les artistes dans son pays.
Sur la question très attendue de l’approche genre dans le cinéma, la scénariste et réalisatrice française Rebecca Zlotowskia a raillé ce «fantasme» de grand remplacement, en assurant que le regard des femmes ne va pas effacer celui des hommes. Mais que le cinéma s’enrichira des films de réalisatrices.
Sur un autre registre, le réalisateur marocain Ali Essafi a salué la décision du FIFM de représenter le film documentaire dans son jury, ce qui pour lui est un signe de maturité et une aubaine pour le festival.
Toutes ces questions ne pouvaient qu’interpeller la présidente du jury, qui a prié l’assistance de la conférence de presse inaugurale de laisser tomber les barrières avant de commencer la compétition. «Durant cette semaine, ne parlons plus de différence ni d’adversité, oublions les différences d’origine ou de genre cinématographique. Regardons les films librement et sans préjugés»…
Les coulisses d’une carrière…
Parmi les rendez-vous les plus prisés du festival, les «Conversations with» attirent toujours du monde. Les premières rencontres ont levé le voile sur les faces cachées des artistes invités, ainsi que sur les coulisses de leurs carrières. Samedi 30 novembre, c’est l’actrice française Marion Cotillard qui a inauguré la série des entretiens. Plusieurs fois distinguée par les prix les plus prestigieux de la première actrice (César, Oscar, BAFTA, Golden Globe), Marion Cotillard a collaboré avec les plus grands réalisateurs : Tim Burton, Woody Allen, Ridley Scott, Christopher Nolan, Jacques Audiard, les frères Dardenne, Xavier Dolan, pour ne citer qu’eux. Sa filmographie est un palmarès de grands succès internationaux. Et pourtant, l’on découvre une comédienne très sensible, toujours en prise avec ses doutes et son besoin de reconnaissance. Bien qu’ayant dépassé ce qui s’apparente au syndrome de l’imposteur, elle continue de “dealer“ avec un trac permanent et un questionnement automatique concernant sa légitimité à interpréter un rôle.
Sans trop miser sur son talent incontestable, Marion Cotillard bosse beaucoup. «J’aime le travail de préparation. C’est ce qui me permet de faire des choses singulières ou surprenantes. Si j’interprète un personnage qui existe, je vais beaucoup lire, interroger des gens à son sujet. S’il s’agit par contre d’inventer un personnage fictif, il m’arrive d’écrire des dizaines de pages pour lui donner de la chair et de l’âme. C’est vraiment indispensable pour moi. Si je ne travaille pas, je suis très mauvaise !».
L’actrice française s’est ensuite attardée sur chacun de ses grands films, pour en livrer des anecdotes, des coulisses. A commencer par «La môme» qui a complètement chamboulé sa vie et sa carrière. «Je ne suis pas ce qu’on appelle a method actor, où l’on est totalement en immersion dans le rôle, même dans la vie réelle. Mais pour “La môme’’, j’avais le crâne et les sourcils rasés. Même quand je coupais, je n’étais plus moi-même. Sans aller jusqu’à rêver des personnages que l’on incarne, on partage un bout de sa nuit avec». L’actrice a également parlé du tournage d’«Inception», dont elle avoue n’avoir pas tout compris, tout comme Léonardo Dicaprio qui l’a beaucoup aidée à réussir ce rôle. Mais son stress fut à son comble durant tout le tournage de «Macbeth» où elle sentait avoir pris sa place à une actrice anglaise, tant c’était laborieux pour elle de maîtriser le vieil accent anglais du film.
