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Culture

Carlos Santana : "Paix, amour et bonne musique, c’est ça ma vision des choses"

Artiste engagé, porteur d’un message de paix, il n’entend pas baisser les bras. Un nouvel album en préparation pour septembre prochain.
Peu importe l’époque, il y a toujours de la bonne musique qui se crée de par le monde.
Ses albums favoris : Abraxas et Milagro, mais il écoute rarement du Santana chez lui.

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Il a commencé à se produire à l’âge de 20 ans avec sa Santana Blues band. 43 ans après, l’artiste fougueux a cédé la place au sage, mais le talent, la passion de la musique, la touche unique sont restés intacts. Avec 38 albums et 250 millions d’exemplaires vendus dans le monde, Carlos Santana, s’il figure au panthéon des guitaristes qui se sont fait une renommée mondiale, n’en est pas moins un homme humble, qui voue une adoration à Bob Marley et qui s’inspire de Marvin Gay, John Coltrane et Miles Davis. Entretien avec une icône à la veille de son concert qui a enflammé Rabat le 28 mai.

Comment va Carlos Santana ?
Je suis inspiré, inspiré à l’idée d’être ici !

C’est la deuxième fois que vous visitez le Maroc depuis votre concert en 1994. Comment se passe votre contact avec ce pays ?
Il est important que les gens sachent une chose. Je sens que le monde entier est ma maison, et que chaque endroit en est une chambre. Les drapeaux, le nationalisme, la religion ou la politique, ce n’est pas ma tasse de thé. Pour moi, le monde est une seule famille. Ce que j’aime à propos du Maroc, c’est que c’est une belle part de ma famille et j’y trouve un mysticisme qui me plaît. Au Maroc, il y a beaucoup de gens au cœur empli de beauté. Des gens qui créent avec leur imagination, leur cœur et leurs mains.

38 albums au compteur ! On peut dire que vous avez toujours été extrêmement productif en matière d’albums, mais vous n’en avez pas produit depuis «All That I am» en janvier 2005. Carlos Santana est-il fatigué ?
J’ai sorti «Multi Dimensional Warrior» depuis et je reste très actif sur la scène musicale.

Multi Dimensional Warrior  est une reprise d’anciennes chansons…
Vous savez, la création ne réside pas dans la nouvelle chanson mais dans le renouveau d’une chanson, d’un morceau. Un nouveau rythme, un nouvel état d’esprit, une passion.

Que ressent-on lorsqu’on monte sur scène après une carrière de 43 ans. N’êtes-vous pas un peu lassé de vous produire ?
Je ne pense pas comme ça. Ce type de sentiment apparaît chez les gens qui pensent trop, mais je ne suis pas comme ça. Je puise dans mon cœur, tout est nouveau, tout est frais. J’investis dans la pureté et l’innocence, et non pas dans les choses mécaniques. Je ne répare pas des voitures : je joue de la musique, et la musique est toujours…, comme les femmes, inattendue, imprévue.

Vous jouez depuis 1967, quel regard portez-vous sur la production musicale actuelle ? Fait-on toujours de la bonne musique aujourd’hui ?
Oui, assurément. Les styles et les époques diffèrent et tout dépend du regard que vous jetez sur la musique actuelle. Il y a de très bons artistes, il suffit d’ouvrir les yeux et d’aller au-delà des appréciations trop hâtives. Nous sommes d’ailleurs en train de produire un nouvel album, qui devrait sortir en septembre prochain avec des artistes merveilleux.

Dans vos concerts on vous voit souvent porter de magnifiques tee-shirts à l’effigie de Bob Marley. Lors de votre concert à Casablanca en 1994, vous aviez commencé par chanter «Exodus». Que représente Bob Marley pour vous ?
Unité, harmonie, «one love», pas de drapeaux, pas de nationalisme, ni de religion…, en gros, ma vision des choses: paix, amour et bonne musique!

Quels sont les artistes qui vous ont le plus marqué ou inspiré au cours de votre carrière ?
John Coltrane, Bob Marley, Jimmy Hendricks, Marvin Gay, Miles Davis et même Picasso. En fait, tous ceux qui puisent dans leur cœur m’inspirent.

Chester Thompson, Karl Perazo, Raul Rekow…, on a l’impression que certains des joueurs du groupe font partie de l’esprit Santana, même s’ils ne jouent pas toujours avec vous, est-ce le cas ?
Oui, c’est vrai. L’esprit Santana c’est de l’honnêteté, de la sincérité, de la franchise, c’est une fusion entre musiciens et ceux que vous avez cités font partie de l’âme du groupe. Ils ne sont pas les seuls, cela dit.

Dans l’album «Moonflower», une de vos chansons s’appelle «El Morocco», y a-t-il un lien avec le Maroc ?
Bien sûr ! Pour moi, le Maroc a toujours été synonyme d’imagination, de mysticisme. Pour moi, Marocains et Indiens d’Amérique sont pareils : il y a en eux une part de spiritualité qui fait leur identité. Les Marocains sont très attachés à la nature et influencés par elle. Certaines personnes sont connectées aux satellites et aux ordinateurs. Je pense qu’il est plus important de se connecter à mère nature. 

