Culture
Fès, la cité à travers ses grandes portes
• Bab Boujloud, Bab Ftouh, Bab El Makina…, ces noms réfèrent tous à la cité millénaire de Fès, notamment sa médina…
Pour bien connaître ces portes, leur histoire et leur utilité, un ami, guide en herbe m’a proposé d’y faire un tour. Ainsi, notre balade d’une journée qui ne fut curieusement ni longue ni fatigante a débuté là où notre autocar s’est arrêté à notre arrivée à Fès. Nous marchions un peu avant de déboucher sur une imposante porte. Mon ami s’est ainsi lancé dans une explication passionnante et intéressante. «C’est Bab Boujloud ou Abi Al Jounoud comme l’appellent certains», a-t-il dit.
Bab Boujloud est l’une des plus importantes et des plus célèbres entrées à la médina de Fès. Selon les historiens, l’aspect et la forme actuels de cette porte dateraient de 1913 suite à la rénovation et la restauration ordonnées par le Maréchal Lyautey. Ce dernier avait aussi décidé d’orner la porte de mosaïque en bleu et vert, symbolisant ainsi le retour de la paix et de la stabilité à Fès, la porte donnait sur une esplanade appelée alors «Esplanade du Pacha El Baghdadi, et longeant la Kasbah d’El Oued, qui, du temps des Al Moravides, s’appelait Kasbah de «Tagararret», et plus communément appelée aujourd’hui Kasbah de Boujloud ou encore Kasbat Ennouar, où les Califes almohades et mérinides élisaient domicile avant de déménager à Fès-Jdid.
La tournée se poursuivait «et nous voici à Bab Chorfa». Datant de l’ère Alaouite, cette porte bâtie en 1069 est un rempart sur le versant Nord-Ouest, séparant la place Boujloud et Kasbat Ennouar qui s’appelait aussi Kasba Des «Filala» où habitaient les chorfas alaouites venus des Oasis de Tafilalet. Bab Chorfa est l’une des plus belles et plus imposantes portes de la ville, caractérisée surtout par sa valeur patrimoniale et monumentale, en plus de son imposant arc et ses deux tours au style Andalou.
Non loin, il nous montra une autre porte appelée «Bab El Matmar» ou porte du silo, est collée à Bab Boujloud. Bab Al Matmar n’a pas d’accès sur la médina. Située à l’entrée de la rue Al Kasbah connue aujourd’hui beaucoup plus sous le nom de Souk Bab Mahroq, cette porte, toujours fermée, donnait plutôt accès aux silos, construits par les Almoravides pour emmagasiner les céréales récoltées chaque année. Du temps du protectorat et même lors des premières années de l’indépendance, le lieu avait servi comme poste de police.
Puis, et non sans traîner des pieds, nous nous retrouvons devant une autre grande porte. Le guide nous dit alors que celle-ci a pour nom «Bab Chems» (Porte du soleil). Située près de Bab Al Kasbah, «Bab Chems» est un vestige de la kasbah construite par les Alaouites pour héberger les forces armées venues du Rif du temps du Sultan Moulay Hassan 1er. Elle est constituée de deux portes arquées dont l’une est ornée d’une mosaïque bleue et verte.
La marche et les explications de notre ami ne nous ont pas permis de nous rendre compte du chemin qu’on avait parcouru, quand soudain il dit: «Et là, on est arrivé à Bab Mahroq». Bab Al Mahroq s’appelait aussi «Bab Ach-chariaâ».
Vestiges et atrocités de l’histoire
C’est un accès incontournable à Fès-El Bali. Son bâtisseur Mohamed Annasser Al Mouahidi l’empruntait pour se rendre aux kasbahs des Chrarda et de Dhar Lakhmiss. Le nom d’Al Mahroq, lui, a été attribué au lendemain de la fameuse révolte de Oubaïd Allah Al Fatimi Al Oubaïdi qui prit fin par son arrestation et son exécution par pendaison. Puis on brûla son corps et accrocha sa tête calcinée à l’arc de la porte. Lieu d’exécution par excellence, dans le temps la porte témoigne de plusieurs scènes d’atroces exécutions d’hommes d’Etat, de juges et de oulémas dont le ministre et poète Lissane-Eddine Ibnou Al Khatib.
