Culture
Du Brésil au Maroc : La ville ocre, un écho aux «Invocations» de la 36e Biennale de São Paulo
Intitulée « Nem todo viandante anda estradas – Da humanidade como prática », la 36e Biennale de São Paulo, sous la direction du commissaire général Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, propose une exploration des relations humaines en tant que pratique d’écoute et de coexistence. En amont de l’exposition, les « Invocations », une série d’événements artistiques et intellectuels dans quatre villes à travers le monde, offriront un avant-goût des thèmes centraux de cette manifestation.
La ville de Marrakech accueillera la toute première Invocation intitulée «Souffles : sur l’écoute profonde et la réception active», les 14 et 15 novembre 2024, sous la direction de Laila Hida et Maha El Madi. Cette rencontre, qui se tiendra au LE18 et à la Fondation Dar Bellarj, mettra l’accent sur la précarité du souffle, notamment chez les Gnaoua et les soufis, en abordant l’écoute comme une pratique essentielle de coexistence. Au fil de conférences, d’ateliers et de performances, on découvrira l’écoute comme un moyen de cultiver l’empathie en explorant de nouvelles perspectives de partage et de coexistence culturelle.
«En organisant ces “Invocations”, nous souhaitons rapprocher les concepts curatoriaux de la Biennale des publics du monde entier, en invitant chacun à réfléchir aux valeurs de l’écoute et de la rencontre comme fondements de la coexistence. Marrakech, ville riche de traditions et de confluences culturelles, incarne parfaitement cet esprit d’ouverture», souligne la présidente de la Fundação Bienal de São Paulo, Andrea Pinheiro.
Pour le commissaire général Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, cette première Invocation à Marrakech traduit le désir de la Biennale de repenser l’humanité en tant que pratique active et partagée. «Nous vivons une époque où les liens entre les êtres humains se distendent. À travers ces “Invocations”, nous invitons artistes, intellectuels et publics à interroger les formes de coexistence par l’écoute et la pratique de l’humanité comme verbe vivant», affirme-t-il.
Dans la continuité des Invocations à Marrakech, d’autres rencontres se dérouleront en 2024 et 2025 aux Abymes en Guadeloupe, à Zanzibar en Tanzanie et au Japon.
Temps, miroir et espace
La 36e Biennale, qui se tiendra du 6 septembre au 11 janvier 2026 au Pavillon Ciccillo Matarazzo, repose sur un concept curatorial profondément ancré dans le poème de la poète afro-brésilienne Conceição Evaristo, Da calma e do silêncio. Cette édition est une invitation à redéfinir l’humanité comme un verbe, une pratique incarnée dans des actions et interactions conscientes.
Le commissaire général, Ndikung, et son équipe de co-commissaires (Alya Sebti, Anna Roberta Goetz, Thiago de Paula Souza, Keyna Eleison et Henriette Gallus) orchestreront cet événement qui reflète une vision de l’humanité renouvelée et inclusive.
La Biennale de São Paulo structure son parcours autour de trois axes curatoriaux distincts : le temps, le reflet et l’espace de rencontre, chacun offrant une perspective pour enrichir la réflexion des visiteurs.
Le premier axe, «Revendiquer espace et temps», propose un appel à ralentir pour mieux appréhender notre environnement. Il encourage l’ouverture aux différences et la reconnexion avec la nature, nous rappelant l’importance de la contemplation et de la patience dans un monde en perpétuelle accélération.
Le deuxième axe, «Le miroir de l’autre», invite à une introspection collective, explorant les frontières qui séparent les individus et les sociétés. En s’appuyant sur l’idée d’interconnexion humaine, cet axe pousse chacun à voir sa propre humanité dans celle de l’autre, à travers un regard qui transcende les différences pour établir des liens plus profonds et plus authentiques.
Enfin, le troisième axe, «Espaces de rencontre», prend pour modèle l’estuaire, ce lieu de convergence entre des eaux aux origines variées. Ce concept explore les influences croisées, notamment celles issues du manifeste Caranguejos com cérebros du mouvement manguebit, qui évoquent une coexistence enracinée dans la diversité. Cet axe invite à repenser les asymétries de pouvoir et à envisager des formes de coexistence nourries par la multiplicité, où chaque culture et chaque histoire trouvent leur place dans un dialogue continu.
