Culture
Capitale de la tolérance, Agadir a accueilli 200 000 spectateurs
Organisée par TF1 en partenariat avec la région Souss-Massa-Draâ, la deuxième édition
du Concert pour la tolérance, qui s’est déroulée sur
la plage d’Agadir le samedi 4 novembre, a été un succès.
Une déflagration ininterrompue, joyeuse et juvénile durant les
trois heures qu’a duré le concert. Même la météo,
hésitante, s’est
rangée du côté des militants de la tolérance.

Vendredi 3 novembre. Dès qu’ils ont franchi la douane, invités au Concert pour la tolérance et journalistes venus couvrir la manifestation se voient offrir une rose saumon des mains innocentes de fillettes vêtues d’une chatoyante tenue marocaine. Ils sont ensuite pris en main par des accompagnatrices qui les conduisent jusqu’à leur navette, sous l’escorte sonore de la dakka marrakchia. Agadir tient à honorer sa réputation de ville hospitalière et ne lésine pas sur la dépense pour mettre les petits plats dans les grands. Un soleil généreux donne encore plus d’éclat à ses avenues qui, en la circonstance du concert, se sont parées de leurs meilleurs atours.
25 000 lits occupés et 54 hôtels complets à Agadir, la campagne de communication a produit son effet
Du Concert pour la tolérance, il est partout question. Les membres de la famille A.K. ne dissimulent pas leur joie d’avoir pu obtenir des cartons d’invitation. «C’est grâce à un ami qui travaille dans le tourisme que je les ai obtenus, confie A.K. Je dois dire que je n’écoute jamais la plupart des chanteurs qui s’y produiront. Je suis un peu vieux jeu et je considère qu’ils font du bruit plutôt que de la musique. Mais si je n’avais pas décroché ces invitations, mes enfants auraient été déçus». Sa femme intervient : «Moi aussi je t’en aurais voulu. Voir Samira Bensaïd en chair et en os, ça a toujours été mon rêve, il s’exauce enfin». La cadette ne jure que par Amine, Lorie et Leslie. Son frère aîné n’a d’yeux que pour Faudel, dont il connaît par cœur toutes les chansons.
19 heures, au Dorint Atlantic Palace, conférence de presse. La salle des réunions du palace est archicomble. Quelques artistes participants, une kyrielle de journalistes français, une flopée de journalistes marocains et de nombreux intrus sont là. C’est à Saïd Scally, directeur du Centre régional du tourisme (CRT) d’Agadir, qu’a été échu le rôle d’animateur du débat. Il est entouré de Florent Pagny, Hélène Segara, Amine, Leslie, Abd Al Malik, et d’un représentant d’Electron Libre Productions. Par la bouche de Scally, on apprend qu’Agadir n’a disposé que de deux mois pour concocter le concert. Vu l’imminence de l’échéance, elle s’était prudemment engagée à réunir à peine dix artistes. Ils étaient vingt-deux à répondre à l’appel, en fin de compte.
«Nous sommes venus pour chanter avec nos tripes», promet Leslie
«Ils auraient été trois ou quatre fois plus s’ils avaient été sollicités à temps, s’avance Hélène Segara. Les musiciens ne se contentent pas d’inciter à la tolérance, ils la pratiquent au quotidien, car la musique est un lieu où les frontières sont abolies, les différences respectées et fructifiées». Florent Pagny approuve, et profite de sont temps d’intervention pour jeter des fleurs à TF1, chaîne qui tente courageusement de faire échec aux tenants de l’intolérance. De la part d’un musicien dont on sait la détestation profonde des médias, l’éloge vaut son pesant d’or. La chaîne ne serait-elle pas mue prosaïquement par un impératif d’audience ?, interroge un jounaliste. «Absolument pas, s’indigne un producteur de TF1. C’est par souci de combattre l’intolérance qu’elle a pris cette initiative, en offrant une belle vitrine, la musique, à la tolérance».
Le chanteur Amine, lui, fait part de son émotion de pouvoir contribuer à la noble cause dans son pays d’origine. Hélène Segara saisit la balle au bond pour exprimer tout le bien qu’elle pense du Maroc. Abd Al Malik souscrit à ses propos. «Ici, les gens ne me regardent pas comme une bête curieuse. Je sens que je suis adopté». Florent Pagny se montre du même avis: «Jamais, je n’ai été aussi bien reçu qu’au Maroc». Sur ce, Saïd Scally y va d’une équation définitive. «La tolérance, c’est le Maroc», tranche-t-il. A preuve, l’engouement manifesté par les Marocains pour le concert. «Pas un seul lit vacant au jour d’aujourd’hui. Et il y aura beaucoup qui dormiront dans leur voiture ou sur la plage». Pas un seul lit vacant, autrement dit 25 000 lits déjà occupés, 54 hôtels complets. La vaste campagne de communication (presse, radio, TV, affichage 4×3, affiches publicitaires dans les lieux publics, distribution de flyers) à travers le pays a eu un effet heureux.
