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Culture

De beaux livres à  offrir pour la fin de l’année

Voici venir la fin de l’année et, avec elle, le temps des présents. Ceux qui préfèrent le plaisir de la lecture aux gourmandises ou aux objets dits utiles seront comblés si on leur offre un beau livre.
Par chance, le choix est vaste cette année. A défaut d’une liste exhaustive, nous vous en proposons ici un florilège. N’hésitez pas à  aller les feuilleter, et tous les autres aussi, dans votre librairie.

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Il n’y a pas preuve plus imparable de la vigueur accrue du beau livre que lamoisson engrangée en cette fin d’année. Elle est relativement abondante, au regard de celle des autres genres éditoriaux. Et, surtout, le cru est fameux. Jusqu’ici, lesmerveilles se faisaient rares. Pas tant sur le plan esthétique qu’enmatière de facture des textes d’accompagnement, souvent troussés à la hâte. D’un abord éblouissant, les ouvrages se révélaient insipides à la lecture. Aussi constituaientils des cadeaux voyants, voués à pavoiser sur un rayon de la bibliothèque sans jamais être feuilletés. Gageons que tel ne sera pas le destin des beaux livres édités ou réédités récemment. De Fès à Azemmour, du costume au tapis, de l’art rupestre à la photographie, ils charment autant par leur écrin que par le caractère inspiré des textes qui agrémentent l’iconographie. En voici une gamme à faire partager sans souci de tempérance.

Casablanca, portrait d’une ville Art déco
Voici une réédition qui tombe à point nommé, tant cet ouvrage si précieux est devenu une denrée rare. Aux commandes, un ancien journaliste féru d’arcitecture, Jean-Michel Zurfluh.
En débarquant de sa Suisse natale, alors qu’il était encore adolescent, il fut vite épris de Casablanca au point de passer le plus clair de ses loisirs à l’immortaliser sous tous les angles et toutes les facettes.
En résultat une collection de photographies dont il fit l’argument d’un premier livre sur la ville, baptisé Casablanca (1985).
Mais son amour pour celle-ci se rélévant inépuisable, il l’exprima par une nouvelle ode parue, en décembre 2000, chez Eddif, sous le tire Casablanca, portrait d’une ville. Rapidement raflé, l’ouvrage eut droit à une réédition par les soins de La Croisée des chemins, à qui Eddif avait entre-temps rétrocédé le secteur du beau livre. Casablanca, portrait d’une ville vaut surtout par son illustration. Grâce à elle, toute la mémoire architecturale de Casablanca est restituée.
On est saisi par l’ingéniosité des architectes et, ici et là, étreint d’une émotion nostalgique à la vue de quelques chefs-d’oeuvre engloutis par la main de l’homme : la villa Bénazéraf (rue d’Alger, 1928), la villa El Mokri (Anfa, 1928), le cinéma Vox et sa salle de 2000 places à toit ouvrant, l’historique hôtel d’Anfa dans lequel s’étaient réunis, du 12 au 26 janvier 1943, Roosevelt et Churchill, et tant et tant de pans de la mémoire aujourd’hui, ensevelis sous les décombres. Le mérite de cet ouvrage est de permettre de les retrouver même si c’est sur papier glacé.

