Culture
Au pays qui te ressemble
Dès le 26 février, l’Atelier 21 propose «Luxe, désordre et volupté», une série de photographies oniriques signées Majida Khattari.
Les e-mails ont parfois une odeur. Celui-là exhale un parfum capiteux, un mélange de géranium, de roses et de poussière. Comme une bonne vieille lettre d’amour arrivant des siècles passés. Comme une correspondance tendre et énigmatique, entre George Sand et Alfred de Musset. Cet e-mail aux senteurs désuètes nous vient de l’Atelier 21. Une invitation au voyage, du 26 février au 29 mars, sur les terres nostalgiques de Majida Khattari. Ou plutôt dans ses salons feutrés, tendus d’étoffes et de dames. Après cette exposition, vous aurez peut-être envie de relire Anna Karénine ou Madame Bovary, de vous prélasser dans cet univers damasquiné, fardé, corseté jusqu’aux yeux, sensuel en diable, curieusement proche des harems orientaux. Le fantasme (assumé ou refoulé) de nombre d’hommes. Charles Baudelaire ne songeait-il pas à la douceur d’un monde fait d’ordre et de beauté, de luxe, de calme et de volupté ?
Malicieuse, Majida Khattari détourne allègrement les rêves angéliques du poète accablé par le spleen. La jeune artiste originaire d’Erfoud promet, pour sa part, «luxe, désordre et volupté». Un titre qui va comme un gant de satin à ses photographies, si finement élaborées, ciselées qu’on pourrait, à première vue, les prendre pour des tableaux de peintures, pleins de gracieuses femmes aux yeux mi-clos et aux membres langoureux, emmaillotées dans des couches de brocart et de dentelles. Pour la galerie casablancaise qui accueille les travaux de l’artiste marocaine basée à Paris depuis 1989, il s’agirait d’une «exploration passionnée de l’Histoire de l’Art occidental». Dans le catalogue de l’exposition, les experts décèlent des références subtiles à l’Ophélie de Millais, aux Odalisques d’Ingres, aux toiles plantureuses de Boucher, Gérôme, Delacroix, Manet ou encore Goya.
Luxe, désordre et volupté
Pourquoi ce plongeon dans l’art baroque et le classicisme ? Marie Deparis-Yafil ne pense pas que cela s’apparente à un banal exercice de style ou à «une nostalgie folklorique». La critique d’art penche plutôt pour «une tentative de retournement du regard occidental sur l’Orient : hier fascination romantique pour la “splendeur orientale” et ses promesses de volupté, pour reprendre le mot de Baudelaire, il se nourrit aujourd’hui d’un fantasme de violence et se fait hâtif synonyme de danger extrémiste, de guerre et de terreur. Ici, imposant une autre vision, Majida Khattari fait se renvoyer les préjugés occidentaux en en mettant en lumière les paradoxes historiques».
Une autre question, plutôt embarrassante, se pose. Quelle est cette fascination pour les tentures, les tapisseries, les riches draperies ? Majida Khattari serait-elle une coquette entichée de robes et de colifichets ? Pas le moins du monde, on le réalise très vite, en jetant un œil sur le site de l’artiste : elle y conte sa longue et tortueuse histoire avec le vêtement féminin, surtout celui qui «entrave», celui qui «opprime». Ses «robes-sculptures» ont ainsi, lors de défilés/performances, brocardé le voile, le «tchadri» afghan, mais pas seulement. «Les premières robes sont étouffement, lourdeur, gangues oppressantes et protectrices», écrit Majida Khattari. Ici, c’est le vieil habit européen qui est rigoureusement critiqué, celui qui«sublime et sacralise», qui «enferme et soumet». Au nom de l’ordre et de la beauté, du luxe, du calme et de la volupté.
* Exposition «Luxe, désordre et volupté» par la plasticienne et vidéaste Majida Khattari. À admirer du 26 février au 29 mars à la galerie l’Atelier 21. Du mardi au samedi de 10h à 13h et de 15h à 20h. Adresse : 21, rue Abou Mahassine Arrouyani, ex-rue Boissy-d’Anglas, Casablanca. www.atelier21.ma
