Culture
«La résiliente», Cosette du Moyen-Atlas
Avec «La résiliente», Atika Benzidane livre un premier roman élégamment écrit et poignant sur le drame de naître femme dans un certain Maroc.

Izza devait avoir quatre ans, peut-être cinq, lorsque son père, patriarche vénéré d’une tribu du Moyen-Atlas, partit faire la guerre à l’occupant. Après une attente interminable, la fillette revit le digne résistant, ce père aimant et adoré, recouvert d’un linceul froid. Très tôt, Izza endura ainsi la première d’une longue et effroyable série de calamités. Privée de sa petite sœur par un oncle tyrannique et assassin, arrachée aux bras de sa mère quelques années plus tard, enlevée, séquestrée, maltraitée, aucune épreuve n’est épargnée à cette femme dont le sombre destin rappelle celui de centaines, de milliers d’autres Marocaines infortunées. Le drame de la «petite bonne» de quatorze ans assassinée il y a deux semaines par ses employeurs à Agadir vit encore dans les têtes, on pense avec amertume à ces mineures qu’emploie toujours, que rudoie toujours la «bonne société»â€ˆmarocaine, quoique de moins en moins souvent, tempèrent les associations.
«Parmi les situations les plus fortement décrites dans La résiliente : l’esclavage. Pas l’esclavage connu historiquement avec des sujets capturés ou achetés en Afrique noire, non. Un esclavage local, pratiqué par des musulmans marocains sur d’autres musulmans marocains, en l’occurrence des fillettes enlevées par ruse ou par force dans les replis du Grand-Atlas et vendues à des familles citadines, en particulier à Fès», écrit dans une courte préface le journaliste et essayiste français Jean-Pierre Péroncel-Hugoz.
L’esclavage durant les années 1920 qui rappelle tristement les actuelles «petites bonnes».
Plein de ferveur féministe, de compassion pour les opprimées et d’indignation, de mépris envers le tout-puissant patriarcat, le roman dont l’intrigue se situe dans les années 1920, décrit une multitude de situations quotidiennes où la femme marocaine subit tyrannie et inégalités. «Sur le chemin du cimetière, seules les femmes nous accompagnent, des femmes au visage brûlé, fardé de poussière, des femmes brisées par le temps et la loi de l’homme, des femmes qui savent pertinemment que demain ce sera leur tour, écrit la romancière. Très proches, en silence, nous versons ensemble les mêmes larmes amères. Où sont les hommes qui jadis partageaient nos repas, se disant sincères et intègres ? Ce monde masculin nous a tourné le dos, c’est à croire que lorsque le père de famille est enterré, celle-ci l’est aussi avec lui. Nous n’avions pas compris la règle du jeu établie par l’homme, et nous sommes coupables de continuer à vivre, nous les femmes».
Auteure d’un recueil de poésie (Le silence de la nuit a une saveur, paru aux éditions Diwan en 2000), Atika Benzidane signe un premier roman abouti. L’écriture est fluide et gracieuse, les descriptions des paysages, des personnages et des coutumes de l’époque sont réalistes mais ne se départissent pas pour autant de ce parfum de poésie, de cet onirisme cher à la romancière et qui plonge le lecteur dans une douce contemplation. Mieux encore, l’intrigue, qui fait si souvent défaut au roman contemporain, est ici soutenue, haletante, rondement menée. On ne lâche pas ce roman avant d’en avoir dégusté toute l’âcreté, la suavité aussi.
«La Résiliente», Atika Benzidane. Paru en 2012 aux éditions L’Harmattan. 286 pages. 370 DH.