Humanité en chantier
«À une époque où l’humanité semble de nouveau égarée, où le sens profond d’être humain paraît vaciller, et dans un contexte marqué par des crises sociopolitiques, économiques et environnementales en constante expansion, il devient impératif d’appeler à une réflexion collective sur le sens de l’humanité. En invitant artistes, universitaires, activistes et autres professionnels de la culture issus de multiples disciplines, nous souhaitons réimaginer et conjuguer ce que l’humanité pourrait signifier aujourd’hui (…) Face à ces urgences présentes, passées et futures, nous devons nous octroyer le privilège d’imaginer un autre monde, fondé sur une conception renouvelée et sur une pratique vivante de l’humanité. Ainsi, le projet “Nem todo viandante anda estradas – Da humanidade como prática” est une invitation à considérer l’humanité non seulement comme une idée, mais comme un verbe, une rencontre et une négociation entre des mondes divers. C’est également une invitation à déconstruire les asymétries comme condition préalable pour que l’humanité s’affirme en tant que pratique. Cette Biennale nous incite à placer la joie, la beauté et leurs poétiques au centre des forces qui maintiennent nos mondes en équilibre…, car la joie et la beauté sont, elles aussi, des forces politiques (…). Plus que jamais, nous sommes conviés à envisager un monde où l’humain se redécouvre et s’élève, à un moment où l’humanité nous semble faire défaut», écrit le commissaire général de cette biennale, Bonaventure Soh Bejeng Ndikung.
La Biennale a pour objectif de reconsidérer l’humanité comme un verbe, une pratique vivante, essentielle dans un monde où repenser les relations, les asymétries et l’écoute devient une nécessité pour la coexistence. Le concept central, inspiré par la métaphore de l’estuaire – cet espace de convergence entre différentes eaux –, oriente la réflexion curatorial, nourrie des philosophies, paysages et mythologies brésiliennes. Ce cadre symbolise la richesse des rencontres qui ont façonné l’histoire du Brésil et invite à une humanité construite et transformée par l’écoute et la négociation entre des êtres et des mondes variés.
Andrea Pinheiro, présidente de la Fundação Bienal de São Paulo, affirme que cette 36e édition de la Biennale, véritable patrimoine artistique du Brésil, est le fruit d’un processus collectif mené par le Conseil consultatif, dont la mission est de choisir le projet curatorial le plus en phase avec les enjeux contemporains. «Bien que la Biennale se veut comme un espace de réflexion et de dialogue sur les questions cruciales de notre époque, elle témoigne aussi de l’engagement de la Fundação à rendre l’art accessible et pertinent pour un large public», a-t-elle déclaré.
Ondes de l’humanité
L’identité visuelle de la Biennale, réalisée par le studio berlinois Yukiko, représente l’idée de polyphonie et de coexistence dynamique à travers des ondes sonores symbolisant les fréquences des expériences humaines. Ce choix visuel traduit l’humanité comme un espace fluide, en constante transformation par les rencontres et les interactions, tel un estuaire où différentes réalités se fondent en harmonie.
«En s’appuyant sur l’axe curatorial du son et le mouvement manguebit, l’identité visuelle repose sur des ondes sonores polyphoniques et la série harmonique, symbolisant les fréquences superposées des expériences humaines. Ces ondes sonores représentent l’idée que l’humanité est en constante évolution et transformation à travers les rencontres, tout comme l’estuaire, où plusieurs mondes se rencontrent et se mêlent. Cette manifestation visuelle renforce le message central de la Biennale : qu’à travers une écoute intentionnelle et une réflexion profonde, nous pouvons réimaginer l’humanité comme une pratique vivante et dynamique», expliquent les designers.
«Nous espérons que cette Biennale sera non seulement un espace de dialogue, mais aussi une véritable célébration de l’humanité sous toutes ses formes», conclut Andrea Pinheiro, présidente de la Fundação Bienal.