Revenons à la musique, quel est l’album dont vous êtes le plus fier ?
Tous.

Tous ? Ça en fait beaucoup…
Ce sont tous mes enfants.

Entre Abraxas, Moonflower, Inner Secrets, Brothers, Ze Bop et Milagro, quel est l’album qui symbolise le mieux votre style musical ?
Je dirais que ce serait «Abraxas» et «Milagro».

En 1999, Santana s’ouvre aux chanteurs de la nouvelle génération avec «Supernatural». Comment et pourquoi ce changement ?

Ce n’est pas un changement, c’est une évolution. Entre 1972 et 1999, je m’étais intéressé et investi dans l’art musical tourné vers la radio, vers la musique que l’on écoute, avant tout pour le son, pas pour la voix. Il y a eu beaucoup de chansons instrumentales dans mon répertoire. En 1999, avec mon ami Clive Davis nous avons décidé de créer cette passerelle entre belle musique et belles voix.
Nous avons donc invité de nouveaux «cavaliers» à tenter l’aventure avec nous. Et je suis fier que nous ayons pu accompli ce miracle et toucher ainsi le cœur de beaucoup de gens.

C’est pour cela que vous l’avez appelé «Supernatural», le «naturel» pour vous, c’était avant 1999 ?
Oui, et aussi parce que «Supernatural» signifie «au-delà de l’esprit».

Après «Supernatural» vous sortez «Shaman», toujours dans la même tendance mais plus profond, plus Santana…
«Shaman» est une extension de «Supernatural». Plus profond, plus Santana, je dirais que c’est une question de goût. Je vous l’ai dit, tous mes albums sont mes enfants.

«Blues For Salvador» en 1987, «Milagro» en 1992…, certains de vos albums sont des cris de militant politique engagé. Quelles sont les causes que vous soutenez ?
S’il est une cause à laquelle je tiens, c’est celle qui amène les hommes à investir davantage au profit des enfants et de l’éducation. Nous dépensons des milliards dans des endroits comme Las Vegas ou Dubaï, alors qu’il y a mieux à faire. Plus les gens sont éduqués, moins ils deviennent brutaux. Si l’on investissait davantage dans l’éducation, on aurait moins à investir dans la guerre. Et ce n’est pas dans une éducation religieuse qu’il faudrait ainsi investir mais dans l’éducation spirituelle. Pour cela, il ne s’agit pas de parler d’Allah, de Jésus, de Boudha ou Krishna. La religion relève de la sphère privée. Il faut parler aux gens mais du monde, de la compassion, de l’amour, du pardon, de la bonté, l’unité, l’harmonie.
 
Vous êtes connu pour être un artiste humaniste. Que pensez-vous du conflit israélo-palestinien ?
Les Palestiniens et les Israéliens sont deux peuples enfermés dans la peur. Ils investissent davantage dans la peur que dans l’amour et deux murs ne font pas un pont. Si vous gardez toujours à l’esprit qu’aussi bien les uns que les autres sont des «enfants de Dieu», «des créatures de Dieu», et que vous vous dites : je n’ai que deux choses, la lumière et l’amour, alors tout conflit parviendrait à sa fin… Mais ceci n’arrive pas, car les gens se concentrent trop sur l’animal en eux, cet animal qui dit «Je te mords, tu me mords, je te mords encore plus fort», plutôt que sur l’esprit en eux qui leur dit : «Je ferai de mon mieux pour te tendre la main, de manière  propre et sincère, et je partagerai avec toi, je partagerai avec toi cette belle planète».

Comment vous décririez-vous ? Etes-vous quelqu’un de spirituel, un croyant ? La religion a-t-elle une place dans votre vie même si vous parlez davantage de spiritualité que de religion ?
Je me décrirais ainsi : certains sont des «chercheurs», d’autres sont des «trouveurs». Je suis un «trouveur». Je ne cherche plus, je trouve tout le temps.

En octobre 2008, vous déclariez au magazine «Rolling Stone» : «J’arrêterai de jouer quand j’aurai 67 ans, pour faire ce que je veux vraiment, devenir pasteur comme Little Richard». Etes-vous toujours dans cet état d’esprit ?
(Rire). Vous savez, ce jour-là, quand Dieu a entendu cette phrase il a certainement eu un fou rire tellement ce que j’avais dit était loufoque. Aujourd’hui encore, je crois qu’il rirait très fort en m’entendant répéter cela. Alors j’ai arrêté de faire des projections sur mon avenir.

Vous arrive-t-il d’écouter vos propres albums chez vous ?
Seulement lorsque l’un deux est en préparation.

Qu’écoute Carlos Santana quand il veut écouter de la musique ?
J’écoute essentiellement John Coltrane, Buddy Miles, Marvin Gay, de la musique africaine, un peu de blues aussi et Bob Marley, tout le temps.