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Culture

«Taoub» : êtres de tissu

Un beau livre revient sur la fantastique épopée de «Taoub», spectacle acclamé d’Avignon à  Broadway, et ravive le souvenir, de plus en plus lointain, de l’acrobatie traditionnelle marocaine.

Publié le

TAOUB 2012 11 22

Ceci n’est pas un conte réactionnaire : dans la famille Hammich, on est acrobate, on naît acrobate, point barre. De père en fille, de mère en fils. Pas de reconversion, pas de virevoltes possibles. Mais des saltos arrières, oui, bien sûr, à volonté.
Chez ces Tangérois originaires de Sidi Ahmed Ou Moussa, les «métiers d’avenir» ne font pas saliver. Les petits-enfants échapperont peut-être aussi à la tyrannie des écoles de commerce, qui sait. Pour perpétuer l’acrobatie traditionnelle marocaine, l’enseigner comme elle devrait l’être, avec les mots qu’il faut : un mystère entier, une spiritualité dansante et tourbillonnante. Aujourd’hui, un art aux règles strictes, aux noms divins : Tiguenna veut dire «ciel» en amazigh. Et c’est la figure qui vous élève vers les cieux. Tinzga est la roue arabe, enchaînez-en plusieurs pour que ça soit gracieux. Maâouda est le bond de la gazelle dans le désert. Vous voyez, messieurs dames, on ne fait pas que «sauter» bêtement.

L’acrobatie traditionnelle marocaine menacée par l’oubli

Aurélien Bory l’a compris, dès le premier coup d’œil. Ces solides gaillards qui s’ébrouent et cabriolent sur la grande plage de Tanger, ces fluettes jeunes filles qui leur escaladent le dos ; cette allégresse, cette légèreté, cette agilité, tout cela pourrait donner quelque chose de fracassant sur scène. «J’ai été séduit par le haut niveau et la beauté de l’acrobatie marocaine», déclame le metteur en scène français. De longs mois de répétition plus tard, le résultat, Taoub, n’est pas seulement fracassant mais bouleversant. «C’est une acrobatie unique, particulière, transmise grâce à la tradition et, aujourd’hui, perpétuée grâce à la créativité». Et jouée, plébiscitée sur les plus prestigieuses scènes, du festival d’Avignon aux planches de Broadway. «Robert de Niro est venu nous voir jouer, avec ses enfants. Il nous a laissé un mot très gentil», sourit Bory.

Souvenirs nostalgiques, anecdotes croustillantes, moments forts du spectacle, histoire de l’acrobatie traditionnelle, tout est raconté dans le beau livre Taoub, qui vient de paraître chez Senso Unico avec le soutien de la Fondation BMCI, qui a déjà financé un bel ouvrage sur Nass El Ghiwane, préfacé par Martin Scorsese, en 2011. «C’est notre façon à nous de préserver et diffuser le patrimoine au sens large», affirme Mourad Chérif, le président mécène. «Un livre palpitant, vante l’éditrice Ileana Marchesani. Écrit avec le cœur». Dès la page 34, avec le cœur d’un homme : Mohamed Hammich père, un des derniers maîtres de l’acrobatie marocaine, qui a sillonné le monde et connu Charlie Chaplin. «L’art de l’acrobatie se lègue de père en fils, mais pour combien de temps encore ?», se demande le vétéran. Nul ne le sait. Ce qui est sûr, c’est qu’à l’ère des hégémonies culturelles, des stars et des arts périssables, des goûts et des couleurs uniformes, une troupe tient bon et s’élève, en un élégant Tiguenna, vers le ciel.

«Taoub», 2012, 225 pages, Éditions Senso Unico et Éd. du Sirocco, 400 DH.