Derrière les barrières,
la foule assiste aux répétitions dès 14 heures
Reste à savoir si l’affluence escomptée en sera ou non pour sa peine. Sur ce point, le représentant d’Electron se montre catégorique : toutes les conditions seraient réunies pour que la soirée soit exceptionnelle. Au premier chef, la qualité et la diversité de la programmation. Ensuite, l’originalité du plateau, ouvert sur la marina d’Agadir et conçu à l’image d’un palais marocain. Enfin, promet la pulpeuse Neslie : «Nous ne sommes pas venus pour faire acte de présence, mais pour chanter avec nos tripes. Il n’y aura pas de faux-semblants». Sur cette note réjouissante, artistes et directeur du CRT prennent congé de l’assemblée pour filer vers la réception somptueuse donnée par Rachid Filali, wali de la région Souss-Massa-Draâ, dans le splendide parc Olaho. Dans leur sillage, des journalistes et des pique-assiettes.
Le public, véritable vedette du concert
Samedi 4 novembre. Agadir s’éveille indolemment. Le soleil de la veille s’est évanoui. Le ciel fait grise mine. Jihane Raqiq, attachée de presse nationale, manque d’en avaler de travers son lait matinal. «S’il pleut ce soir, c’est râpé. Les gens ne pourront pas se rendre au concert, et on se sera décarcassé pour rien», s’alarme-t-elle. Les premières gouttes de pluie sont de mauvais augure. Mais il ne s’agit que d’un crachin fugitif. On consulte la météo, elle est optimiste. On oublie qu’Agadir se moque comme de l’an quarante des prévisions météorologiques et n’obéit qu’à son humeur, qui est versatile. Toute la matinée, les organisateurs auront un œil sur le ciel. Il se rembrunit au fil des heures, sans mettre ses menaces à exécution. On respire. A 14 heures, les répétitions, un moment différées, se déroulent. Dans une atmosphère bon enfant. Sous les yeux d’une foule amassée derrière les barrières, ravie de déguster cet avant-goût du spectacle vespéral. Le groupe H-Kayne, content d’avoir été appelé au pied levé en remplacement de Cheb Mami qui a maille à partir avec la justice française, improvise un numéro plaisant. «J’appelle en premier le groupe Kan», lance un technicien. «H-Kayne», corrigent les badauds. Après H-Kayne vient le tour de Samira Bensaïd, autre invitée de la dernière heure. «Où est Saïd ? Pardon, Saïda», s’embrouille le technicien, décidément fâché à mort avec les noms. La chanteuse apparaît. Elle est fraîche comme une rose.
Il est 20 heures. Les abords de la scène sont bloqués. Les policiers, mobilisés en masse, ne parviennent pas à contenir les flots humains se déversant sur les lieux. Gamins, ados, jeunes et moins jeunes, venus en nombre impressionnant, se tiennent déjà derrière les barrières. Beaucoup d’entre eux n’hésitent pas à tromper la vigilance des agents de sécurité pour investir le carré réservé aux VIP. Ce soir-là, il n’y a ni notables ni gens «sans qualité», ni riches ni pauvres, ni hommes ni femmes, ils sont tous unis dans le concert pour la tolérance. Saïd Scally se frotte les mains : «Avec 50 000 spectateurs, j’aurais été plus que satisfait. Là, je suis comblé. A une heure du concert, ils sont, à vue d’œil, plus de 100 000. Dans une heure, il y aura le double». Dans son journal télévisé du dimanche dernier, TF1 parlera de 120 000 spectateurs. Le même jour, dans un entretien, le président de la Région Souss-Massa-Draâ estimera l’affluence à 200 000 personnes. En tout cas, la foule était innombrable, au sens plein du terme.
Une foule en liesse, et c’est le plus important. Quand les présentatrices, Catherine Vincent pour TF1 et T-Miss représentant NRJ, demandaient aux spectateurs de faire du bruit, elles ne savaient pas qu’elles prêchaient des convertis. Ce n’était pas du bruit, mais une déflagration ininterrompue, joyeuse, juvénile, jouissive. Tout au long des trois heures que dura le concert. Les chanteurs n’avaient même pas besoin de chauffer le public, il l’était à «bloc». «Ce public est formidable», affirma Axel Bauer. «Merci pour votre accueil chaleureux !», s’exclama Florent Pagny. «Merci, ô merci à ce public adorable», lança Faudel. Au terme de leur prestation, les artistes ne tarissaient pas d’éloges sur ce public qui leur ravissait, cependant, la vedette. Eux, comme espéré, n’avaient pas démérité, loin s’en fallut. Chacun dans son genre, révolté (Magic System, Florent Pagny, H-Kayne, Abd Al Malik…), humaniste (Zucchero, Obispo, Shy’m…) ou fleur bleue (Lorie, Leslie, Laure Milan, Imane…); dans son style, violent, électrique doux ou mielleux, se dépensa sans compter sur la scène, démontrant ainsi une foi inébranlable dans l’acceptation de l’autre. Mieux, dans l’amour du prochain, ainsi que le prouvait la chanson mitonnée collectivement à cette occasion : «Savoir aimer».
Soucieuses de ne pas mêler leurs cris d’orfraie aux voix des chanteurs qui montaient au ciel telle une prière, les mouettes avaient abandonné la plage d’Agadir. Des colombes passèrent au moment où Shy’m vantait le métissage et l’entremêlement des différences. Ce soir-là, Agadir avait magnifiquement honoré sa mission, celle d’être «la capitale de la tolérance et de la paix». Il fera beau Demain, pour reprendre le titre d’une chanson de Gage.