Fès et Florence en quête d’absolu
Il existe une foison de livres sur Fès. Celui-ci s’en distingue par la mise en parallèle de la capitale des Mérinides avec la ville desMédicis, Florence, la bien nommée. La démarche est à première vue déconcertante, puisque cela revient à comparer l’incomparable, les deux cités étant si distantes, si dissemblables, si diverses. «Y a-t-il une raison de rapprocher deux villes si différentes dans un même ouvrage ? Oui,une seule : c’est que toutes les deux ont rayonné pendant des siècles,marquant à jamais l’histoire de l’art et léguant des splendeurs que le temps n’a pas réussi à effacer », justifie Ileana Marchensani, directrice de ce projet admirablement abouti. Grâce au choix pertinent des auteurs,Catherine Cambazard-Amahan etAliAmahan pour la partie fassie, etMarcello Fantoni pour les chapitres consacrés à Florence. Grâce aussi à la valeur du photographe, Franco d’Alessandro, dont la réputation n’est plus à faire. En quatre chapitres conçus comme des va-et-vient entre Fès et Florence, et 157 planches proprement magnifiques, sont reconstitués les parcours historique et artistique de ces deux cités gorgées de mémoire et pétries de talent. Celui des artisans anonymes de Fès, auxquels on doit des joyaux architecturaux tels que la mosquée de la Qaraouiyine et la vingtaine demédersas, prodiges d’un art à but dévotionnel. Celui des artistes florentins, comme Sandro Botticelli, Andrea Orcagna, Giotto di Bondone, Filippo Brunelleschi ou Raffaello Sanzia, entre autres peintres, sculpteurs et architectes, servants d’un art dédié aux thèmes religieux, avant de se transformer en instrument de propagande politique et de représentation sociale, ainsi que l’illustrent les somptueux palais Davanzati, Strozzi, Medici Riccardi, Gondi,Vecchio, Cosme l’Ancien…

Costumes du Maroc
En soixante planches, ce magni fique ouvrage à offrir décline les variétés du costume marocain, par lequel Jean Besancenot se sentait irrésistiblement happé : «Ma démarche était celle d’un artiste, dessinateur et peintre, au service de l’ethnographie. Je procédais donc à un relevé graphique minutieux de soixante costumes,m’attachant à constituer une documentation visuelle aussi complète que possible, tout en soulignant la dimension esthétique qu’un vêtement confère à ceux qui le portent ». Une première édition de luxe (300 exemplaires, chez Horizons de France) vit le jour en 1942. Elle obtint un franc succès. En 1988, le mets, jugé succulent, fut repassé à la table d’Eddif. La version initiale était augmentée et enrichie. Entre-temps, le pays connut de profondes mutations vestimentaires. La plupart des costumes avaient totalement disparu, ce qui décupla l’intérêt ethnologique et historique de Costumes du Maroc. Aussi La Croisée des chemins eut-elle l’heureuse idée de le rééditer en 2000. Avec un égal bonheur puisqu’il s’envola en peu de temps. La même maison vient de remettre le couvert, avec une nouvelle mise en page et une reproduction de 19 colliers contemporains. Les illustrations sont impeccables, les légendes agréablement concises et les commentaires très éclairants. Cela suffit pour inciter à effeuiller avec nostalgie cette revue vestimentaire.

50 ans de photographies, Maradji, témoin de son époque
Parmi tous les beaux livres paraissant à l’occasion du Nouvel An, celui- ci sort du lot. Il est dédié à Mohamed Maradji, capteur d’images au long cours. Il manquait un ouvrage de référence sur ce photographe qui n’est pas, comme on le prétend souvent, seulement un «immortaliseur» des rois et des grands de ce monde, mais aussi et surtout un véritable artiste. De cette tâche, Maradji n’en a laissé le soin à personne d’autre que lui, en se constituant metteur en scène de l’ouvrage qui magnifie son oeuvre. En la circonstance, ce personnage bien en cour, exubérant et histrion sur les bords, ne prend pas la pose. Il en rajoute même en manifestations d’humilité : «J’ai vécu cette belle et exaltante aventure qui a fait de ma modeste personne un témoin privilégié de son époque, toujours prompt à apporter ma contribution au photo-journalisme marocain. La valeur de mon travail, je la dois à tous les grands hommes que j’ai eu le privilège de côtoyer. Aussi suis-je heureux de leur rendre, par ce livre, un vibrant hommage ». Il est vrai que ce beau livre, préfacé par l’historien Brahim Boutaleb et introduit par le journaliste J.P. Peroncel-Hugoz, met en lumière tout ce qui compte en matière de personnalités politiques, intellectuels, écrivains, artistes et sportifs,mais ce n’est pas en cela uniquement que réside son intérêt. Lequel est plutôt documentaire. Les 750 photographies offertes à voir font défiler cinquante ans d’histoire duMaroc. Ce qui fait dire à Abdelkader Retnani, éditeur de l’ouvrage, qu’il s’agit d’une «chronique des années défuntes et présentes». Pour quelqu’un qui s’était lancé, à l’âge de 16 ans, dans l’aventure photographique moins par conviction que par jeu, le mérite s’en trouve immense.

