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Culture

Escapades symphoniques

L’Orchestre philharmonique du Maroc est revenu cette semaine avec une seizième édition prometteuse où la musique française est reine. Ravel, Debussy et Berlioz au menu encore demain soir au Théà¢tre royal de Marrakech.

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Orchestre philharmonique du Maroc 2011 10 18

Entre Dina Bensaïd et Maurice Ravel, les tête-à-tête sont ponctués de silences mais jamais ennuyeux.  

Les yeux rivés sur le Concerto en sol du génial compositeur français du XXe siècle, la jeune pianiste questionne longuement ses annotations, hasarde ses mains sur les touches, reprend sa partition, la noircit de pattes de mouche. Elle doit pouvoir, d’un trait et assez mécaniquement, jouer cette œuvre majeure, la dernière de Ravel, avant d’y imprimer les nuances, d’«y mettre de la couleur avec le pinceau des émotions», décrit-elle, emphatique.
Des émotions changeantes, selon les mouvements du Concerto. D’abord l’Allegramente, une première partie jazzy, très rythmée : «On croirait presque, à certains moments, écouter de la techno !», plaisante l’interprète.
Quelques minutes plus tard, le swing s’estompe pour laisser place à quelque chose de plus feutré, de plus doux, l’Adagio Assai que, paraît-il, Ravel aurait composé religieusement, mesure après mesure, s’attardant, se recueillant des heures sur chacune. «Ce deuxième mouvement est d’une beauté infinie, se pâme Dina Bensaïd. Il exprime une sorte de béatitude, de calme absolu. C’est une mélodie qui s’étire au delà du possible. Quand on pense être arrivé au bout de la phrase, Ravel la prolonge pour nous tenir en haleine. Et le résultat est là, il s’agit d’une lente valse entre le piano et l’orchestre qui se relaient pour exprimer cette extase».
Après l’euphorie, la stupeur : le troisième et dernier mouvement, le Presto, est conçu presque comme une pantalonnade. «A peine sortis d’un magique deuxième mouvement, Ravel, ce farceur, nous surprend et nous réveille en nous embarquant dans une course effrénée où il déploie d’incroyables prouesses pianistiques». Un subtil dosage des genres, qui peut détonner, très vite tourner au carnage si la pianiste manque de maîtrise, de concentration ou de sentiment. «Après le déchiffrage et l’apprentissage de la partition, il faut laisser reposer, mûrir, comme de la pâte à crêpe. Puis, lorsque la musique a fait son chemin dans le corps et l’esprit, on se met devant un piano et, avec ses dix doigts, on raconte une histoire».
Rideau de fin ? Pas encore. Le plus dur reste à faire. Car jouer seule, peinarde dans son salon, ce n’est pas comme de fusionner avec quatre-vingt musiciens. Or, c’est le monumental défi que doit sans cesse relever Dina Bensaïd depuis qu’en 2004 et, à seulement quinze ans, elle s’est produite pour la première fois avec l’Orchestre philharmonique du Maroc (OPM). «Un orchestre peut être un allié inconditionnel ou un ennemi terrible, c’est au soliste de choisir, explique la pianiste. Pour en faire un ami, il faut parfaitement connaître la partie de l’orchestre avant la première répétition, pour ne pas être déstabilisé. Sinon, on peut très facilement être perturbé par des sons qu’on n’a pas l’habitude d’entendre». Harpe, violons, contrebasses, piccolo, hautbois, trombone, cymbales… Des sonorités parmi d’autres, que la jeune femme doit ainsi amadouer après s’être conciliée son clavier.
Cette expérience au sein de l’OPM, Dina Bensaïd compte bien en tirer profit pour faire évoluer sa jeune carrière. A vingt-deux ans, elle étudie au très renommé Conservatoire national supérieur de musique de Paris, qu’a intégré en 1889 ce même Ravel dont elle interprète aujourd’hui une des œuvres les plus grandioses. «Etre étudiante n’empêche pas de faire d’ores et déjà des concerts, bien au contraire, c’est sur scène avec l’orchestre qu’on apprend le plus !», assure la soliste.

Une programmation volontairement «élitiste»

Et on veut bien la croire. Dirigé par le pianiste français Benoît Girault, l’Orchestre philharmonique du Maroc est en pleine force de l’âge, après plus de 300 concerts en quinze années de mélodieux services, et propose, depuis déjà quelque temps, des saisons musicales en bonne et due forme.
La seizième édition a commencé mardi 11 octobre au cinéma Rialto, à Casablanca, avec des concerts d’ouverture piochés dans l’un des répertoires les plus complexes de la musique française. Signe que l’OPM a effectivement atteint sa maturité, l’ensemble s’est attaqué à la Symphonie fantastique, une œuvre lumineuse et difficile qu’Hector Berlioz composa en 1830 pour conquérir la jeune Harriet Smithson, dont le souvenir le hanta pendant de longues années. Pour l’actrice irlandaise, il ordonna à l’orchestre de «murmurer, de chanter, de crier et même de hurler». Une expressivité sans précédent pour cette époque à la musique sereine et encore quelque peu naïve.
Autre grand réformateur interprété lors de ces concerts d’ouverture, Claude Debussy et son Prélude à l’après-midi d’un faune, belle œuvre impressionniste inspirée par un poème de Mallarmé, et que le compositeur créa entre 1892 et 1894 pour, disait-il, «illustrer les fonds successifs sur lesquels se meuvent les désirs et les rêves du faune dans la chaleur de l’après-midi».
Une entrée en matière engageante, qui donne le la de la saison. En décembre, l’OPM revient avec son cycle des neuf symphonies de Beethoven, avant d’enchaîner en janvier avec une semaine de contes et légendes : Rimski-Korsakov rappellera Schéhérazade à votre bon souvenir et Tchaïkovski vous déclamera son Lac des cygnes.
Un brin élitiste, soupireront certains que l’Orchestre ne cherchera même pas à contredire. Derrière cette démarche rigoureusement qualitative, il y a bel et bien une volonté d’enrichir le goût musical des Marocains, de le tirer vers le haut, et le résultat est assez probant : beaucoup reviennent chaque année et suivent assidûment. «Le public est de plus en plus demandeur et exigeant en matière de musique classique, promet Dina Bensaïd, stimulée par cet engouement et persuadée qu’elle n’est pas la seule. «Cela encourage les musiciens à venir apporter leur grain de sel à cette vie culturelle marocaine. J’espère que mon pays va continuer sur cette voie, que la musique classique touchera chaque année un plus large public et que les jeunes se dirigeront de plus en plus vers ce métier qui est l’un des plus beaux au monde» n
Sana Guessous