Culture
Biella Nuei et Azawan : la musique entre deux rives
De jeunes chanteurs et musiciens marocains de la nouvelle scène sont allés à la rencontre de musiciens espagnols.
De cette rencontre sont nés des chansons, des métissages extraordinaires, reflet de notre époque.
La musique aragonaise et la musique marocaine avec leurs différentes sonorités, leurs gammes, leurs rythmes s’épousent, se rencontrent sans rivalité.

Ils sont Marocains et Espagnols, rassemblés autour d’un projet commun : celui de «casser les murs», de refuser le fil barbelé et tout ce qui limite la liberté des hommes. Ils ont, cependant, pour seules armes, des instruments de musique, des mots tendres et des tirades aiguisées.
Biella Nuei et Azawan, voici un nom à retenir ! Le groupe s’est formé en mai dernier lors de la résidence de création musicale organisée conjointement par L’boulevard et le Festival de Las culturas Pirineos Sur (Espagne). «Au début, c’était un projet d’une résidence d’artistes pour un live. Maintenant, nous sommes en train de créer un album», déclare Hicham Bajjou, membre du groupe. Le projet a réuni, au départ, cinq artistes de la scène urbaine marocaine. Il s’agit de Hicham Bajjou, Foulane Bouhcine, Khalid Berkaoui, Oum et Dj Mood, qui sont allés à la rencontre de Bella Nuei, groupe de cinq autres musiciens et chanteurs aragonais passionnés de musiques traditionnelles.
Si les Biella Nuei étaient un groupe déjà formé, les membres d’Azawan avaient chacun mené sa carrière séparément. Leurs univers musicaux sont différents, variés. Rien en apparence ne les prédestinait à travailler ensemble, si ce n’est qu’ils soient tous atteints de mélomanie chronique mélangée à un désir brûlant : celui de ne pas se figer dans une formule, de grandir en musique.
Tandis que, Dj Mood vient du monde de la musique électronique, Foulane, joueur de ribab, a plusieurs cordes à son arc même s’il n’en garde qu’une seule pour faire parler son instrument de prédilection. Le virtuose passe du violon au ribab à l’outar sans aucune transition. Ceux qui ne le connaissent pas auront l’occasion de découvrir le jeu de ce jeune musicien d’Agadir qui, tout en s’accrochant à ce qui est solidement ancré dans la tradition, se permet les délires les plus fous. Khalid Berkaoui propose, quant à lui, une approche renouvelée de la percussion classique.
On retrouve aussi dans le groupe la griffe sonore d’Oum, son timbre facilement reconnaissable. La chanteuse s’est permise des relectures de textes anciens et des arrangements de musiques traditionnelles. Ses chansons bien roulées et joliment engagées avec, parfois, quelques trips plus acides que d’autres, pour éviter les platitudes.
Quant à Hicham Bajjou, le chanteur mythique du groupe Daising et après sa Totale éclipse, il revient à la scène et confirme, encore une fois (son guembri entre les mains), qu’il est aussi à l’aise dans la musique rock que dans ce nouveau registre qu’il qualifie de «mélange de folk marocain et aragonais».
Une musique d’ici
et de là-bas
Ceux qui souhaiteraient donner une identité au groupe naissant devraient y renoncer. Car il y a un peu de tout dans ce melting-pot artistique. Chez les Biella Nuei et Azawan, l’espace, le temps et les nationalités sont réinventés. On peine à les décrire. Ils sont de tous les horizons et de nulle part. Ils sont surtout allumés. Leurs chansons leur ressemblent : colorées, mélangées et engagées. Lorsqu’on les écoute pour la première fois, tout est en apparence léger et joyeux et c’est bien là que l’on se trompe ! Il faudrait tendre l’oreille pour essayer de comprendre ce qui se cache derrière la légèreté et la fraicheur de leurs mélodies. La noirceur de leurs paroles est à peine voilée par la verdeur du groupe. Leurs textes s’inspirent exclusivement des réalités qui nous entourent. Toutefois, ils se préservent de tout apitoiement social, en gardent la juste mesure. Dans une de ses chansons, Hicham Bajjou chante, hurle la rage de ces harragas qui tentent tout pour une vie meilleure. Sa note militante est toutefois porteuse d’espoir. Car le faiseur de vers croit aux changements, à la force des mots. Ses qsidas écrites, parfois, à l’ancienne, s’habillent de nouveaux instruments, se laissent porter par des mélodies erratiques qui suivent les êtres et leurs déplacements…
Du côté espagnol, un tout autre vécu et un autre trip. Les Biella Nuei ont vu le jour dans les années 80. Ils se sont spécialisés dans la musique traditionnelle aragonaise de racine populaire. Plus que ça, ces déjantés ont fabriqué des instruments musicaux comme la gaita de boto (cornemuse aragonaise), le chicotén (tambourin à cordes) ou la dulzaina (sorte de pipeau), des instruments qu’on ne trouve plus nulle part ! Tout en s’ancrant dans la tradition musicale de leur région, les Biella Nuei se laissent emporter par la diversité musicale. Leur curiosité dépasse les frontières.
Une fois sur scène, cette jeunesse des deux rives a purgé son refus, lâchée son spleen. Le résultat : euphorie, pétulance ! Dès leur premier concert, les Biella Nuei et Azawan ont épaté. «Musicalement, on avait beaucoup de choses à faire ensemble», avoue Bajjou. Leur musique provoque une flambée immédiate. Applaudis, primés dès leur premier concert. «Nous avions reçu le premier prix lorsque nous nous sommes produits sur le marché de musique à l’occasion du festival de Pirineos Sur». De la rencontre de tous ces musiciens, du mélange de leurs origines, de leurs instruments, du goût de l’aventure va naître prochainement un album dont la sortie est prévue cet automne.
A l’heure actuelle, le nouveau groupe est à pied d’œuvre pour parfaire cette nouvelle création. Les chansons qu’ils proposent sont à écouter, à sentir aussi. Elles laissent filtrer des odeurs d’ici et de là-bas. Une fois l’écoute terminée, elle ne disparaît pas, elle reste toujours dans notre tête. Le groupe propose dans ses concerts (dont le prochain au Maroc se tiendra à Essaouira) une palette de musiques, ou plutôt une mosaïque allant de la pure tradition à des mélanges plutôt osés et colorés. Le gharnati, le reggae et les rythmes amazighs s’entremêlent, fusionnent et refusent de se soumettre aux frontières.
