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Culture

Des instruments et des histoires : L’Afrique à l’écoute de ses racines

La musique en Afrique dépasse le simple cadre artistique : elle incarne la mémoire, la spiritualité et un puissant moyen de communication. L’exposition « Instrumenthèque d’Afrique », brillamment mise en lumière par une visite guidée de Michel Ndoh Ndoh, président de l’Association Sandja, en est une éclatante illustration. Rassemblant une soixantaine d’instruments traditionnels issus de divers pays africains, cette exposition célèbre un patrimoine aussi riche que méconnu.

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Dès le début de la visite, Michel Ndoh Ndoh explique : «La musicologie africaine contemporaine classe les instruments en quatre grandes familles : les cordophones, les membranophones, les aérophones et les idiophones». Ce classement sert de fil conducteur pour découvrir les spécificités de chaque instrument exposé.

L’Afrique en mille et une notes

La visite débute par les aérophones, des instruments dont le son naît de la circulation de l’air dans une cavité. Parmi eux, la gheita Issaouia du Maroc côtoie sa cousine d’Afrique centrale, un rapprochement qui, selon Michel Ndoh Ndoh, «témoigne de l’unité et de l’indivisibilité de l’Afrique». D’autres merveilles incluent le nefar, typique des pays musulmans, et le bwo buru, un instrument en bambou venu du Mali.

L’exposition met également en avant des instruments issus de la faune, tels que les cornes d’antilope transformées en aérophones ou les flûtes pygmées, présentes au Rwanda, au Cameroun et au Mali. Ces instruments, selon Michel, «cohabitent harmonieusement, illustrant l’esprit d’harmonie propre au continent».

Une symphonie d’histoires

Les cordophones transportent les visiteurs dans l’univers des récits et épopées. Le guembri, emblème des Gnawa marocains, est présenté aux côtés de son ancêtre, le n’goni, tandis que le loutar partage la scène avec le valiha, un instrument malgache aux racines indonésiennes.

Valiha.

Michel Ndoh Ndoh attire particulièrement l’attention sur le mvett, un instrument épique du Cameroun : «Ceux qui le jouent entrent en transe pour raconter le passé, interpréter le présent et parfois prédire l’avenir». Fabriqué à partir de calebasses et de fibres de raphia, il est un trésor inestimable.

Mvett.

Poursuivons avec un autre instrument emblématique de l’Afrique de l’Ouest : la kora. Originaire du Mali, du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée, cet instrument épique occupe une place centrale dans les traditions musicales de ces pays. «Initialement dotée de 18 cordes, la kora en compte aujourd’hui 21, témoignant de son évolution au fil du temps», explique Michel. Elle est également utilisée dans des contextes liturgiques, notamment au Sénégal, où des moines l’intègrent dans leurs cérémonies religieuses. Cet instrument, véritable pilier du patrimoine musical ouest-africain, continue de rayonner à travers le monde grâce à de nombreux artistes de renom.

Parmi les joyaux exposés se trouve également l’ilung, un instrument à cordes de 130 ans, offert par Michel au projet. «Cet instrument raconte des épopées et réside désormais au Maroc, quittant son Cameroun natal», fait-il savoir avec émotion.

Ilung.

Le battement du continent

Les membranophones, instruments dont le son naît de la vibration d’une peau tendue, occupent une place de choix. Le ribab, emblème marocain, a joué un rôle crucial pendant la colonisation en transmettant des messages codés. «Il a contribué à la résistance et au salut de nombreuses personnes», souligne Michel.

Autre instrument fascinant : la double cloche, qui servait de moyen de communication entre villages et communautés. «La double cloche permettait de transmettre des messages importants et d’établir un lien sonore entre les populations locales», explique Michel.

Le nkoul (ou Elimbi), tam-tam parleur camerounais, se distingue par sa capacité à transmettre des messages codés, compréhensibles uniquement par les initiés. «Cet instrument a sauvé de nombreuses vies pendant la traite négrière, alertant les populations de l’arrivée des négriers», fait savoir Michel, insistant sur sa portée historique et scientifique.

Le Nkoul ou Elimbi : Tam-tam parleur.

Dame nature

Les idiophones, dont le son provient de leur propre matière, révèlent la créativité africaine. Le balafon ou bala, avec ses lamelles résonantes, est souvent utilisé dans des orchestrations festives. L’ikembe et la sanzi, surnommés «pianos à pouces», servent quant à eux à narrer poèmes, proverbes et contes.

L’Ikembe.

Un autre instrument unique attire l’attention : une derbuka exceptionnelle, fabriquée avec la peau d’un poisson rare, la raie. «Cette caractéristique, rarissime, témoigne du génie des artisans africains», explique Michel.

Derbouka.

L’évolution du krakeb est également soulignée : «À l’origine en bois, il est aujourd’hui fabriqué en métal, une adaptation rendue nécessaire par la raréfaction du bois dans les zones désertiques». Cet instrument, essentiel dans les cérémonies lilas des Gnawa, symbolise l’adaptabilité et l’ingéniosité des artisans.

Cette visite guidée offre bien plus qu’une découverte musicale. Elle réaffirme l’importance de la préservation d’un patrimoine menacé. «L’ambition de l’Instrumenthèque d’Afrique est de revitaliser la fabrication locale tout en sauvegardant un savoir-faire ancestral», souligne Michel Ndoh Ndoh. Portée par la passion et l’engagement de notre guide, cette immersion dans l’univers musical africain fait vibrer les âmes tout en célébrant la richesse inestimable d’un patrimoine commun.