Culture
Essaouira VIIIe édition, programme des réjouissances
Cinquante-quatre musiciens ou groupes, neuf scènes, un déluge de rythmes et de chants
et de grands moments de plaisir, voilà à quoi nous convie la VIIIe édition, du 23 au 26 juin,
du festival Gnaoua et musiques du monde d’Essaouira.

Associer la musique gnaoua à la ville d’Essaouira est devenu une image d’Epinal. Aussi, chaque dernière semaine de juin, des centaines de milliers de visiteurs, bravant sinuosités routières et soleil de plomb, affluent vers la cité océane pour avoir leur comptant de transe. Fidèle parmi les fidèles, Mohamed Ghaït, douanier de son état, voue un véritable culte au festival Gnaoua et musiques du monde. «Je n’en ai manqué aucune édition. Et à chacune, je me sens transporté. J’en reviens régénéré, fortifié, changé en bien», assure-t-il. Pour l’heure, il vient d’accomplir un des rites préalables : trouver un logement. Huit cents dirhams la nuitée. Un tarif rédhibitoire. Mais quand on aime, on ne compte pas. Et il faut voir ces jeunes épargner sou par sou, tout au long de l’année, pour être présents au rendez-vous, pour prendre la mesure de sa force d’attraction.
Les fervents, à l’instar de Mohamed Ghaït, effectuent, à l’occasion, une sorte de pèlerinage. Il faut dire que la route qui mène à Essaouira, sans ressembler à un chemin de calvaire, est longue, très longue. Afin d’en adoucir la rigueur, mieux vaut l’allonger. En prenant soin de ne pas tracer la route, mais d’emprunter des voies de traverse. La route côtière en est une. Elle a la faveur des festivaliers. On les reconnaît à leur allure indolente. Un camaïeu de bleus sertissant l’océan distrait leur regard, une auberge rustique les invite à une pause revigorante, une crique gorgée de soleil les incite à faire trempette. Et quand la lagune de Oualidia se profile à l’horizon, l’envie de déguster des huîtres charnues se fait impérieuse. Ils l’assouvissent. Puis reprennent leur route, toujours en lambinant, histoire de faire durer le plaisir.
A mi-chemin entre Safi et Essaouira, les initiés quittent la route côtière pour plonger au cœur du pays Chiadma. Cette étape est importante pour celui qui désire s’imprégner de mysticisme, avant d’en être inondé avec les Gnaoua. Ici, c’est le fief des Regraga. Une confrérie sur l’origine de laquelle plane un mystère. Une fois qu’ils auraient appris l’avènement de l’islam, ils seraient allés, à la suite d’un véritable périple, à la rencontre du Prophète. Lequel leur aurait assigné la mission de convertir la région à l’islam. Mais cette thèse est vivement récusée par certains.
Rien de tel, en entrée, qu’un bain de transe chez les Regraga
On a pourtant intérêt à y croire fermement si l’on veut que la baraka dispensée par les Regraga opère. Ce dont ne se fait pas faute notre festivalier. Deux mois auparavant, il en aurait bénéficié largement, en les accompagnant dans leur tournée printanière (du 22 mars au 30 avril). A chaque étape – il y en a quarante-quatre – un moussem s’installe avec ses marchands ambulants et ses halqas, d’où s’élèvent les voix des chikhates de aïta, pendant que les Regraga «distribuent leur baraka», en échange de dons en espèces et en nature. Pour la recueillir pleinement, notre festivalier ne manquera pas de pousser jusqu’au jebel Hadid. Là où se trouve le sanctuaire de Sidi Ouasmine, sultan des Regraga. Il assistera infailliblement aux transes des Ouled Bouchta Regragui. Un avant-goût de ce qui l’attend .
Après ce bain de transe, le festivalier fait résolument cap sur Essaouira, cette fois-ci en forçant l’allure, afin de ne pas manquer le prélude, toujours captivant du festival Gnaoua et musiques du monde. Arrivé aux abords de la ville, il s’arrête, en une espèce de rituel, près d’un surplomb, du haut duquel se découvre Essaouira dans toute la puissance tumultueuse de son océan et la vulnérabilité attachante de ses murs attaqués par les vagues rugissantes. La ville n’est pas sans évoquer le bateau ivre rimbaldien. Ivre aussi de musique, se présente Essaouira. Elle l’a chevillée à l’âme. Si le genre Gnaoua a trouvé, en Essaouira, une terre d’accueil féconde, quantité de musiques s’y sont épanouies : ahouach, ganga (noirs berbérophones), Aïssaoua, Hmadcha, malhoun…
On comprend alors que, depuis toujours, Essaouira exerce une troublante séduction sur les compositeurs et les musiciens. Jimmy Hendrix, les Rita Mitsouko, les Rolling Stones, les Pink Floyd, Carlos Santana, Randy Weston, Brian Jones, et tant et tant de gens illustres, sont venus – viennent – humer les senteurs de ces musiques, souvent s’en inspirer.