Au passage, notre ami nous montra «Bab El Hadid» (ou Porte de fer), qui est aussi un accès à Fès-El Bali et l’une des entrées principales du côté Sud-Est. Elle fut bâtie, avant le 20e siècle dans une zone verte constituée de rares palais de riches habitants de la ville et de vastes jardins et «jnanes», dont «Jnane Al Ouchaq», (le jardin des passionnés), très réputé dans le temps pour avoir été la scène de spectacles musicaux, notamment du melhoun et de la musique andalouse.
Aux fins fonds de la médina, le guide nous fit passer par «Bab Ziyat» ou «Bab Al Hamiyah», (porte de la réserve de Ziyat), qui donnait accès à une sorte de résidence privée réservée aux notables de la ville et de certaines hautes personnalités. L’appellation de la porte trouverait son origine, dans la période du protectorat «Al Himaya», ce qui laisse penser que la porte fut bâtie en cette période. Traversant l’un des accès principaux à la médina vers le quartier R’cif, on est passé par «Bab Jdid». Le guide nous explique alors que contrairement à ce que certains pensent, il ne s’agit pas de la porte «Zaytoune Ibn Attya» inaugurée par Abdelhaq Al Marini en 681 de l’Hégire, lors de la rénovation des murailles de Fès à partir de cette porte et jusqu’à Bab Ftouh.
Pourtant, dit alors un autre compagnon, trop porté sur l’histoire et surtout l’histoire de Fès, «en marge de la page 43 de son ouvrage “Janiy Zahrat Al Ass”, Al Jiznaii atteste qu’il s’agit bien de la porte de Zaytoune Ibn Attiya». Notre guide poursuit alors sans donner d’importance à cette remarque: «Sachez que Bab Jdid se situait au carrefour de la route descendant du quartier Ziyat mais après la couverture du «oued R’cif et le passage d’une route goudronnée menant à R’cif et Bab Sid El Aouad, une nouvelle porte, du même nom, a été ouverte non loin du lieu de l’ancienne porte». Plus loin, mais vraiment loin, on s’est arrêté à Bab Al Hamra, anciennement appelé «Bab Al jiziyine», en référence à une tribu qui avait élu domicile tout près. Située à droite en sortant de Bab Ftouh, nous explique notre compagnon. Et d’ajouter que cette porte a été fermée en 357 de l’Hégire suite à l’effondrement de sa toiture sur les gens présents aux funérailles de Dirass Ibn Ismaïl. Elle fut réouverte à la circulation, notamment des voitures, de et vers la route de Sidi Ali Boughaleb.
Quelques pas, et nous voilà à la célèbre «Bab Ftouh». Située sur le flanc sud des remparts du quartier Al Andalous, Bab Ftouh est l’une des principales portes de la médina de Fès depuis son inauguration en 859 par Foutouh Ibn Dounass. C’est par cette gigantesque porte que sortaient et entraient les bataillons qui partaient en mission à l’est, ce qui lui confère une importance historique. Bab Ftouh a connu certaines transformations du fait qu’elle était à l’origine étroite d’un côté, puis partiellement démolie en 1729. En 1798, le Sultan alaouite Moulay Slimane a rénové la porte et a construit sur le site une grande porte qu’il voulait l’égale de Bab Al Mahroq.
Quant à son appellation, Bab Ftouh (Bab Al Foutouh), la doit à son bâtisseur Foutouh (fils aîné de Dounass Ibn Hamam Al Maghraoui, mort en 1060), après que son frère «Ajissa» a pris possession du quartier Al Qaraouiyine et y a construit aussi une grande porte qui porte son nom. La rivalité entre les deux frères était alors telle qu’ils ont engagé les meilleurs maçons, architectes d’alors et artistes pour faire de ces portes de vraies œuvres d’art…
La tournée nous mena encore à «Bab El Khouka». Connue jadis sous le nom de porte de l’église, Bab El Khoukha est aussi l’une des plus célèbres portes de Fès. Tout près de Bab Ftouh, cette porte a été construite, selon les historiens, en 540 de l’Hégire du temps des Idrissides qui en ont fait une issue vers «Bilad Tlemcen». En 601 de l’Hégire, cette porte à été restaurée par le Calif Annasser Ibn Al Mansour Al Mouahidi. Son nom n’est pas inspiré par le fruit du même nom en arabe «la pêche» (Al khokha), mais c’est plutôt à une sorte de petite porte qui s’ouvrait au milieu des énormes portes bouclant un portail, pour faciliter l’accès sans ouvrir les grandes portes. Ainsi Bab El Khoukha devait faciliter la sortie des voyageurs vers Tlemcen en passant par une petite Bab Ftouh.