La conversation avec Harvey Keitel était nettement plus relâchée et bon enfant. Ce géant du cinéma américain a rappelé qu’il n’y avait pas de petits rôles ou de petits acteurs. «Le secret reste l’authenticité, le travail et la liberté du choix». S’il avoue avoir commencé le cinéma pour gagner de l’argent, Keitel a découvert des années plus tard qu’il était habité par le cinéma et le métier d’acteur. Il a ensuite enchaîné avec ses nombreuses expériences avec son ami d’antan Martin Scorsese, dont la dernière dans le fameux «The Irishman». Il a parlé de son amitié de toujours avec Robert De Niro avec qui il a partagé l’affiche de «Taxi Driver», pour jouer le rôle du cruel maquereau à sa demande personnelle. Il a également évoqué son rôle de Judas dans «La passion du Christ», face au géant Willem Dafoe. Et comme le réalisateur français Bertrand Tavernier était dans la salle, Harvey Keitel a rendu hommage à leur expérience commune dans «Mort en direct», tourné en 1980.
D’engagement et de résistance
Lors du panel réunissant l’actrice tunisienne Hend Sabri et sa consœur iranienne Golshifteh Farahani, une anecdote amusante a été relevée. Si les deux comédiennes ont tourné leurs premiers films à l’âge de 14 ans, c’était voulu par l’une et imposé à l’autre. «Mon père, lui-même acteur, était contre le fait que je fasse du cinéma. Il voulait que je me prédestine à la musique. Le réalisateur du premier film que j’ai fait était passé par ma sœur. Mon père m’avait boudée pendant deux mois», confie Golshifteh, contrairement à Hend qui déclare: «Ce sont mes parents qui ont voulu que je fasse du cinéma. Moi, je voulais devenir diplomate, j’ignorais même avoir la fibre artistique. Je n’étais pas le premier choix du casting, mais je l’ai fait quand même, sans ambition de continuer».
C’est d’engagement et de résistance qu’il s’est agi durant la rencontre avec les deux comédiennes Hend Sabri et Golshifteh Farahani. Leur intervieweur, le producteur français Jean-Luc Ormières, a relevé cette force qui caractérise la majorité des personnages incarnés par les deux femmes. «C’est drôle quand je regarde ma filmographie, je me demande souvent pourquoi je suis toujours dans la lutte et la tristesse. J’adorerais jouer des rôles de femme objet, superficielle et gaie, qui fait du shopping à Saint-Germain-des-Prés. Mais à chaque fois qu’il y a de la boue et de la misère, on m’appelle et moi j’y cours», plaisante la comédienne iranienne, avant de reprendre plus sérieusement : «Mais il suffit que je regarde ma mère, ma grand-mère et les femmes qui ne sont pas des individus libres de la société, qui portent le poids de l’honneur et de la culpabilité, pour comprendre que ça vient de loin. Et j’espère un jour me défaire de cette malédiction, pour ne pas la transmettre à ma fille, aux générations futures».
La Tunisienne, quant à elle, n’a jamais pris cela comme un devoir ou un fardeau de parler des femmes. «C’est toujours intéressant et très libérateur pour moi que toutes ces femmes orientales se retrouvent dans les personnages que j’incarne. Je déplore par contre un manque de diversité dans la représentation de la femme orientale».
Aujourd’hui qu’on parle de quota et de discrimination positive dans le cinéma mondial, Hend Sabri s’est exprimée sur la question du siècle. «Moi, je le dis haut et fort : les quotas et la liberté ne font pas bon ménage. De plus, j’ai travaillé avec des hommes qui ont une grande sensibilité féminine et des femmes qui font des films d’hommes. Pour moi, ce n’est pas une question de sexe. Mais je suis complètement pour l’égalité à l’accès aux fonds, aux financements pour permettre aux femmes de faire des films». Son propos a été confirmé par Golshifteh Farahani qui a ajouté que «ce n’est pas un combat des femmes contre les hommes, mais un combat des femmes et des hommes contre l’ignorance»…
Au programme des conversations figurent également Bertrand Tavernier, Sergei Loznista, Elia Suleiman, Lucas Guadagnino, Roshdy Zem et Priyanka Chopra, en attendant l’arrivée de Robert Redford qui clôturera les passionnantes conversations samedi 7 décembre à midi : prenez place très tôt à la salle royale !