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Culture

Cela fait dix ans, «les insolites»…

«Les insolites» fête ses dix ans d’existence. La libraire-galerie tangéroise est un modèle de résistance de la librairie indépendante dans un pays où le livre est en souffrance.

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Les Insolites

Si, dans d’autres contrées, le livre est pris dans la guerre entre libraires indépendants et les grandes surfaces, au Maroc, il peine encore à attirer sur lui l’intérêt qu’il mérite. Les métiers du livre en pâtissent inéluctablement et se raréfient, sous l’action molle des institutions de tutelle. Mais comme, ici, rien ne se passe comme on peut le prédire, il arrive que l’on rencontre un libraire heureux. Ou, du moins, un dont la passion n’a pas été entamée par l’indifférence du lectorat ou les fins de mois difficiles. A Tanger, Stéphanie Gaou se prépare pour fêter les dix ans de sa librairie-galerie «les insolites». Entre deux livres et un sourire qu’elle tend aux clients, elle doit gérer un programme condensé en ce mois de janvier pour marquer le coup. Cela fait certes du travail supplémentaire, mais que ne ferait-on pas par amour ?

Les insolites

Les insolites

Et il en faut de l’amour pour continuer à professer le métier en l’absence totale de soutien financier extérieur. Que ce soit en tant que librairie ou en tant que galerie, le lieu ne bénéficie d’aucune aide d’institution publique ou privée, marocaine ou française : un vrai cocon indépendant. Avec une exposition et une, voire deux rencontres littéraires ou conférences par mois, «les insolites» met les bouchées doubles pour fidéliser son public. De plus, on se permet même de mettre de l’argent dans des showcases musicaux pour le simple plaisir d’atteindre un public autre que celui habitué de ses murs. Autant dire que la librairie-galerie sait au moins se faire plaisir, en attendant de pouvoir se remplir un peu les poches.

Un rêve d’antan… sans majuscule

«A Nice, il n’y avait pas non plus de lieu qui s’écarte du modèle conventionnel de la librairie, à l’époque où je caressait le rêve de fonder mon propre lieu culturel. Mais je n’avais pas de moyens et j’ai dû reporter mes rêves à plus tard», raconte Stéphanie Gaou. Et en rêvant d’un bon coin lecture dans un lieu qui soit à la croisée des rencontres littéraires et artistiques, elle s’affaire à enseigner l’anglais, avant de devenir attachée de presse, puis journaliste culture… Autant de métiers qui confirmaient sa vocation et son rêve.

Venue au Maroc en vacances en famille, Stéphanie est capturée plutôt par les saints de Tanger que par ses fantômes de la Beat Generation. Elle s’y installe un peu inopinément et découvre, quelques mois plus tard, ce local délabré de 79 m2, rue Velasquez. Elle a tout de suite envie de lui donner le nom de «La Tangente», joli jeu de mot rappelant Tanger et évoquant l’évasion, d’autant plus que rue Velasquez se détachait subtilement de la grande artère de l’avenue Pasteur, mais le nom est pris. Le mot «insolite» se dégage lors d’une conversation entre amis et trouve écho dans l’esprit de la libraire. «les insolites», sans majuscule, est née en janvier 2010, comme librairie, galerie et crémerie… pour siroter thé et café en toute tranquillité.

La recette des insolites

Il serait naïf de croire que les dix ans des insolites se sont passées sans heurts ni frayeurs. Plusieurs fois, la libraire a cru devoir mettre la clé sous la porte, la concurrence n’étant pas très loin et le lectorat encore faiblard. Mais la passion aidant, certains conseils avisés et quelques emprunts à la banque ont permis à Stéphanie Gaou de tenir le coup le temps de redresser la barre.

Cela lui a pris du temps de s’assumer en tant que prescriptrice et d’oser commander des livres qui lui plaisent personnellement, en plus d’élargir ses acquis. Aujourd’hui, avec environ 6 000 références littéraires, la librairie brasse large : jeunesse, littérature contemporaine, classique, voyages, poésie, art, science humaine, vintage, etc.

La galerie, quant à elle, alterne des expositions photos et d’art plastique, de grands noms comme de jeunes talents. Depuis le temps, «les insolites» se targue d’avoir déniché plusieurs noms aujourd’hui devenus des références dans le monde de l’art. En totalité, «les insolites» a accueilli quelque 200 personnalités du monde de la littérature et de l’art pour le grand plaisir de son public, devenu nombreux et surtout fidèle. Depuis que le showcase s’est ajouté à la programmation annuelle, une population nouvelle commence à se rapprocher de la librairie et à s’y autoriser l’accès.

Si le lieu vit décemment des ventes de livres et des expositions, l’on est loin de parler d’aisance, l’achat des livres restant coûteux et leur succès aléatoire. Cela dit, des collaborations avec des instituts et des établissements scolaires commencent à augurer d’une belle dynamique pour «les insolites», que l’on espère pérenne et contagieuse hors des murs de la cité blanche.