Quand on dispose de tels atouts, il faut les mettre en lumière, se sont dit quelques hommes de bonne volonté, soucieux de sortir la ville d’une léthargie dans laquelle elle se morfondait depuis trois décennies. Afin de sceller cette renaissance désirée ardemment, ils ont mijoté le festival Gnaoua et musiques du monde. Telle une bravade. C’était en 1998. Des songe-creux, se sont empressés de les qualifier les esprits chagrins, qui durent ravaler leurs quolibets car, dès son éclosion, le festival sema quelques jolies fleurs.
A la deuxième édition, les fruits s’avérèrent à la hauteur de la promesse des fleurs. Ainsi que le décrivit l’exigeant quotidien Le Monde (30 juin 1999) : «Un public composite où des femmes enveloppées dans un haïk blanc ne laissant deviner que leurs yeux côtoient des filles en tenue sexy, venues de Casablanca avec leurs copains, des adolescents au look de rappeurs ou portant des tee-shirts de la Mano Negra, sont au coude à coude avec des gamins, et des mamies aussi. Elles écarquillent les yeux, ne perdent pas une miette de ce qui se trame sur scène. On y développe une idée belle et généreuse : la rencontre, le dialogue et l’échange entre musiciens traditionnels marocains et musiciens occidentaux». Depuis, le festival ne cesse d’enchaîner les triomphes. En atteste la courbe exponentielle du nombre de visiteurs (20 000 en 1998, 40 000 en 1999, 80 000 en 2000, 200 000 en 2001, 220 000 en 2002, 300 000 en 2003, 400 000 en 2004), et l’évolution impressionnante du nombre d’artistes qui y ont participé (50 en 1998, 156 en 2002, 289 en 2004).
Youssou N’Dour, tête d’affiche de la VIIIe édition
Cela fait déjà huit ans que le festival d’Essaouira s’emploie à faire crânement valdinguer les frontières de l’art gnaoua, en le faisant se confronter, fusionner avec des musiques venues d’ailleurs. Cette nouvelle édition n’a pas tourné casaque, qui convie dans sa programmation des mastodontes gnaoua (vingt-et-un maâlems au total), des pointures prestigieuses (Youssou N’Dour, Danyel Waro, Naïny Diabaté, Eliko et Solo, Rongo by Fathy Salama), des jeunes marocains reconnus (Darga, Midnight Shems, Rif Gnaoua) et des artistes étrangers singuliers et passionnants (les Français Magic Malik, Roger Biwandu, Etienne Mbappé et Louis Winsberg ; l’Arménien Arto Tuncboyaciyan ; le Singapourien Nantha Kumar). Mais l’esprit Gnaoua et Musiques du monde, qui consiste, entre autres, à mettre en lumière les tendres prodiges, se manifeste aussi par la présence de jeunes talents, auxquels est dédiée la scène «Afters». Ou encore celles du DJ américain Cheb I Sabbah, dont la rencontre avec Don Cherry fut décisive pour sa carrière dans la world music, et de l’Anglo-marocain DJ U-Cef, qualifié de «Talvin Singh de l’Afrique du Nord». Tous deux se produisent sur la plage, au coucher du soleil.
Le clou de cette édition sera indiscutablement la clôture qui mettra en scène l’étoile indécrochable Youssou N’Dour, avec ses textes en wolof, dénonçant la mal-vie africaine sur des rythmiques jazz ou soul, et ses arrangements éblouissants, auxquels l’Egyptien Fathy Salama a mis la main. Mais ce clou pourrait être planté dès l’ouverture, avec l’hommage rendu à l’ancien «jilali» et «ghiwani» Abderrahman Paca, auquel prennent part les grands maâlems accompagnés par Omar Sayed (Nass El Ghiwane), Mohamed Derhem (ex-Jil Jilala) et Mohamed Sousdi (Lemchaheb). Ne pas oublier aussi les prestations des Hmadcha (Essaouira), Lounassa (Agadir) et El Hassanin (Taroudant). Ces animations off ne manquent ni d’attrait ni d’intérêt. Excellente pioche, décidément, cette VIIIe édition, à laquelle il faut se rendre absolument, en se hâtant lentement .
Huit ans que le festival Gnaoua se joue des frontières musicales. Cette année, il persiste et signe, conviant maâlems, jeunes débutants et grosses pointures de la musique mondiale à mêler leurs talents.