Et nous marchions encore jusqu’à cette porte symbole de grande rivalité entre deux frères. Nous nous sommes ainsi rendus à «Bab El Guissa», ou Bab «Ajissa», du nom du second fils de Dounass Al Magraoui et frère de Foutouh. Bâtie en 876 par Ajissa suite à sa prise de possession du quartier Al Quaraouiyine , cette porte a été placée à l’entrée de la pente dite «Aqbat Azzaâtar» menant à la place «Al Achabine», au lieu du rempart dit «Hisn Saâdoune» construit par Moulay Idriss II.
Selon l’auteur de «Raoud Al Qirtass», c’est le calife Almohade Mohamed Annasser qui aurait ordonné de changer l’appellation de la porte de «Ajissa» à «El Guissa», (Ajissa ayant assassiné son frère, d’où la porte ne pouvait porter le nom d’un assassin). En 684 de l’Hégire, Mohamed Annasser avait d’ailleurs restauré cette porte historique qui se caractérise par son style almohade et son accès en courbe et en arc en pointe.
A l’est de la médina, nous nous sommes rendus à «Bab Sidi Boujida», cette porte historique avait au début comme nom «Bab Bni Mesfer» et «Bab Abi Soufiane». Certains relient entre les deux noms relatant ainsi le fait qu’Abi Soufiane était un voyageur de la tribu de «Msafer». Une tribu arabe qui qui s’est installée sur ces lieux et tout membre de cette tribu qui venait à Fès y était reçu…
L’histoire que portent les portes
Puis nous nous retrouvions devant une porte qui a un drôle de nom. C’est «Bab Lamer», nous dit-il, relevant que cette porte a été construite, en 1276 par les Mérinides près du quartier El Mellah, place des Alaouites aujourd’hui. D’une hauteur de 7 mètres, est marquée par un style andalou en matière d’architecture, elle était voulue l’entrée principale à Fès-Jdid. En 1915, les forces coloniales avaient détruit la partie gauche de la porte pour faciliter l’accès des bataillons de ses soldats, les habitants la nommèrent alors «Bab Lamhalla» (Porte du bataillon). Le nom de «Bab Lamer» a cependant plusieurs origines.
Certains disent que «Lamer» est une dérivation de «la mort», vu qu’à l’époque la ville avait connu successivement une pandémie du typhus et une autre de la peste… On jetait alors les morts dans un fleuve en dehors de la porte. D’autres soulignent que c’est plutôt une dérivation du mot «Amour» (L’amour). D’autres relèvent que l’appellation de «Bab Lamer» est née d’une dérivation du mot arabe «Al Amr» qui signifie «Ordre». Elle est aussi dite «Bab Al-ma» (Porte de l’eau ou encore «Bab Agdal», en ce sens qu’en en sortant on débouche sur la zone d’Agdal dans la ville-nouvelle. Avec le temps, les murs du quartier El Mellah, enclavé jusqu’en 1911, comportait, en guise de désenclavement, trois issues qui sont «Bab Slouguia», «Bab Lamer», réservée depuis aux piétons et «Bab Agdal» qui est à l’origine une réalisation mérinide datant de 1276.
De Bab Lamer, direction vers «Bab Semmarine» qui est l’une des portes historiques donnant accès à Fès-Jdid. «Bab Semmarine» a été érigée par les Mérinides en 1244, cette porte était d’abord appelée «Bab ouyoune Senhaja», mais par la présence, à proximité d’un souk dédié aux maréchaux-ferrants qui s’occupaient de ferrer les pieds des chevaux et autres équidés et d’entretenir leur parage, elle prit le nom de «Bab Semmarine» Et nous marchions encore.
Cette porte a été construite selon un style architectural andalou avec des plafonds en voûte et un imposant arc en pointe suivi d’un autre arc orné et d’une bande de «cherrafat» en haut. La porte est soutenue par deux imposantes tours.
Et nous marchions encore jusqu’à «Bab Riafa» qui relève géographiquement de Fès-Jdid. Elle est située à l’entrée du passage muré bâti au 19e siècle, par Moulay Hassan 1er, pour relier Fès-Jdid à l’ancienne médina de Fès. Au début, il a servi de garnison à des soldats venus des hautes montagnes du Rif, d’où son nom «Bab Riafa».