Porte-folios
Pour les amateurs d’art à modeste budget, il existe la solution des porte- folios, autrement dit des coffrets renfermant des sérigraphies ou des gravures accompagnées de textes. L’éditeur Marsam s’en est fait le spécialiste. De 1975 à 2008, il en a confectionné quarante. On peut citer, entre autres, Casablanca,ma ville (Abdellah Sadouk – Rita El Khayat) ; Marrakech, secrets affichés (Mohamed Nabili – Saad Sarhan), Marrakech, l’île mirage (Mohamed Nabili – Mohamed Loakira) ; Les Tangéroises (Abderrahim Bendahmane – George Bousquet) ;Mon ami l’automne (Mohamed Benebine – Aïcha Basry), Madoré (Mahi Binenine et AbderrahimYamou – Nicole et Natacha de Pontcharra) ou encore Spleen de Fès (Mohamed Krich – AhmedTaïeb El Alj)…

Regards sur Azemmour
D’évidence, les villes ne sont pas toutes logées à la même enseigne dans l’intérêt que leur portent les éditeurs. Cas négativement exemplaire : Azemmour. Pourtant, cette ville, éclose il y a 2 500 ans sur les rives fertiles de l’oued Oum-Ar-Rabii, ne manque pas d’attraits, certes désuets et sensiblement déparés par l’âge, mais scrupuleusement entretenus en leur état. Qu’un éditeur daigne y consacrer un ouvrage, voilà qui ne peut que ravir ses nombreux fervents. Reste que leur joie s’assombrira quand ils découvriront que Regards sur Azemmour n’est pas à proprement parler un livre sur leur ville chérie.
Il ne ressemble pas du tout à ces ouvrages convenus truffés de cartes postales exaltant les splendeurs de leur objet. En effet, ce fruit des oeuvres réalisées par des artistes lors d’une résidence à Azemmour, du 5 au 12 décembre 2005, à l’occasion desVIIe Rencontres photographiques d’El Jadida, est un album qui se présente comme un exercice de style des huit photographes sollicités. Chacun à sa manière a reconstruit la ville d’Azemmour. Hicham Benohoud en a capté le malaise à travers l’expression de visages d’enfants ; Ali Chraïbi s’est intéressé aux femmes de la médina ; Denis Dailleux a installé des personnages dans le carré de son appareil ; Lamia Naji, jusque-là inconditionnelle du noir et banc, a serti de couleurs les ruelles d’Azemmour au point de les rendre méconnaissables…L’ensemble est généreux, captivant, superbe.

Gravures rupestres de la province d’Es-Smara
Au stéréotype extrêmement répandu selon lequel le Maroc n’est entré en art qu’au mitan du siècle dernier, ce livre oppose, en creux, un vif démenti, dans la mesure où il fait remonter les manifestations artistiques à très loin, précisément au néolithique. C’est en ces temps reculés que sont apparues les gravures rupestres, dont les sites les plus importants (huit en tout) se trouvent dans la province d’Es-Smara. Cet ouvrage n’est pas le premier à focaliser son objectif sur cet art immémorial.
A ce chapitre, il y a toute une littérature qui privilégie l’exotisme et se soucie peu de la science. «On ne peut qu’être heureux d’avoir entre les mains un ouvrage qui décide, à priori, d’être un inventaire précis, forcément sobre et rigoureux. Aucun sujet, aucun thème n’est privilégié. Quant aux commentaires, ils sont descriptifs. Les auteurs ne s’autorisent aucun rapprochement hasardeux, aucune hypothèse ébouriffante. L’exercice est difficile et c’est pourquoi il faut le saluer», se réjouit RobertVernet dans la préface de Gravures rupestres de la province d’Es-Smara. On ne peut que souscrire à ces propos à la lecture de cet ouvrage édifiant, parfaitement servi par l’archéologue Afraa Al Khatib, Alain Rodrigue, spécialiste du Maroc préhistorique et l’historien Mostafa Ouachi. Les trois ont mis du coeur à l’ouvrage, nous soumettant une copie irréprochable qui ne laisse aucun secret sur les canons de l’art rupestre ni sur sa thématique (faunes sauvage et domestique). En substance, une pièce à verser dans son musée imaginaire (200 photographies et 200 dessins de gravures), d’autant qu’au rythme des pillages perpétrés à son endroit, il ne restera plus, dans l’avenir, de traces de l’art rupestre.


