Culture
Aziz Abou Ali : la solitude comme principe d’art
Du 26 janvier au 10 mars, le musée de Bank Al-Maghrib organise une exposition hommage à Aziz Abou Ali, artiste peintre né à Marrakech et mort à Madrid, à l’âge de 58 ans. Figure majeure des arts plastiques au Maroc et à l’étranger, Aziz Abou Ali a gravé sa solitude dans une œuvre éternelle.

Si chaque œuvre d’art exprime une idée, celle de l’artiste graveur Aziz Abou Ali raconte une histoire. Celle du parcours extraordinaire d’un jeune démuni et autodidacte qui finit par devenir l’un des artistes graveurs les plus côtés en Espagne. Mais, surtout, celle d’une solitude qui a été à la fois source d’inspiration et prison infranchissable dont il ne s’est pas sorti vivant… L’exposition qui lui est dédiée au Musée de Bank Al-Maghrib, du 26 janvier au 10 mars, donnera à voir une partie de son œuvre prolifique et profonde, en hommage à son excellent parcours et dans l’espoir de repêcher de l’oubli son œuvre exceptionnelle.
Dans le Marrakech des années 40, il n’y avait pas de place à l’école pour un jeune garçon issu d’une famille démunie.
Un talent inné
Travaillant très jeune, dans un atelier de cycliste, dit-on, pour se prendre en charge dès le bas âge, Aziz gratte le papier avec dextérité. Et on ne sait quelle muse lui insuffle l’idée de s’inscrire aux cours ABC de dessin par correspondance. Ceci étant dit, il reçoit au lendemain de l’Indépendance un prix dans l’un des derniers Salons d’hiver de Marrakech. C’est le signe espéré qui pousse Aziz à tenter l’aventure du grand Nord. Arrivé aux portes de l’Ecole des Beaux-arts de Tétouan en 1961, il est vite pris sous l’aile de l’artiste peintre Mariano Bertuchi qui, à la tête de l’institution, n’a cure des conformismes. Il y passe trois années durant lesquelles son talent ne cesse de se dévoiler. Porté par l’envie d’apprendre davantage, il s’inscrit à l’Ecole supérieure des Beaux-arts Santa Isabel de Hungria à Séville, avant de rejoindre l’Ecole supérieure des Beaux-arts de San Fernando de Madrid pour une maîtrise en gravure, en peinture murale et en sculpture. Depuis sa première exposition à Madrid, en 1971, Aziz Abou Ali brille comme l’un des maîtres graveurs de la scène espagnole. il rejoint le Groupe 15, célèbre atelier de gravure des années 1970, expose dans plusieurs villes au Maroc, en Espagne et aux USA et remporte plusieurs prix, dont la médaille d’or de la Beca Del Paular en Espagne et la médaille d’argent de la Biennale internationale de Trieste en Italie.
50 nuances de solitude
L’œuvre d’Aziz Abou Ali a fait l’objet de plusieurs ouvrages recensant la multiplicité et la diversité de sa création. Bien qu’étant considéré comme maître graveur, Aziz Abou Ali a dessiné, peint et sculpté tout au long de sa courte vie. L’ensemble recèle une harmonie qui traverse les formes et les supports.
En effet, Aziz Abou Ali a tenté, par moult façons, d’exorciser les silhouettes fantomales qui le hantaient. Ces spectres sombres sans visage, tantôt traversés de ratures, tantôt enveloppés de linceul, sont omniprésents dans son travail. Austère et cireux, son style exprime une souffrance et une solitude, assumées et revendiquées. «Cette solitude, élevée en un principe d’art, est si intense qu’elle constitue en quelque manière une clé magique pour ouvrir cette œuvre. Ces personnages sans visage, ou plutôt ces figures bandées par la détresse, et ces autoportraits intraitables, comment les nommer ? Comment approcher cet état de pétrification qui les cloue dans l’espace plastique ?», disait Abdelkébir Khatibi dans un texte qu’il dédiait au graveur lorsqu’il fut trouvé mort, en haut d’une tour à Madrid, «comme s’il avait désiré mettre en scène sa propre mort, loin de son pays natal, entre terre et ciel »…
