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Culture

«‘‘Allah Yslah’’ met la lumière sur les sacrifices des femmes et le sort qui leur est réservé»

Comédien, photographe et auteur, Youssef Lahrichi cumule les talents qu’il faut pour observer et restituer une image fidèle de la société marocaine. Il nous parle de la naissance de cette pièce et de son expérience en dramaturgie.

Publié le

Youssef Lahrichi

Quand est née la troupe 19h Théâtre ?

La troupe existe depuis presque dix ans. Nous nous sommes rencontrés au conservatoire de théâtre de Casablanca et, depuis, nous avons réalisé plusieurs projets d’adaptation de textes en français. Ensuite, nous nous sommes constitués sous le nom de «19h Théâtre» en 2015, avec l’ambition de créer nos propres pièces et de toucher un public plus large, en jouant aussi bien en français qu’en darija.

Vous considérez-vous toujours comme des amateurs ?

Je vous avoue que nous ne nous retrouvons ni dans le terme «amateurs», ni dans le terme «professionnels». Nous sommes des passionnés de théâtre qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour présenter des spectacles de qualité. Nous ne sommes pas une troupe professionnelle dans le sens où ce n’est pas notre profession et nous ne vivons pas du théâtre (exception faite de deux membres qui sont en train de le devenir). Chacun a son métier à côté et notre vie artistique commence en fin de journée, d’où le nom de la troupe. Par ailleurs, nous considérons que le terme «amateurs» n’est pas le qualificatif qui nous désigne le mieux, de par notre formation (la majorité des comédiens ont déjà obtenu leurs diplômes du conservatoire de théâtre de Casablanca), les exigences que nous nous fixons, les heures de travail que nous passons sur nos projets et nos ambitions.

«Allah Yslah», est-ce votre première expérience d’écriture pour le théâtre? Les comédiens participent-ils au processus d’écriture ?

Tout à fait. Dans notre troupe, nous sommes tous des comédiens, mais quelques membres sont effectivement intéressés par l’écriture. Pour notre première expérience de création, j’ai écrit «Allah Yslah», puis je l’ai soumise à la troupe pour recueillir leurs remarques et leurs propositions que j’ai ensuite prises en compte. Notre ambition pour l’avenir est qu’à chaque fois, un membre propose un projet concret sur lequel la troupe travaillera.

Qu’est-ce qui vous a inspiré un tel sujet ?

Je suis une personne qui croit beaucoup en les vertus de la communication et j’ai toujours constaté autour de moi qu’il y a de grandes failles à ce niveau-là dans nos familles marocaines… Et, malheureusement, les conséquences sont parfois désastreuses. Ce type de comportement à l’échelle de la famille donne lieu à une société qui souffre de beaucoup de maux. Après, il ne reste plus qu’à espérer «que Dieu répare» tout cela !

Peut-on dire que c’est une pièce à thèse féministe ?

Effectivement, c’est le cas. La pièce montre d’un côté l’absurdité et le ridicule qui accompagnent certains comportements machistes. D’un autre côté, elle met la lumière sur les sacrifices que font les femmes, marocaines ou pas, pour les hommes ; et le sort qui peut leur être réservé parfois en retour. Le tout sans sermon et en respectant le ton décalé et humoristique de la pièce.
n Y aurait-il un parallèle entre votre regard de photographe et celui de dramaturge sur la société marocaine ?
Je pense qu’à travers ces deux moyens d’expression, je cherche à explorer l’humain qui est en nous. Notre fragilité, nos contradictions et nos espérances. Je pars souvent de sujets personnels qui concernent finalement tout le monde. Et sur la forme, j’avoue que parfois photographie et théâtre se rejoignent. Je fais de la mise en scène en photo et j’utilise aussi l’image comme forme de mise en scène sur les planches.

 L’idée circule que le théâtre n’attire plus de monde. Pourtant l’engouement pour votre pièce atteste du contraire. Est-ce parce que le comique attire plus que le tragique ou est-ce que vous auriez un ingrédient secret ?

Je pense que le comique est un très bon enrobage pour les sujets sérieux. Ça permet d’intéresser plus facilement le spectateur. C’était en tout cas ma volonté pendant l’écriture. Nous sommes allés dans ce sens pendant les répétitions et les comédiens ont fait un excellent travail pour le réussir. L’engouement pour notre pièce vient également du sujet de «Allah Yslah» qui fait que le public se voit dans plusieurs situations de la pièce. Certains spectateurs nous ont aussi affirmé qu’ils ont apprécié la subtilité du texte et du jeu et également une darija «non maquillée» qui rend la pièce «vraie». Nous espérons pouvoir jouer dans d’autres villes et espérons que l’accueil du public sera aussi chaleureux.