Culture
«Au détroit d’Averroès», l’alerte de Driss Ksikes
«Au détroit d’Averroès» est le dernier roman de l’écrivain Driss Ksikes, paru aux éditions Le Fennec. Le livre traite de plusieurs questions contemporaines, dont la liberté de penser et d’expression, à la lumière de faits historiques.

«Qui a peur d’Averroès?». La question se pose à plusieurs endroits du récit, donnant des airs de thriller à ce roman de réflexion. Mais la réponse est loin d’être banale. Car la peur d’Averroès s’apparente davantage à une angoisse latente et diffuse de tout acte de pensée. C’est en tout cas la conviction du protagoniste du roman, Adib, professeur de philosophie et chroniqueur à la radio. Son désir de rétablir la pensée du penseur et philosophe musulman reste un vœu pieux. Quoique…
La raison et ses ennemis
Adib est le personnage principal du roman de Driss Ksikes. Un professeur de philosophie qui a hérité de la tourmente de son ami Hassan et de ses recherches sur Ibn Rochd. Grâce à une ouverture dans une station de radio, il commence à distiller sur les ondes la pensée du philosophe, appelant à mettre la connaissance et la raison au premier plan de l’existence. Mais c’est compter sans la résistance de la masse à la pensée épurée de croyance. En effet, si Hassan fut écarté de l’enseignement, car il menaçait un pouvoir en place, Adib, lui, reçoit des menaces de la part d’auditeurs mécontents, s’autoproclamant censeurs au nom de l’Eternel. La liberté de pensée et d’expression est l’enjeu crucial dans le récit.
Mais Adib est entouré de gens curieux, incommodés par le diktat de la pensée unique et à qui il permet, sans s’en rendre compte, de continuer à croire en un monde meilleur. Le flambeau de la recherche ne va d’ailleurs pas s’éteindre lorsque Adib prendra le large. Souhait implicite de l’auteur, sans doute, qu’on ne peut que partager…
Au détroit de la pensée
«Au détroit d’Averroès» n’est pas un roman philosophique ou historique. C’est un roman contemporain qui place les valeurs prônées par le philosophe musulman au cœur de problématiques contemporaines. Driss Ksikes s’y interroge, à travers ses personnages, sur l’absence de revendication de la pensée d’Ibn Rochd, de la part des intellectuels du Maghreb. En effet, huit siècles se sont écoulés depuis que la dépouille du philosophe, exilé à Marrakech, a traversé la Méditerranée sur un mulet. Temps durant lequel la pensée du philosophe fut transcrite puis traduite en hébreu et en latin, qu’elle fut enseignée, commentée, honorée ou critiquée par les grands penseurs des différentes époques. Les rares écrits ou commentaires arabes sont restés timides, comme si le bannissement du philosophe l’avait symboliquement rayé de l’histoire de la pensée arabe. Ce roman est une sorte d’alerte lancée par l’auteur qui somme les lecteurs et les intellectuels de se réapproprier une pensée de lumière émanant d’un chantre de la philosophie islamique. Combattre le mal par le savoir, telle est la solution d’Averroès qui disait, à juste titre : «L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence. Voilà l’équation».