Puis nous descendions vers «Bab Essagma» qui est aussi l’une des entrées de Fès-Jdid mais dont il ne reste plus aujourd’hui que les deux imposantes tours qui non seulement soutenaient l’arc de la porte, mais servaient aussi de supports à une canalisation d’eau qui reliait la «kasbah des Chrarda» et l’ancien «Méchoir». Réalisation mérinide aussi, la porte commençait à se détériorer et à perdre ses traits et c’est moulay Hassan 1er qui a ordonné sa rénovation. Cette porte doit son nom à une sainte femme appelée «Lalla Yamina Essagma» (Essagma : la droite ou la juste), décédée en 1737 et inhumée tout près de cette porte. Très répandu, le nom de son mausolée fut ainsi attribué à la porte.
De là, nous nous sommes dirigés vers «Bab El Makina». Donnant sur le Vieux Mechouar, Bab El Makina est différente des autres portes puisque d’architecture italienne. Du temps du Sultan Merinide Yaacoub Al Marini, elle a abrité une fabrique de frappe des pièces de monnaie baptisée «Dar As-Sikkah». Puis, sous le règne de Moulay Hassan 1er elle abrita l’arsenal de Fès, dont les travaux de construction ont duré 4 ans (1889-1893), d’où le nom de Bab El Makina (Et en plus long Bab El Makina de Moulay Hassan). En 1912, sous l’occupation française, l’arsenal fut transformé en usine de confection de tapis. Située au nord de Fès-Jdid, la porte fut aussi appelée «Bab El Oued».
La fatigue commençait alors à s’emparer de nous, ce qui fait que la visite n’a pas été poursuivie.
Des portes à l’intérieur de la médina et encore…
Mais si ces portes et d’autres qu’on n’a pas pu visiter, servaient de fortification à la ville de Fès et ses deux grands quartiers dit «adoua» notamment Al-Qaraouiyine et Al-Andalouse et témoignent, à ce jour, de la grandeur des Rois successifs du pays, il existe d’autres portes, non moins importantes mais qui ont plutôt un caractère fonctionnel et facilitent la mobilité et la circulation intra-muros. Parmi celles-ci, notre guide nous a fait visiter l’historique porte des Chemmaiine qui est l’une des portes principales de la mosquée Al-Qaraouiyine. Le nom de «Chammaiine» a été attribué à cette porte du fait de sa proximité du marché des cierges et bougies, où les artisans exposaient leurs produits de différentes tailles, formes et couleurs, à côté de ceintures brodées de fils dorés et de ceintures en soie.
Le marché était célèbre et le commerce des bougies y était florissant. Si Bab Chammaiine s’ouvre sur la mosquée Al Qaraouiyine, d’autres portes donnent directement accès au mausolée de Moulay Idris, dont Bab Al-Maârad, reconnue par la poutre placée bas obligeant les passant à s’incliner pour pouvoir passer, (on dit, à cet effet, que la poutre placée exprès très bas, d’où son nom de Maârad, oblige les visiteurs à s’incliner en guise de salutation au saint). Puis il y a «Bab Majadliyine», «Bab R’maila», au quartier Lahbiyel, ainsi que Bab Al-Gourna (les anciens abattoirs), «Bab R’çif», «Bab Al-Attarine», «Bab Joutiya et la porte du passage des potiers dite «Bab Mammar Al Fakharine».
Ces portes sont toutes aujourd’hui de vraies attractions, nous dit le guide, tant pour les résidents que pour les visiteurs, qui découvrent et admirent à travers elles les vastes et authentiques marchés de Fès, ainsi que ses monuments et sites historiques, qui racontent depuis 12 siècles l’histoire de cette ville impériale regorgeant de trésors et de lieux qui témoignent du rayonnement et des rôles religieux, culturel, social, économique et même politique et environnemental de la cité antique, comme la mosquée Al-Qaraouiyine, la mosquée Al-Andalus, le mausolée de Moulay Idriss, les trésors de la mosquée Al Qaraouiyine et sa bibliothèque ou encore sa salle des horloges, ainsi que la médersa Bouanania, l’école Al Attarine, l’école Al Misbahia, le musée Batha, la tannerie «Dar Dbegh», le quartier des dinandiers «essaffarines», la grande rue des «Attarines» en plus de ses jardins ou jnanat notamment «Jnan Esbil» et les différentes fontaines et «seqayat» dont la célèbre «Seqaya des Nejjarine. Un tout qui fait de la ville et de sa médina en particulier un vrai musée vivant ouvert.