Tapis et tissages. L’art des femmes du Maroc

Frédéric Damgaard est une figure emblématique sur la place artistique. Depuis son arrivée au Maroc, en 1987, ce Danois n’a jamais hésité à apporter sa pierre à l’édifice de l’art. A Essaouira, il fonde une galerie où il ne se contente pas d’exposer des valeurs sûres mais fait découvrir des talents insoupçonnés, tels ces maçons, pêcheurs ou menuisiers devenus, grâce à lui, des artistes reconnus. Sa soif de découverte s’étend à l’artisanat, dont il traque la magie jusqu’au fin fond du monde berbère.
Le tapis le séduit tant et si bien qu’il en fait la matière d’un ouvrage. Lequel met en valeur ce que l’auteur appelle des «tapis-tableaux», conjonction étrangère pour qui conçoit le tapis comme un objet utilitaire et non comme une oeuvre d’art. «Dans ces communautés démunies, où il a toujours été impensable d’utiliser les maigres ressources à la confection d’objets inutiles, les Berbères emploient tout leur sens de la beauté et leur expression artistique à la création d’objets utilitaires. C’est ainsi que les tapis tissés dans ces tribus, par des femmes ayant un «don» ou une sensibilité artistique, sont devenus, sans que ce fût prémédité, des tapis-tableaux», soutient Damgaard. Mais, mieux qu’un simple passage en revue des beaux tapis, Tapis et tissage forme un hymne à la gloire de ces femmes obscures qui, par leur oeuvre, perpétuent et transmettent la mémoire de leur communauté. «Elles harmonisent les tonalités des couleurs assimilées et réinventent des compositions à partir des motifs mémorisés, se laissant guider par leur inspiration. Tout en composant les noeuds de la trame, les tisseuses amazighes font appel à leur mémoire pour mieux perpétuer celle de leur groupe».

Couleurs berbères, d’Essaouira à Agadir
A soisante-dix passés, Frédéric Damgaard demeure un infatigable voyageur. Parmi cette culture amazighe, tellemment foisonnante qu’il ne parvient pas à en faire le tour. Dans cet ouvrage, ce sont ses rivages chromatiques qu’il aborde. Chez les tribus Haha et Ida Outanane, il emporte ses pénates, le temps de scruter à satiété maisons, ustensiles et outils de travail.
Tels les barques de pêche, qui retiennent particulièrement son attention : «De belles rayures colorent avec force et vigueur l’extérieur, les bords et tout l’intérieur de ces embarcations, qui sont encore de nos jours portées à bras d’hommes vers la mer, très tôt le matin, et remontées sur la plage après la pêche, de la même manière traditionnelle ». Une des spécificités de la culture berbère est son penchant pour la couleur. Celle-ci est omniprésente. Avec une prédilection affirmée pour les tons vifs. Jaune, vert, rouge et bleu dominent, illuminent. Ils sont associés à l’idée de terre et de fertilité, d’abondance et de richesse. Composé essentiellement de photographies minutieuses comme belles, Couleurs berbères en met plein la vue. Raison suffisante pour se l’offrir ou, mieux, en faire profiter un être cher.